1682-1725
mardi 23 février 2021, par
Dès le début de son règne, en 1682, Pierre le Grand abolit le Mestnichetsvo, commençant déjà à s’éloigner du système moscovite. De la lignée des Romanov, il est dès 1696 le seul souverain de la Moscovie. Parfois comparé à Ivan IV pour sa violence et son alcoolisme, il est considéré par certains comme anti-russe notamment pour sa prise en grippe de l’Eglise orthodoxe. Il revendique pourtant aimer son pays, mais avoir la velléité de le moderniser en s’inspirant de la culture européenne. Fondateur de l’armée russe moderne, Pierre le Grand annexe de nombreux territoires jusqu’à produire une importante augmentation de la population russe.
Le début de son règne s’avère très compliqué : après la mort du tsar Alexis Ier marié à deux femmes, Maria Miloslavskaïa - mère de Théodore, Ivan et Sophie - et Natalia Narychkine -mère de Pierre -, l’enfant de son premier mariage du nom de Théodore lui succède. Mais il meurt rapidement en 1682, soit après six ans de règne et sans héritier. Les deux familles des épouses d’Alexis s’affrontent en quête du pouvoir : Pierre assure alors la fonction de « co-tsar » avec Ivan son demi-frère jusqu’à une révolte des Streltsy [1] dirigée par Sophie Miloslavskaïa, la sœur d’Ivan et de Théodore, et donc la demi-sœur de Pierre. Des membres de la famille des Narychkine sont assassinés lors de la révolte et Sophie devient régente en 1682. Bien que très jeune, Ivan est proclamé officiellement tsar par la Douma des boyards, tandis que Pierre est relégué à la seconde place.
Sept ans plus tard, malgré son coup de force pour obtenir le pouvoir, ainsi que ses tentatives pour le garder et son espoir de devenir souveraine, Sophie n’est pas soutenue par les Streltsy. Elle finit par se rendre à Pierre : elle est immédiatement envoyée au couvent. C’est donc en 1689 que Pierre revient sur le trône, à l’âge de dix-sept ans, mais toujours avec Ivan. Cette fois cependant, la régence revient à Natalia Narychkine, la mère de Pierre, jusqu’à sa mort en 1694. Deux ans plus tard, Ivan meurt à son tour et Pierre est seul tsar de Moscovie.
Pierre se montre vigoureux, contrôlant et passionné par la marine ; il s’intéresse aux affaires de l’état, à l’armée en plus d’apprendre divers métiers. Bien que tsar, il considère l’Etat supérieur à lui, et estime que le pays doit donc servir les intérêts de celui-ci.
Ce qui lui vaut son statut « d’anti-russe » est son obsession de vouloir importer l’Europe en Russie. Il ne se sent pas proche de la cour, préférant s’entourer de collaborateurs étrangers et de diverses nationalités. En outre, son mariage est un échec : les épouses sont choisies par la famille et personne n’est disposé à le suivre dans ce milieu traditionaliste que Pierre aimerait changer. Exceptés, bien sûr, ses collaborateurs étrangers qui lui sont très fidèles.
Au début du règne de Pierre Ier, malgré le traité de paix avec la Pologne qui cède Kiev, il s’agit d’une période belliqueuse : la Russie entre en guerre contre les Tatars de Crimée et l’Empire ottoman qui les protège en contrôlant la mer Noire. Mais c’est un échec. En effet, il manque une flotte à la Russie. C’est pourquoi Pierre entreprend sa construction sur le Don, qui coule jusque dans la mer d’Azov. C’est à Azov que sont transportés des milliers de vaisseaux en 1696 et qui font céder aux Turcs la forteresse d’Azov.
Comme l’existence d’une flotte se révèle capitale, le tsar envoie une cinquantaine de jeunes Russes étudier la construction navale à l’étranger. De plus, il cherche en Europe un pays qui s’allierait avec lui contre la Turquie à la fin du XVIIe siècle.
Après la Grande Ambassade contre la Turquie entre 1697 et 1698, Pierre doit se rendre précipitamment en Russie car les Streltsy se soulèvent en juin 1698 : le but est de mettre Sophie sur le trône à la place de Pierre suite à un complot. Ce dernier se montre cruel et la répression est très violente. Les Streltsy sont arrêtés, puis exécutés ; les corps sont ensuite mutilés. En ce qui concerne Sophie, elle porte le voile… et Pierre en profite pour envoyer également son épouse au couvent.
L’élimination des Streltsy rime avec la rupture d’un monde ancien : les réformes de Pierre le Grand commencent vers 1699-1700, lorsqu’il impose le calendrier julien [2], l’habillement et l’armée à l’occidentale, et plus particulièrement le renoncement à la barbe pour les hommes car cela correspond à la virilité de l’Occident. Pour le tsar, la Moscovie est en retard et il est temps, voire urgent de s’inspirer de l’Europe. Il est d’ailleurs à l’origine de nombreuses réformes, notamment religieuses. Il se montre néanmoins tolérant vis-à-vis des différentes religions. Les Streltsy étaient d’ailleurs les premiers à rejeter la modernisation et l’occidentalisation de la Russie.
Pierre commence par instituer une conscription universelle, qui oblige la noblesse et la paysannerie à servir toute leur vie. Seuls les marchands sont exemptés. Du côté de l’armée, Pierre met tout le monde à égalité : chaque conscrit, qu’il soit serf ou aristocrate, commence soldat et c’est à lui de grader. Dans la même période, des régiments d’élite sont formés, ainsi que l’industrie de constructions navales propres à la Russie. Il est temps de reprendre là où Ivan a échoué lors de la guerre de Livonie et l’élan de Pierre lui fait remporter la guerre contre la Suède. Mais cela inquiète l’Angleterre, avec qui la Russie entretient de bonnes relations commerciales.
Pierre Ier modifie également la loi de l’état : il substitue le sénat à la douma des boyards qui ne l’intéresse que très peu, de même que le zemski sobor [4]. Le procureur général, bras droit du souverain, dirige le sénat depuis 1722. Après avoir donnée un nom à d’anciennes institutions, Pierre morcelle la Moscovie en huit gouvernements qui ressemblent aux départements en France. La Sibérie en fait partie. Ces gouvernements sont eux-mêmes divisés en provinces, subdivisées à leur tour en cantons. Ces provinces sont dirigées par des membres de la noblesse locale. Cette division vise précisément à décentraliser la Russie.
Avant de mourir, Pierre promulgue une nouvelle loi de succession : désormais, le souverain choisit lui-même son successeur. Il ne vise pas ses filles qu’il y a eues avec Catherine, son épouse depuis 1712, ni Alexis, le fils de son premier mariage, qu’il considère comme un traître quant à son opposition à ses réformes. Sa devise : n’est tsar que celui qui le mérite. Mais c’est pourtant sans avoir désigné de successeur que Pierre le Grand meurt en 1725.
La vision que la population a de Pierre se dédouble : certains le prennent non pas pour un tsar, mais pour un imposteur tandis qu’en Occident, Voltaire par exemple, l’admire et écrit même une biographie du tsar de Russie. Selon lui, le pays était dans les ténèbres avant Pierre le Grand et les lumières sont apparues avec lui.
Au dix-neuvième siècle, deux groupes intellectuels, l’un slavophile et l’autre occidentaliste, se forment en discutant du passé de la Russie, ainsi que son futur [5]. Au dix-huitième siècle, la Russie se développe sur le modèle européen. Ces deux groupes se posent la question de la voie qu’elle doit suivre : plutôt occidentaliste, slavophile, ou sous l’influence d’un autre pays ?
Aujourd’hui, Pierre le Grand est apprécié en Russie : il est vu comme un autocrate fort et éclairé, proche de l’Europe, et qui agit au nom de l’Etat à une époque où l’Etat compte beaucoup, de même que durant l’époque soviétique. Sa cruauté, pour l’instant, est mise de côté.
Sources : RIAZANOVSKY, Nicholas, Histoire de la Russie des origines à 1996, Paris, Laffont, 1999.
AMACHER, Korine, La Russie, 1598-1917 : révoltes et mouvements révolutionnaires, Infolio, 2011
[1] Streltsy : corps militaire russe, qui a la même profession que la population en temps de paix. Ils représentent un danger pour le tsar.
[2] Il s’agit de compter les années depuis la naissance du Christ, et non pas depuis la création du monde.
[3] voir l’article Les réformes de Pierre le Grand
[4] Zemski sobor : Assemblée des états convoquée par le tsar et constituée du clergé, de boyards et d’habitants de la ville. Elle fut créée sous Ivan IV et disparut au début de l’Empire russe.
[5] voir l’article Le nationalisme russe
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