lundi 24 septembre 2007, par
De la colère des hommes du Nord, ô Dieu, délivre-nous ! » Ce cri montait d’innombrables églises alors que les Vikings se répandaient dans toute l’Europe, de Hambourg à Bordeaux. A la fin du viii’ siècle, les longs bateaux des hommes du Nord, bas sur l’eau, la proue ornée d’un dragon rouge, remontaient silencieusement les estuaires et les fleuves, apportant avec eux le feu, le viol et le pillage. En 793, le monastère de Lindisfarne, au large de la côte nord-est dé l’Angleterre, fut saccagé, ses moines massacrés, ses trésors pillés. Deux ans plus tard, les Vikings avaient atteint la côte irlandaise, près de Dublin ; en 799, la côte ouest de la France. Les moines de l’abbaye de Saint-Bertin, près de Rouen, disaient des « pirates danois », en 841, « qu’ils portent partout une fureur de rapine, de feu et d’épée » ; et un moine qui relate le siège de Paris en 885 appelle les Vikings « des bêtes sauvages qui vont à cheval et à pied par les collines et les champs.... tuant les nourrissons, les enfants, les jeunes gens, les vieillards, les pères, les fils et les mères... Ils ravagent, ils dépouillent, ils détruisent, ils brûlent... »
Mais toutes ces relations nous viennent des victimes des Vikings, et plus précisément d’hommes d’Église, les seuls qui savaient lire et écrire à l’époque. Et tout naturellement, ils ont tendance à exagérer autant le nombre que la férocité de leurs adversaires. Malheureusement, il n’existe aucun document viking, car ce peuple était illettré à cette époque. Nous devons donc nous en remettre à l’archéologie et aux récits de tiers, surtout des Arabes, et l’image qui se dégage ainsi est passablement différente.
Certes, les Vikings pillèrent et détruisirent, et particulièrement des églises et des monastères. Pour ces païens, les chrétiens devaient paraître vraiment stupides d’emplir ainsi leurs églises d’objets précieux et de les laisser à la garde de quelques moines. Ce riche butin ne pouvait qu’appâter leur convoitise, tout comme les villes et les villages sans défense.
Mais les Vikings n’ont pas laissé que des ruines fumantes derrière eux. Ils étaient tombés avec une telle rapacité sur une Europe stupéfaite et terrifiée que l’image du pirate venu du Nord devint un stéréotype populaire. On ignore le plus souvent que les Vikings étaient aussi un peuple de grands commerçants dont les navires marchands sillonnaient les voies navigables de l’Europe, du Groenland à la mer Caspienne. On ignore qu’ils utilisaient leurs nouvelles richesses, mal acquises il est vrai, pour construire des bateaux et faire du commerce avec les pays lointains, ou encore pour coloniser des terres plus fertiles que les étendues pelées de leur Scandinavie. C’est le cas du Danois Rorik, qui, après avoir saccagé maintes fois le port de Dorestad, à l’embouchure du Rhin, finit par s’y installer pour y devenir un prospère marchand. D’autres furent plus aventureux, fondant au loin des comptoirs qui devinrent de grandes villes, comme Dublin en Irlande et Kiev en Russie. Les Vikings venaient piller, mais ils restaient souvent pour faire du négoce. Le commerce scandinave était déjà florissant à l’époque des Romains, quand les marchands échangeaient fourrures, bétail, produits laitiers et ambre de la Baltique contre des articles de luxe. Les sources historiques sont rares pour les siècles qui suivent, mais les trésors amassés par les Scandinaves, leurs coûteux enterrements, montrent qu’au moment même où l’Europe était plongée dans les ténèbres, les peuples scandinaves continuaient à faire du commerce et à s’enrichir.
Au xe siècle, les coups de main se faisaient plus rares, et les Vikings s’étaient transformés en colons. En 911, par exemple, ils reçurent.la Normandie, où ils adoptèrent très vite la langue et la religion de leurs voisins français. Le duc de Normandie devint l’un des plus puissants souverains d’Europe ; ses soldats conquirent l’Angleterre en 1066 et, quelques années plus tard, la Sicile et le sud de l’Italie. Au nord, les Norvégiens osèrent aller plus loin que les voyageurs qui les avaient précédés. Sans boussole ni carte, à bord de bateaux à une seule voile qui ne faisaient guère plus de 20 mètres de long, les audacieux Vikings s’aventurèrent sur l’immense océan.
En Islande, jusque-là déserte, ils fondèrent une république de pêcheurs et de paysans, gouvernée par une assemblée où tout les hommes libres prenaient la parole. Cette démocratie, la première depuis la Grèce antique, survit encore, hommage au génie des Vikings. Plus à l’ouest se trouvait une île encore plus grande que l’Islande. Un Norvégien, Éric le Rouge, la découvrit en 982 et la baptisa - avec un certain optimisme - Groenland, c’est-à-dire la Terre verte. Quelques années plus tard, Leif, son fils, débarqua sur une terre qu’il appela Vinland - la Terre de la vigne, probablement Terre-Neuve -, qu’il tenta vainement de coloniser. S’il en avait été autrement, l’honneur d’avoir découvert l’Amérique serait probablement revenu à un Viking plutôt qu’à un Italien.
Près de Fittja, dans l’est de la Suède, se trouve une tombe où furent ensevelis les restes d’un commerçant viking (ou d’un pirate, puisqu’il était probablement les deux à la fois). Lorsque les archéologues l’ouvrirent, ils découvrirent, stupéfaits, quelle avait été l’étendue véritable du commerce des Vikings : des pièces d’argent de Cordoue, en Espagne, des monnaies d’Égypte, de Syrie, de Bagdad, et même de Tachkent, dans le centre de l’Asie.
En l’an 907, Byzance (aujourd’hui Istanbul), capitale de l’Empire byzantin et le plus grand marché du monde, se mit à trembler à l’approche d’une énorme flotte viking menée par Oleg, le roi suédois de Kiev. A l’abri de ses triples murailles et des chaînes qui barraient ses ports, la brillante métropole s’était longtemps crue à l’abri. Pourtant les ingénieux Vikings contournèrent ses défenses. Selon une chronique russe du XII’ siècle, Oleg amena ses bateaux à terre et les fit monter sur des roues. Puis, « quand le vent fut favorable, ils hissèrent les voiles et fondirent sur la ville ». Accablés, les Byzantins se virent contraints de demander la paix.
La chronique russe oublie cependant de mentionner que l’empereur byzantin et le plus gros de ses troupes se trouvaient hors de la ville. Lorsque Igor, fils d’Oleg, tenta de renouveler l’exploit en 942, il fut écrasé, et sa flotte détruite. A partir de cette date, cependant, des liens commerciaux et culturels étroits unirent la plus grande des villes de la Méditerranée orientale et les princes dynamiques, mais mal dégrossis, de Rus. Mais pourquoi Rus - qui a naturellement donné le mot de Russie - ? Rus est le nom que leurs voisins finnois donnaient aux Vikings. Toujours selon la chronique russe, les Slaves, au IXe siècle, invitèrent les envahisseurs vikings à régner sur leur territoire, en ces termes
« Notre terre est riche mais il n’y a point d’ordre chez nous. Venez régner sur notre peuple. » Aucun Viking bien né n’aurait su résister à une telle invitation. Riourik et ses descendants s’installèrent donc bientôt à Novgorod, à Smolensk et - plus important - à Kiev, qu’ils déclarèrent « mère des villes russes » et qui devint la première capitale de cette terre slave, la future Russie. Les mots « russe » (russkie) et « Russie » (Rossija) sont sans doute dérivés de « rus ».
Au croisement des grandes routes commerciales qui menaient à la mer Noire et à la mer Caspienne, les envahisseurs vikings s’enrichirent considérablement et le royaume de Kiev connut richesse et puissance sous l’influence de ses maîtres suédois. Les guerriers vikings se mêlèrent à la population locale, et, au xsiècle, leur slavisation était déjà fort avancée. Le grandduc Vladimir Ie
, sous le règne duquel la prospérité du royaume de Kiev fut à son apogée, portait déjà un nom slave. Après son mariage avec Anna, une princesse byzantine, il demanda le baptême, faisant ainsi entrer la Russie dans le groupe des pays chrétiens.
« Jamais je n’ai vu des gens d’un physique plus parfait : ils sont aussi grands que des palmiers et roux de couleur », écrivait Ibn Faldan, ambassadeur arabe du califat de Bagdad, en mission auprès des « Rus » - c’est-à-dire des Vikings d’Orient - en l’an 922. C’est l’un des rares documents de première main que nous a laissés un observateur civilisé, mais impartial, sur ce qu’étaient les Vikings. S’il fut impressionné par leur physique, il les trouva fort sales. Qu’on en juge : « Ce sont les plus répugnantes créatures de Dieu. Ils ne se lavent pas après avoir satisfait leurs besoins naturels, ni les mains après les repas. Ils sont comme des ânes égarés... Dix ou vingt d’entre eux vivent dans une seule maison ; chaque homme a sa couche, où il s’assied et se divertit avec les jolies esclaves qu’il se propose de vendre, ou même fait l’amour devant ses camarades. Parfois, l’affaire tourne en orgie collective. Chaque jour, tout le monde se lave le visage et les mains dans la même eau... Une fille amène à son maître un énorme bol dans lequel il se lave le visage, les mains et les cheveux, qu’il peigne au-dessus du bol. Puis il se mouche et crache dans l’eau. Lorsqu’il a fini, la fille passe le même bol au voisin, qui fait exactement de même, jusqu’à ce que le bol ait fait le tour de la maison. »
Rudes lascars, ces Vikings de Russie. Mais ils avaient pourtant leur côté sensible. Ibn Faldan nous décrit la crémation d’un chef viking : on plaçait le cadavre dans un bateau spécial recouvert de brocarts ; une vieille femme appelée « l’Ange de la Mort » présidait les cérémonies. Elle emmenait dans une tente l’esclave qui s’était offerte à mourir avec son maître et la tuait d’un coup de poignard, tandis que dehors les hommes frappaient leurs boucliers pour étouffer les cris. Enfin, on mettait le feu au bateau, le corps de l’esclave à côté de celui de son maître, pour ce bref voyage vers le Walhalla, le ciel des Vikings.
Vingt ou trente ans plus tard un autre voyageur arabe, le géographe Ibn Rustin, fait une peinture un peu plus souriante des Vikings : « Ils portent des vêtements, écrit-il. Ils respectent leurs invités et se montrent hospitaliers et amicaux envers les étrangers. Mais si l’un d’eux est provoqué au combat, ils se mettent tous ensemble comme un seul homme, jusqu’à remporter la victoire. » Ibn Rustin ne ménageait pas ses critiques lui non plus : « Il y a peu de sécurité parmi eux, et beaucoup de fourberie ; un homme n’hésiterait pas à tuer un frère ou un camarade pour le piller. » Les deux voyageurs s’accordent à dire que les Nordiques sont querelleurs par nature et qu’ils extorquent un tribut aux villages slaves voisins.
Vigoureux, entreprenants, agressifs sans aucun doute, les Vikings étaient vraiment bien difficiles à vivre.
"Enigmes et secrets du passé" ed reader’s digest 1986
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