jeudi 6 janvier 2022, par
Au XIXe siècle, la Russie développe une identité culturelle, lorsqu’émerge l’idéologie officielle de Nicolas 1er. Cette dernière est introduite par Sergzeï Ouvarov qui met en place la triade d’Ouvarov, réunissant trois piliers que les Russes doivent respecter. Il s’agit de l’orthodoxie, de l’autocratie et de l’union entre le peuple et son tsar, qui doivent être tous deux soudés. Cette doctrine influence notamment l’éducation : le dernier pilier engendre la naissance d’un esprit national. En effet, dès lors, ne peuvent être russes que ceux qui sont orthodoxes et vice versa, excluant un nombre important de personnes dans l’Empire qui est, rappelons-le, multiethnique et multiconfessionnel. Cette idéologie restera en vigueur jusqu’en 1917.
Comme la Russie a importé l’art occidental sous Alexandre, le pays désire forger sa propre identité. L’éducation russe se basant sur la triade d’Ouvarov, elle encourage les études pour les nobles russes seulement, limitant l’accès aux classes inférieures. En effet, la Russie cherche alors à créer des hommes pratiques plutôt qu’intellectuels. De plus, elle renforce le sentiment national en appliquant le troisième pilier et empêchant les étudiants de réfléchir afin de les rendre utiles.
La Lettre philosophique est un réquisitoire contre la Russie écrit par Piotr Tchaadaev en 1836, critiquant le côté sombre du pays. Entraînant la naissance du sentiment national russe, cette lettre s’interroge de la voie que doit suivre la Russie. Il y a par exemple la question du passé et du futur de la Russie, marquant le début de la discorde entre Slavophiles et Occidentalistes : des penseurs révolutionnaires et anti-impériaux ; cette querelle permettra par ailleurs l’émergence d’une pensée philosophique. La revue qui a édité cette Lettre philosophique sera interdite par le Pouvoir.
Dans les années 1830 et 1840, Slavophiles et Occidentalistes divergent sur la question du passé, ainsi que celle du futur de la Russie. D’un côté, les Occidentalistes pensent que la Russie doit suivre la voie de l’Occident. Ils ont un souvenir positif du règne de Pierre le Grand et contestent farouchement celui autocratique de Nicolas 1er.
De leur côté, les Slavophiles sont convaincus que la Russie, en raison de son développement en marge de l’Histoire, n’ayant pas participé à la civilisation européenne et n’ayant pas de passé ni de futur en plus de n’être rattachée ni à l’Orient ni à l’Occident, doit suivre une voie particulière. Ils pensent que l’orthodoxie la rend supérieure sur l’Occident et, contrairement aux Occidentalistes, blâment le règne de Pierre le Grand car il a détourné la Russie de la voie qui lui était destinée.
Malgré leurs différents, les deux camps affichent des avis similaires : tous deux sont contre le servage, demandent que ce soit le pouvoir qui serve le peuple et non l’inverse. Ils réclament également la liberté de parole - par conséquent l’abolition de la censure -, sans compter qu’il s’agit de petits groupes nobles dont les rencontres se font dans les salons de Moscou.
Nicolas 1er, ne se rangeant d’aucun côté et défendant le servage, condamne et réprime autant les Occidentalistes que les Slavophiles. La discorde est néanmoins toujours actuelle : quelle est la place de la Russie aujourd’hui ? Est-elle européenne ou non ?
Occidentaliste célèbre, Alexandre Herzen est conscient que la culture russe est faite d’imitation et d’importation depuis l’époque de Pierre le Grand. Cependant, il ne perçoit pas cette culture occidentale comme un retard de la Russie. Il regrette néanmoins que l’Orthodoxie ait tiré le pays vers Byzance et non vers Rome, ce qui aurait été le cas si la Russie avait adopté la religion catholique.
Auteur de Passé et méditations, Herzen est avant tout socialiste et fait partie des premiers exilés politiques russes. C’est pendant le règne de Nicolas 1er que les grandes idées sociales et politiques naissent. En outre, c’est à cette période que la littérature connaît son âge d’or avec des auteurs comme Gogol, Tourguéniev, Lermontov et surtout Pouchkine, sans oublier que paraissent également les premières œuvres de Dostoïevski et de Tolstoï. Douze œuvres au total paraissent sous Nicolas 1er.
Les Occidentalistes comme Alexandre Herzen et Bakounine, le plus célèbre anarchiste de l’Europe du XIXe siècle et ami de Herzen, inspireront plus tard les marxistes russes. Sous Nicolas 1er, ils sont l’objet des discussions dans les salons de Moscou.
Les Occidentalistes sont des voyageurs qui ont eu l’opportunité de voyager à l’étranger et de pouvoir en discuter entre eux, contrairement aux paysans. Il s’agit donc d’une minorité de la population russe qui se sent le devoir d’éduquer le peuple. Les Occidentalistes se regroupent pour répondre à la Lettre philosophique de Tchaadaev, et avant tout pour répandre l’Occident. En effet, en héritant de la culture européenne, la Russie est sur la bonne voie. Evidemment, cette idée s’oppose à celle des Slavophiles qui revendiquent la supériorité de l’orthodoxie ainsi que les valeurs de la Russie ancienne. D’ailleurs, les conquêtes de cette dernière participent à la naissance d’un sentiment de supériorité vis-à-vis des populations non européennes.
Bien que les réformes de Pierre aient détourné la Russie de ce qu’elle était aux yeux des Slavophiles, les deux camps aiment la Russie, dont Tchaadaev qui, en réalité, donnait des solutions dans sa Lettre. Il devra d’ailleurs l’expliquer par la suite dans Apologie d’un fou, lui qui était traité de la sorte, afin de légitimer sa publication jugée scandaleuse.
Le règne de Nicolas 1er se montre très répressif ; il devient particulièrement dangereux de s’élever contre le tsar. Pourtant, c’est ce qu’entreprend la Pologne en 1830, à la même période que les Trois Glorieuses. En effet, soumise à la Russie depuis le Congrès de Vienne, la Pologne veut se libérer de ce joug et se révolte. Mais la répression est très violente de la part des Russes, et finalement, la Pologne en fera officiellement partie à l’issue du soulèvement. Les Russes perçoivent cette révolte comme une ingratitude à l’égard de la civilisation qu’ils leur offrent.
Mais les pays européens s’en mêlent. Pouchkine, pourtant peu conservateur, leur fait savoir à travers Aux calomniateurs de la Russie qu’il s’agit d’une histoire de famille entre la Pologne et la Russie et que c’est à elles de la résoudre sans que les autres nations s’en mêlent.
L’empire ottoman bénéficie du soutien de la Russie. En effet, Nicolas a proposé son aide à la Turquie en vue des la menace du chaos qui règne sur l’Europe ainsi que sur les Balkans. Le traité d’Unkiar-Skelessi, signée en 1833, certifie du soutien mutuel entre les Empires russe et ottomans en cas d’agression : la Russie exerce ainsi une sorte de protectorat.
Après la convention de Londres en 1841, octroyant à l’Empire ottoman des droits sur les détroits en visant à rééquilibrer les forces, le système Nicolas débute en 1848 : désormais, il est interdit de voyager, la censure est renforcée, l’autonomie de l’université se réduit et les étudiants, ainsi que les professeurs, sont surveillés hors des cours. De plus, ces derniers sont triés : les cours comme la philosophie visant l’ouverture d’esprit, ou le droit, sont supprimés pour éviter toute émergence d’idées libérales.
Sources : RIAZANOVSKY, Nicholas, Histoire de la Russie des origines à 1996, Paris, Laffont, 1999.
AMACHER, Korine, La Russie, 1598-1917 : révoltes et mouvements révolutionnaires, Infolio, 2011
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