Les victimes du Romantisme
lundi 9 novembre 2020, par
C’est une forme d’autobiographie qu’Alfred de Musset écrit dans son roman La Confession d’un enfant du siècle (1836). Retraçant son histoire d’amour avec George Sand, que l’auteur dit lui-même dans une des lettres qu’il adresse à sa maîtresse : « Je m’en vais faire un roman. J’ai bien envie d’écrire notre histoire ; il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur », c’est aussi le portrait du Romantisme que l’auteur peint dans son œuvre. Entre un personnage exalté, et un amour destructeur, la littérature du XIXe siècle comporte de nombreux personnages similaires, tous victimes du fameux « Mal du siècle ».
Les deux premiers chapitres de La Confession relatent la période napoléonienne, avec laquelle Alfred de Musset met en lien l’histoire d’Octave et le XIXe siècle. Cette référence historique correspond aux sentiments du personnage, étant donné que nous sommes ici en pleine époque romantique. Dans son roman, Musset parle au nom d’une génération, et compare la période révolutionnaire à l’Amour. La perte de ses illusions sentimentales se rapporte à la perte de la liberté du peuple : « Ah Dieu ! m’écriai-je tout à coup, ma pauvre maîtresse, je vous perds, et je n’ai pas su vous aimer ! » [1] Les guerres de l’Empire sont une période douloureuse pour les Français, et la souffrance d’un seul homme (Octave) est équivalente à la douleur de tout un peuple : « il n’en était pas un qui, en rentrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains. » [2]
En pleine période romantique, La Confession est un roman qui porte sur le rêve, la passion et les émotions. En commençant par parler de la période révolutionnaire, Alfred de Musset souhaite montrer la confrontation à la réalité, tel un enfant quittant l’enfance, ou un homme surprenant sa compagne le tromper : « Quand la passion emporte l’homme, la raison le suit en pleurant et en l’avertissant du danger. » [3]
Courant apparu au lendemain de la Révolution française, le romantisme succède au siècle des Lumières. Caractérisée par une écriture mélancolique, la littérature romantique se fonde essentiellement sur la passion et le mal de vivre, avec des personnages en proie à des sentiments décuplés. Le romantisme naît en Angleterre et s’oppose aux codes classiques : le rêve succède à la noblesse des sentiments, ainsi que l’introspection du personnage principal. Un certain goût pour le fantastique se développe, et également pour les romans historiques telles les œuvres de Stendhal, retraçant la période napoléonienne ou celle de la Restauration.
C’est dans un cadre mû par le courant romantique que le Mal du siècle émerge et imprègne l’esprit des écrivains. Le Moi prépondérant instauré par Rousseau et instigué par Lamartine plonge la littérature dans l’introspection. Une fois que l’auteur donne accès au monde intérieur du héros, il expose le mal de vivre et la mélancolie qui l’animent. L’ennui devient la hantise des auteurs, et la nostalgie envahit les esprits : « Tout me lasse ; je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie. » dirait Chateaubriand pour une génération douée de sensibilité et en proie aux désillusions de la vie, qu’elle juge trop fragile pour l’idéal qu’elle convoite : « Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou, si l’on veut désespérance ; comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. » [4] Impuissants face à un idéal inaccessible, certains romantiques tombent dans la débauche avec l’espoir d’échapper à cette maladie du siècle. Charles Baudelaire reste la figure emblématique du poète maudit, victime du mal de vivre. Le spleen, comme il le nomme, terme venu des pays nordiques, révèle la terrible condition humaine et son désespoir. Il tente d’y échapper par le rêve, mais aussi par l’alcool, le sexe et la drogue. Mélancolie exacerbée, dépression évacuée dans les mots : toutes ses déceptions l’accablent : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle / Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, / Et que de l’horizon embrassant tout le cercle / Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits » [5]
D’autres auteurs trouvent comme remède la proximité avec la nature. En effet, le Mal de vivre se caractérise par une fuite dans la rêverie et les voyages. Mais l’exotisme est également un mode d’évasion : la nature devient lieu de ressourcement et de liberté où l’esprit se réfugie, comme en atteste le célèbre poème « Le Lac » (1820) de Lamartine. La nature permet une prise de distance avec un monde « trop vieux » et une société débordante de conventions.
Sources : Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836
ZANONE, Damien, Difficulté d’être et mal du siècle dans les Correspondances et Journaux intimes de la première moitié du XIXe siècle. In : Romantisme, 2001
TERRASSE, Jean, Le mal du siècle et l’ordre immuable : introduction à une esthétique, Bruxelles : André de Rache, 1973
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