Et l’Enéide
dimanche 26 novembre 2017, par
Comme Virgile connut la gloire de son vivant, il est difficile de séparer légendes et éléments réels qui constituent sa vie. Ce qui est sûr, c’est qu’il a bien écrit l’Enéide et que son œuvre est restée célèbre jusqu’à aujourd’hui.
Publius Vergilius Maro est né en 70 av. J-C près de Mantoue. Il grandit à la campagne, dans une famille plutôt aisée, et commence rapidement des études intellectuelles. Il découvre la littérature grecque et latine à Crémone et Milan trois ans avant de prendre la toge virile, soit en 55 av. J-C. On dit que ce serait le jour même de la mort de Lucrèce.
Né sous le consulat de Crassus et Pompée, Virgile avait deux frères, Silon et Flaccus. Mais tous deux moururent très jeunes, Silon était encore enfant. Ses parents, Magia Polla et Vergilius Maro, dirigent Virgile vers une carrière politique, plus précisément d’avocat, mais on se rendra compte plus tard que l’éloquence de Virgile n’est pas à la hauteur de ce métier et qu’il y renoncera.
Virgile se rend à Naples en 49 av. J-C, où il étudie les lettres latines avec Epidius (rhéteur) et Parthénius (grammairien), mais évite surtout la guerre entre César et Pompée qui éclate cette année-là. Virgile revient après la mort de César, en 44 av- J-C. Mais trois ans plus tard, il voit ses terres spoliées par les triumvirs, à savoir Octave, Antoine et Lépide. Ceux-ci avaient besoin de terres pour les soldats revenus, afin d’assurer leur fidélité. Profitant du fait qu’il est proche d’Octave, le futur empereur amateur de poésie, Virgile tente de résister et lui réclame la reddition de son domaine.
L’auteur de l’Enéide consacre les dix dernières années de sa vie à la rédaction de son œuvre. Les 22 septembre en 19 av. J-C, alors qu’il rentrait de Grèce, Virgile meurt au port italien de Brindes à cause d’une insolation. Sa dernière volonté est de brûler l’Enéide qui comporte encore des imperfections qu’il n’a pas pu corriger. Mais Auguste (anciennement Octave) s’oppose à ce souhait, et demande à L. Varius et Potius Tucca de faire publier le poème, qui obtiendra un grand succès.
Les Bucoliques racontent la vie à la campagne, ou plutôt mettent en place un paradis imaginaire. C’est, en quelque sorte, l’équivalent des Idylles de Théocrite. Mais Virgile mentionne surtout à travers les bergers de l’oeuvre la dépossession de ses terres en 41 av. J-C, lorsque le domaine familial fut donné aux vétérans, et qu’il s’était adressé à Octave pour qu’il le lui restitue. Les Bucoliques remportent un franc succès, et se voient même adaptées à des représentations scéniques.
Les Géorgiques sont un éloge de la campagne italienne, et mettent en avant les valeurs de l’agriculture, ainsi que les « devoirs religieux de la vie rurale ». Les quatre chants pourraient apparaître à première vue tels des conseils adressés aux paysans sur la manière de cultiver, comme l’a fait Caton l’Ancien dans son œuvre De agricultura. Mais Virgile va même jusqu’à proposer des idées philosophiques, et il parle beaucoup d’épicurisme.
(Chant I) Enée vient de quitter la Sicile, et Junon provoque une tempête que Neptune apaise bientôt pour permettre à Enée de débarquer en Afrique. Plus précisément à Carthage, où il fait la rencontre de Didon, aidé par sa mère Vénus qui l’a conduit à travers le pays aux côtés d’Achate. « C’est en femme qui connaît le malheur, que j’(Didon) apprends à secourir les malheureux. » Un banquet est donné en l’honneur du héros troyen, durant lequel Cupidon, sous la forme d’Ascagne, fera naître un amour passionnel entre Enée et la reine.
(II) Enée raconte son aventure : les Grecs offrent un immense cheval aux Troyens. « Dans le sein ténébreux du colosse ils enferment en secret des guerriers d’élite que le sort a désignés, et remplissent de soldats armés les cavités profondes que recèle son ventre. » Laocoon tente de prévenir les Troyens, mais deux serpents sortent de l’eau et le tuent. Les Troyens font entrer le présent dans l’enceinte. Malgré l’avertissement d’Hector dans les songes d’Enée, celui-ci assiste au carnage par les Grecs, ainsi qu’à la mort de Priam. « Bientôt Pyrrhus sera là, couvert du sang de Priam, lui qui égorge le fils sous les yeux du père, et le père au pied des autel. » et le héros Troyen fuit avec son père Anchise et son fils Iule. Mais son épouse ne partira pas avec eux ; elle meurt dans les flammes de la ville. « Ne verse plus de larmes sur ta chère Créuse. Non, je ne verrai pas les demeures superbes des Myrmidons ou des Dolopes. »
(III) Enée arrive à Buthroté, où il retrouve Hélénos et Andromaque. Le voyage doit se poursuivre jusqu’en Italie en passant par la Sicile. Aussitôt arrivé, un compagnon d’Ulysse raconte l’aventure du cyclope Polyphème. « Ses brebis porte-laine l’accompagnent : c’est le seul plaisir qui lui reste, l’unique consolation de ses maux. Quand il a atteint les flots profonds au large, il lave avec l’eau de la mer le creux béant de son œil d’où le sang coule, il grince des dents et il gémit. » En le voyant, les Troyens fuient. Anchise meurt, et là se termine le récit d’Enée. « C’est là, ô le meilleur des pères, que tu m’abandonnes à ma lassitude, hélas ! toi qui vainement échappas à de si grands dangers. »
(IV) Didon et Enée sont surpris par l’orage, et s’isolent comme prévu par les dieux dans une grotte où ils s’unissent. « Des éclairs brillèrent au ciel complice de ces noces et, sur les hautes cimes, les Nymphes hurlèrent. » Mais Jupiter charge Mercure de rappeler à Enée sa mission. Le héros doit partir alors qu’il brûle d’amour pour la reine d’Afrique. Celle-ci le supplie de rester, mais sans succès. « Ainsi le héros se voit assailli de plaintes sans fin ; sa grande âme en est pénétrée de douleur, amis son jugement demeure inébranlable, c’est en vain que coulent ses larmes. » Didon passe une nuit de désespoir et prépare sa fin. Elle demande même indirectement à sa sœur Anne de l’aider à mourir. A l’aube, quand elle voit le navire troyen partir au loin, la reine se tue avec l’épée de son amant.
(V) C’est l’anniversaire de la mort d’Anchise. Le tombeau se trouve en Sicile, et c’est là-bas que se réunissent les Troyens. Des combats équestres sont organisés en l’honneur du père d’Enée. Mais lassées de tous ces voyages, les femmes de Troie incendient le navire en pleine fête. « Et les Troyens, tournant les yeux, voient dans un nuage de fumée tourbillonner des cendres noires. » Anchise apparaît à son fils, découragé, et lui recommande d’aller à Cumes. Là-bas, il sera guidé par la Sibylle jusqu’au Royaume des Morts. Le navire repart à nouveau.
(VI) « Ô toi qui en as bien fini avec les gros périls de la mer, la terre t’en réserve de plus redoutées encore. » La Sibylle conduit Enée dans les Enfers. Il retrouve Didon « sa blessure encore fraîche, errait dans les grands bois, » ainsi que ses compagnons de la guerre de Troie.
(VII) Les Troyens arrivent dans le Latium, où le roi Latinus propose sa fille en mariage à Enée. « Une fille lui restait, seule héritière de sa maison et de ses vastes domaines, déjà mûre pour le mariage, bien en âge de prendre un époux. » Mais Junon, toujours aux aguets, ne manque pas de suivre Enée le long de son voyage. « Elle aperçut au loin, du haut du ciel, Enée et sa flotte tout à la joie. » La colère s’empare à nouveau de Junon. « Et moi, l’auguste épouse de Jupiter, moi qui ai pu tout oser, tout tenter, malheureuse ! je suis vaincue par Enée ! » Elle ne voit plus qu’une solution : il lui faut de l’aide extérieure, une aide qui romprait la paix et ainsi la gloire du héros. Il faut créer une hostilité. « Du séjour des Furies, des ténèbres infernales elle appelle la faiseuse de deuils, Allecto. Tristes guerres, fureurs, trahisons, funestes calomnies, tout tient au cœur de cette Furie. » La guerre pourra bientôt commencer.
(VIII) Le dieu du Tibre vient s’adresser à Enée durant son sommeil. Il lui dit de se rendre chez les Arcadiens, qui ont bâti une ville du nom de Pallantée. « Ce peuple est continuellement en guerre contre les Latins. Prends les dans ton camp pour alliés, conclus un pacte. » A son réveil, Enée s’en va trouver Evandre. Il rencontre Pallas, son fils, à qui il demande de parler à son père. « Apportez-vous ici la paix ou la guerre ? » Alors le pieux Enée lui répond du haut de sa poupe, et lui tend un rameau d’olivier, symbole de la paix. » Enée a besoin d’une alliance, et c’est auprès d’Evandre que Pallas le conduit. Lorsque Enée rencontre le père, celui-ci lui raconte l’affrontement entre Hercule et Cacus. L’alliance est accordée. Quand Evandre voit partir son fils, il implore Jupiter de le garder en vie jusqu’à son retour, afin que lui aussi accepte de rester en vie. « Mais, ô Fortune, si tu me menaces d’un coup indicible, brise maintenant, oui, maintenant, la trame d’une vie qui me serait cruelle, tandis que le doute balance mes alarmes (…) » Enée part chercher de l’aide chez les Etrusques. En voyant son fils, prise de pitié, Vénus lui donne un bouclier forgé par Vulcain. « Voici les dons que je t’ai promis et que je dois à l’art de mon époux : n’hésite pas, mon fils, à provoquer bientôt au combat les insolents Laurentes ou le bouillant Turnus. » L’histoire de l’Italie est gravée sur le bouclier, ainsi que les triomphes des Romains.
(IX) Profitant de l’absence d’Enée, Junon s’en va prévenir Turnus et le décide à attaquer le camp troyen. « Et, brandissant son javelot, il le lance dans les airs, signal du combat, et s’élance fièrement dans la plaine. » Nisus et Euryale, troyens, voient Turnus. « Ils n’avaient qu’une passion et se jetaient d’un même cœur dans la guerre ; cette fois encore, ils gardaient tous deux la même porte. » A la vue du carnage entamé, ils tentent d’aller prévenir Enée, mais en vain. Turnus terminera le massacre du lieu troyen.
(X) Lors du conseil des Olympiens, Jupiter prend la décision de ne pas intervenir. Quand Enée arrive, c’est la guerre contre Turnus. « Déjà Turnus a sauté à bas de son char ; c’est à pied et de près qu’il veut attaquer Pallas. » Après avoir esquivé de justesse le javelot que Pallas a lancé sur lui, Turnus s’empresse d’en terminer avec son ennemi. Il tient dans sa main un bois armé d’un fer aigu, et il le lance sur Pallas qui le reçoit en pleine poitrine, malgré son bouclier. « En vain, le jeune guerrier arrache le trait tout chaud de sa blessure : son sang et sa vie s’échappent ensemble par la même voie. » Voyant qu’Enée en veut à Turnus d’avoir tué le fils d’Evandre, Junon protège l’ennemi du Troyen. Mézence se mêle au conflit, et court se battre contres les Troyens triomphants. « Mézence, tel un récif qui s’avance dans la vaste mer, exposé à la fureur des vents et de la mer, reste debout et immobile. » Pourtant, quand il se trouve face à Enée, Mézence se retrouve en situation de faiblesse, et son fils Lausus vient d’interposer pour le sauver. Le père recule, il se retire du combat, et envoie des hommes surveiller son fils, comme voudrait le faire un père inquiet. « Mais ses compagnons portaient en pleurant, mort, couché sur ses armes, le grand Lausus, victime d’une grande blessure. » Mézence ne peut supporter une telle tristesse. « Moi, ton père, je dois mon salut à tes blessures, et je vis par ta mort ! » Décidé à se venger du meurtrier de son fils, il retrouve son cheval, ainsi que sa consolation et lui fait une promesse. « Il faut vaincre aujourd’hui, rapporter les dépouilles sanglantes et la tête d’Enée, et venger avec moi les douleurs souffertes par Lausus ; ou, si notre effort ne trouve aucune issue, nous péririons ensemble. » Hélas, Enée le fera rejoindre le fils regretté.
(XI) Une trêve est proclamée pour l’enterrement des morts. Enée s’effondre devant le corps inanimé de Pallas. « Malheureux père, tu verras les cruelles funérailles de ton fils ! Voilà donc ce retour annoncé, ce triomphe attendu ! Voilà le fruit de ma belle promesse ! » Puis, l’heure arrive de la délibération des Latins : est-il temps de mettre un terme à la guerre ? « Que vos mains s’unissent pour une alliance, comme il vous est donné ; amis gardez-vous de mesurer vos armes avec les siennes. » C’est alors que les Troyens attaquent, mais « au milieu du carnage, bondit telle une Amazone, un sein découvert pour la bataille, le carquois sur l’épaule, Camille. » Camille, la reine des Volsques est là afin de conduire la cavalerie contre Enée. Mais elle est tuée par Arruns. « Elle n’a pas pris garde au sifflement de l’air, à l’arrivée du trait dans l’espace avant que la javeline, l’atteignant au-dessous du sein découvert, s’y fût enfoncée profondément pour boire son sang virginal. »
(XII) Le combat continue, mais Turnus voit son armée bientôt démunie face à celle du héros de Virgile. Il propose alors un duel à Enée pour mettre fin à ce massacre. « Je suis décidé à combattre Enée, décidé à connaître toute amertume dans les souffrances de la mort ; non, ma sœur, tu ne me verras pas plus longtemps sans honneur. Mais laisse-moi je t’en prie, avant de mourir, m’abandonner en furieux à ma fureur. » Face à face, Enée et Turnus s’affrontent : Turnus est blessé, et malgré ses supplications envers Enée, celui-ci a encore le souvenir le Pallas qui le hante, et alors « tout bouillant der rage, il lui plonge son fer en pleine poitrine. Le froid de la mort engourdit les membres de Turnus, et son âme indignée s’enfuit, en gémissant au séjour des ombres. »
Les six premiers chants correspondent à une Odyssée, qui raconte les voyages d’Enée à dans les différentes villes et régions qu’il traverse ; il part à la « quête de l’Italie », et les chants I à VI retracent une période de sept années. Les six derniers chants, quant à eux, ont un rythme plus lent que les précédents, et racontent une Illiade, pour ainsi dire les batailles que le héros troyen mène contre Turnus.
La poésie latine diffère de la prose en raison des contraintes d’un langage soutenu. L’ordre des mots est plus libre qu’en prose, les noms et leurs adjectifs correspondants se retrouvent souvent séparés, et un pronom relatif peut se placer au milieu de la phrase subordonnée.
Les mots eux-mêmes sont touchés par les contraintes. Des origines grecques, comme Aeneas qui désigne Enée, viennent se glisser dans les vers latins. Pour que ceux-ci collent à la scansion, certaines lettres disparaissent, comme par exemple deis ( = les dieux) qui devient dis. Ou alors plus qu’une lettre, comme amavisse ( = avoir aimé) qui se transforme en amasse, et virorum ( = des hommes) en virum.
D’autres complications dérangent la traduction. L’emploi du pluriel au lieu du singulier, qu’on appelle le pluriel poétique, les absences de préposition (in, ubi, quo), les différents noms pour parler d’un seul et même personnage, comme Didon qui bénéficie des appellations Dido et d’Elissa, ou alors reine d’Afrique. Mais ça marche aussi pour les villes : Troja = Ilium = Pergama = Troie, et Carthaginiensis = Phoenissus = Poenus = Punicus = Sidonius = Tyrius = Libycus = carthaginois !
SOURCES : Jacques Grason et Alain Lambert : Invitation aux lettres latines
Virgile, l’Enéide, traduction e3 S. Kefallonitis et O.Balazuc, Petits Classiques Larousse
Yves Bomati : l’Enéide de Virgile, Classiques Hatier
Adrien Cart, Pierre Grimal et alii : Les latins et les auteurs latins, Nathan
Annette Flobert : Virgile – Enéide (VII et VIII), Hatier
Virgile, Enéide
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