dimanche 8 avril 2007, par
Jean-Baptiste Jules Bernadotte, né le 26 janvier 1763 à Pau, en Béarn (France), mort le 8 mars 1844 à Stockholm (Suède), eut un destin singulier, passant, en l’espace de vingt-huit ans, d’un modeste grade de sous-officier français, en 1790, au rôle prestigieux, en 1818 de roi de Suède et de Norvège (sous les noms respectifs de Charles XIV Jean (Karl XIV Johan) et Charles III Jean (Carl III Johan)), après avoir été tour à tour, sous le Consulat et le Premier Empire, ambassadeur, ministre, général puis maréchal d’Empire.
Il est le fils d’un avocat. Après avoir reçu une éducation soignée auprès de son père, il embrasse par goût la carrière militaire en 1780. Il s’engage comme simple soldat en 1780 au régiment de Brassac, et n’est encore que sergent-major en 1789.
Lorsque la Révolution française éclate, il a le grade de sergent. Après s’être distingué aux armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse, il est proclamé, par Jean-Baptiste Kléber, général de brigade sur le champ de bataille en 1794. Il devient peu de mois après général de division et contribue puissamment aux victoires de Fleurus et de Juliers (1794)
Le passage qu’il opère sur le Rhin, près de Weuwied, en 1793, les avantages qu’il remporte sur l’ennemi, près de Lahn, en 1796, le blocus de Mayence, le combat de Neuhoff, le passage de la Rednitz, la prise d’Altdorf et de Neumark, la défaite du général Cray sur le Main, établissent d’une manière inébranlable sa réputation militaire.
Chargé en 1797 de conduire à Napoléon Bonaparte en Italie 20 000 hommes de l’armée de Sambre-et-Meuse, il rivalise d’ardeur avec le jeune général, et, quoiqu’il éprouve peu de sympathie pour lui, soupçonnant ses desseins ambitieux, il le seconde de tout son pouvoir : il prend une part glorieuse au passage du Tagliamento, s’empare de Gradisca, Trieste, Laybach, Idria, et vient après la campagne présenter au Directoire les drapeaux enlevés à l’ennemi.
Après le 18 fructidor, Bernadotte obtient le commandement de Marseille ; mais les troubles de cette partie de la France et la répugnance qu’il éprouve pour les mesures violentes, le font renoncer à ce poste. Il retourne alors à l’armée d’Italie.
A la suite du traité de Campo-Formio, Bernadotte est envoyé à Vienne, en qualité d’ambassadeur de février à avril 1798. Il y provoque une émeute pour avoir arboré le drapeau tricolore sur l’hôtel de l’ambassade, et quitte bientôt l’Autriche, parce qu’on lui refuse des réparations. Il se rend à Rastadt et de là à Paris.
Chargé du commandement de l’armée d’observation, en 1799, il reçoit l’ordre de passer le Rhin pour bloquer Philippsbourg ; mais les revers des Français en Italie et en Allemagne le forcent à renoncer à ce projet.
Nommé alors ministre de la guerre du 3 juillet au 14 septembre 1799 par l’influence de Barras après le 30 prairial, il cherche à ranimer le zèle des armées françaises par des mesures vigoureuses, il passe alors pour « l’épée » des néo-Jacobins en cas de coup d’État et réorganise en 2 mois (2 juillet-11 septembre 1799) les services qui étaient dans un état déplorable ; déjà il a rappelé la victoire sous ses drapeaux quand il est écarté par une intrigue de Sieyès : il démissionne ; à tort ou à raison, on lui attribue plusieurs fautes qui excitent le mécontentement et le forcent à donner sa démission peu de temps avant le 18 brumaire.
Il se retire alors à la campagne, se prononce contre le coup d’État de Napoléon Bonaparte, et le refroidissement qui s’opère à cette époque entre ces deux généraux s’accroît. Il est cependant choyé par Bonaparte, car il a épousé Désirée Clary, sa première fiancée et la belle-sœur de Joseph Bonaparte. Bernadotte entre au conseil d’État et accepte le commandement de l’armée de l’Ouest, dans la Vendée (1800) : il sait par ses habiles dispositions empêcher les Britanniques de débarquer à Quiberon et rétablir la tranquillité dans le pays.
Il est compromis par la conspiration des « libelles », dite aussi des « pots de beurre » montée par le général Simon, son chef d’état-major. Fouché étouffe l’affaire, mais Bernadotte est privé de son commandement.
Après la paix de Lunéville, il est nommé ambassadeur aux États-Unis ; mais la reprise des hostilités l’empêche de se rendre à son poste.
En 1804, on l’envoie à Hanovre comme gouverneur général, et il reçoit le bâton de maréchal lors de la première création ; il forme dans ce pays un corps d’armée, à la tête duquel il exécute plusieurs glorieux faits d’armes : ainsi, en 1805, il rétablit dans Munich l’électeur de Bavière Maximilien Ier de Bavière, allié de la France, et conquiert le pays de Salzbourg.
En 1805, Bernadotte contribue puissamment à la reddition d’Ulm en tournant l’armée autrichienne. À la bataille d’Austerlitz, il commande le centre de l’armée française qui résiste au choc désespéré des Russes.
En 1806, le 5 juin, le maréchal Bernadotte est créé prince de Pontecorvo. Cette même année, dans la campagne de Prusse, il commande le 1er corps ; à la journée d’Iéna-Auerstaedt il fait des allers-retours entre les deux champs de bataille proches sans participer à aucune, sa conduite est telle que l’Empereur signe l’ordre de le faire traduire devant un conseil de guerre ; il avait manqué de faire perdre la bataille.
Il bat ensuite les Prussiens devant Halle et à Lübeck, où il fait Blücher prisonnier, le force de capituler et s’empare de Lubeck, où le carnage est horrible malgré les efforts des généraux pour l’arrêter. Bernadotte a, en cette occasion, les plus grands égards pour ce qui reste d’habitants à Lubeck et surtout pour les prisonniers suédois.
Puis, marchant sur la Pologne, il passe la Vistule, il occupe Elbing, Braunsberg, et défait les Russes le 27 janvier à Mohrungen et à Spanden, le 5 juin, sur la Passarge, où il est grièvement blessé (1807). Cette blessure l’empêche de prendre part à la bataille de Friedland.
Nommé, après sa guérison, gouverneur des villes hanséatiques, et chargé d’opérer contre la Suède, il suspend les hostilités dès qu’il apprend qu’une révolution a précipité du trône Gustave IV de Suède, seul hostile à la France (13 mars 1808) ; cette conduite loyale lui concilie l’estime et l’affection des Suédois, mais elle paraît avoir excité le mécontentement de Napoléon Ier, dont elle contrarie les projets. Bernadotte, pour lui, ne brille guère sur les champs de bataille : il reste inactif à Austerlitz, Auerstaedt, arrive après la bataille à Eylau.
Après la paix de Tilsitt, il commande, jusqu’en 1809, l’armée d’occupation de l’Allemagne septentrionale.
À la rupture entre la France et l’Autriche, il prend le commandement de l’armée saxonne. Il commande le corps, composé en grande partie de Saxons, et contribue puissamment avec eux à la victoire de Wagram mais il se retire après la bataille, ne trouvant pas que l’Empereur ait dans ses bulletins rendu justice à ses troupes.
Napoléon le met à l’écart. Fouché lui obtient l’armée de l’Escaut à la fin de juillet 1809. Il n’en est pas moins chargé de repousser les Britanniques débarqués à Walcheren (juillet 1809) ; il accomplit en 60 jours cette difficile mission. Malgré ce nouveau succès, il se voit encore une fois privé de son commandement : l’Empereur lui enlève l’armée de l’Escaut dès septembre.
Il est en disgrâce complète lorsqu’un trône lui est offert. Il devient prince royal de Suède Charles XIV Jean le 21 août 1810, adopté par le roi Charles XIII n’ayant pas d’enfant, les états généraux d’Örebro élisent le maréchal Bernadotte prince héréditaire de Suède.
La seule condition qu’on lui impose est d’abjurer la religion catholique pour la réformée. Eugène de Beauharnais s’y était refusé, sa femme, princesse de Bavière, n’aurait pu s’en consoler.
Il part avec l’assentiment de Napoléon qui accepte ce choix, espérant tenir ainsi un allié solide au nord de l’Europe. Certains observateurs expliquent partiellement cet agrément par le fait que le maréchal avait épousé Désirée Clary, ancienne fiancée du jeune Bonaparte.
Bernadotte abjure le 20 octobre, il débarque à Helsingborg, et le 31 suivant, il est présenté aux États ; le 5 novembre, adopté par le roi Charles XIII, il prend les noms de Charles-Henri. Il consent d’abord à seconder la politique de l’Empereur et accède même au blocus continental et dès 1811, pendant la maladie de son père adoptif, il commence à diriger les affaires du royaume.
En 1812, il provoque le décret qui ouvre les ports de la Suède au commerce de toutes les nations. Cette même année, il tient un moment en ses mains les destinées du monde : avant que Napoléon ait atteint Moscou, il peut reprendre la Finlande et marcher sur Saint-Pétersbourg ; mais au commencement de 1812, les troupes françaises ayant envahi le territoire suédois, il rompt avec Napoléon. Loin de se révéler l’allié escompté par l’empereur, le nouveau prince héritier préfére jouer avant tout la carte de son royaume.
Voyant l’Empire ébranlé, il favorise, en 1813, l’entrée de la Suède dans la coalition contre la France, se révélant un général de talent. En juillet 1813, il se joint à la coalition contre la France, non sans avoir tenté tous les moyens d’éclairer Napoléon sur les dangers de sa situation ; il prend le commandement de l’armée alliée du nord de l’Allemagne.
Nommé généralissime de l’armée du Nord, le prince royal débarque à Stralsund avec 30 000 Suédois, vainc Oudinot à Gross-Beeren (23 août 1813), Ney à Dennevitz (6 septembre 1813), et prend une part décisive à la bataille de Leipzig (1813)
Puis il descend l’Elbe, s’empare de Lubeck et se dirige vers le Holstein, où il force le roi de Danemark à signer, le 14 janvier 1814, la paix de Kiel, en vertu de laquelle la Norvège est cédée à la Suède. Il s’avance ensuite lentement vers la France à la tête de son armée et gagne assez de temps pour que la nouvelle de la paix de Paris le dispense de passer le Rhin. Il proteste hautement contre l’invasion du territoire français, et accuse les alliés de manquer à la foi promise ; il tente même, mais inutilement, de déterminer Napoléon Ier à la paix, et de détourner les alliés de passer le Rhin.
Il caresse l’espoir de remplacer Napoléon sur le trône impérial, perspective à laquelle le tsar Alexandre Ier n’aurait pas été hostile, dans le cadre d’une sorte d’« échange » qui aurait vu l’un de ses neveux accéder au trône de Suède. Cette combinaison, si elle est avérée, n’eut pas de suite. Le Congrès de Vienne, ayant préféré entériner la Restauration des Bourbons en France, retire la couronne de Norvège au royaume de Danemark pour l’offrir aux souverains suédois.
À peine de retour en Suède, où il est reçu avec enthousiasme, il marche sur la Norvège, dont la possession lui avait été assurée par les alliés, et s’en rend maître en 15 jours (1814).
En 1815, il refuse formellement d’entrer dans la seconde coalition contre Napoléon.
Le 5 février 1818, l’ex-maréchal Bernadotte devient roi de l’Union des royaumes de Suède et de Norvège sous le nom de Karl XIV Johan (Charles XIV Jean) en Suède et de Karl III Johan en Norvège. Charles-Jean ne s’occupe plus que de faire prospérer ses États ; il cimente l’union (forcée) des Suédois et des Norvégiens, tout en laissant à chacun des deux peuples, dans une certaine mesure, sa constitution propre, développe l’instruction publique, l’agriculture, l’industrie et le commerce, et réunit, par le canal de Gothie, l’Océan et la Baltique (1822). II prend pour devise : « L’amour de mon peuple est ma récompense » (Folkets kärlek min belöning en suédois), une prétention plutôt vaine aux yeux de ses contemporains scandinaves, même si les Suédois et les Norvégiens connaissant mal l’histoire du XVIIIe siècle et de la douloureuse union suédo-norvégienne (dissoute en 1905) en ont gardé un souvenir plutôt agréable. Pour autant, il a contraint l’administration des deux royaumes et la Cour à utiliser le français, puisque lui-même a toujours refusé d’apprendre le suédois et, a fortiori, les langues norvégiennes. Si l’opinion de l’aristocratie suédoise (qui a trouvé en lui le chef de guerre qui leur faisait défaut après la faillite de Gustaf IV Adolf dans sa guerre contre la Russie, coûtant à la Suède la perte de la Finlande) à son égard est positive dans l’ensemble, il n’en va pas de même pour les patriotes norvégiens, qui ne voient en lui que mal, arbitraire et folie politique, insouciant des besoins quotidiens et des aspirations des Norvégiens à se libérer du joug de la couronne suédoise depuis 1814, annexant la Norvège qui sort à peine du condominium danois (helstaten, de 1660 à 1814).
Ses descendants règnent encore sur la Suède.
Une grande enquête est en cours dans les archives Bernadotte de Stockholm, elle a été lancée par le laboratoire FRAMESPA de l’université de Toulouse 2-Le mirail en 2003. Les documents sont conservés au palais royal de Stockholm (Kungliga Slottet) et ils sont consultables aux archives nationales après l’obtention d’une autorisation signée par le roi et l’organisation du transfert des dossiers d’un fonds à l’autre. Ces archives sont totalement en français car Bernadotte, malgré ses efforts, n’ayant jamais maîtrisé le suédois, il fit traduire systématiquement tous les documents de son administration en Français. Le coordinateur de cette enquête, Jean-Marc Olivier, en dresse les premiers résultats dans le numéro 2 de la Revue d’histoire nordique d’octobre 2006. Une dizaine de masters ont déjà été soutenus devant cette université sur Bernadotte devenu Charles XIV Jean, ils sont conservés dans la bibliothèque de l’UFR « Histoire, arts et archéologie ».
Sa Correspondance avec Napoléon de 1810 à 1814, Paris, 1819, et un Recueil de ses Lettres, proclamations et discours (Stockholm, 1825) ont été publiés. Son Histoire a été écrite par Touchard-Lafosse, 1838, et par Bernard Sarrans, 1845.
Il est rapporté que, de son vivant, Charles XIV Jean n’aurait laissé aucun médecin l’examiner torse nu. On en aurait découvert l’explication lors de sa toilette funèbre : cet ancien soldat de la République aurait en effet été porteur d’un tatouage disant « Mort aux rois ! » (ou « Mort aux tyrans »).
L’Université suédoise de Chalmers à Göteborg lui a rendu hommage en faisant sienne sa devise en français : « Avancez ! ».
Bernadotte, alors jeune soldat de corps de garde à Paris, reçut en 1780, un legs de dix louis du poète Nicolas Gilbert.
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