De Khrouchtchev à Brejnev
samedi 12 novembre 2022, par
Khrouchtchev est préoccupé par le statut de Berlin : la zone soviétique et occidentale étant coupée en deux, le statut met en cause la normalité de la RDA en tant qu’état. Berlin-Ouest se trouvant du côté de la RDA est sous contrôle de l’Union soviétique. Mais cela souligne la faiblesse du camp socialiste, car Berlin-Ouest est une vitrine ouverte de l’Occident et, avant la construction du mur, c’était un lieu où affluaient les réfugiés de l’Est de l’Europe. De surcroît, ces réfugiés étaient souvent du personnel qualifié, ce qui est négatif pour le bloc de l’Est.
En novembre 1958 a lieu un ultimatum au sujet du statut de Berlin : l’objectif de Khrouchtchev est l’évacuation pure et simple de Berlin par les puissances occidentales et l’inclusion de Berlin-Ouest dans la RDA, demandant ainsi ce que les Occidentaux ne peuvent accepter. Khrouchtchev rectifie donc son objectif : obtenir la reconnaissance officielle de la RDA par les Occidentaux. Cela ne sera fait que plus tard dans les années 1970. Khrouchtchev aimerait une garantie des puissances occidentales, que la RFA n’accède pas à l’arme nucléaire et il craint un regain de puissance de l’Allemagne.
En septembre 1959, Khrouchtchev se rend aux Etats-Unis. Il s’agit d’un moment de paix entre les USA et l’URSS, c’est la première fois qu’un dirigeant soviétique rend visite aux Américains. A ce moment, Khrouchtchev est optimiste quant à Berlin.
La conférence Est-Ouest devait avoir lieu à Paris en mai 1960, mais deux semaines avant la date présumée, Khrouchtchev annonce dans un discours qu’en mai 1960, l’URSS a abattu un avion espion U-2 américain sur le territoire soviétique. Khrouchtchev accuse ainsi les USA d’hypocrisie et de mensonge, car ces derniers nient jusqu’à ce que Khrouchtchev prouve qu’il détient bien ce pilote américain. La conférence devant traiter le statut de Berlin est annulée.
Suite à cette affaire, le président des Etats-Unis Eisenhower est pris en flagrant délit de mensonge, se retrouvant aussitôt dans une situation humiliante. Khrouchtchev exige alors des excuses publiques, mais en vain. Certains historiens soupçonnent néanmoins Khrouchtchev d’avoir choisi de faire capoter cette conférence, car ce vol américain n’était de loin pas le premier. Simplement, Khrouchtchev a compris qu’il n’obtiendrait rien à cette conférence sur le statut de Berlin et que, par conséquent, la conférence devenait inutile pour lui. En outre, s’il échouait à la conférence, cela renforcerait les arguments de Pékin qui estime que la détente est inutile et qu’il ne faut pas collaborer avec les Etats-Unis.
En parallèle à la question de Berlin, la crise de Cuba surgit. Après la victoire des guérilléros cubains en janvier 1959 dont Fidel Castro est à la tête, l’URSS devient très prudente à l’égard de Cuba : il s’agit en effet de ne pas indisposer les Etats-Unis. La visite de Khrouchtchev aux USA en septembre 1959 symbolise le sommet de la détente. Un an plus tard, en septembre 1960 et peu de temps après avoir repéré l’avion espion américain, Khrouchtchev rencontre Fidel Castro lors d’une conférence à l’ONU où ils s’embrassent publiquement. Le soutien de l’URSS vis-à-vis de Cuba augmente alors depuis cette rencontre. Kennedy succède à Eisenhower en novembre 1960.
La présidence de Kennedy commence mal : en avril 1961 commence l’épisode de « la Baie des Cochons ». Une armée d’exilés cubains, entraînée par la CIA [1], débarque à Cuba. Elle est écrasée par l’armée cubaine à la suite d’une mobilisation populaire très importante là-bas. La victoire cubaine face à cette armée d’exilés cubains renforce encore la popularité de Fidel Castro en Amérique latine, mais également un sentiment anti-américain à la fois en Amérique latine et centrale. L’opération de la Baie des Cochons est un véritable échec, une humiliation importante pour cette armée d’exilés soutenus pourtant par la CIA.
Au début du mois de juin 1961, Khrouchtchev et Kennedy se rencontrent. Cette rencontre se révèle relativement pénible pour Kennedy, car Khrouchtchev est déterminé et menace les Etats-Unis d’un nouvel ultimatum sur Berlin. La puissance soviétique semble au plus haut. Un courant pessimiste s’empare des Etats-Unis contre lequel Kennedy tente de se battre. Pour cela, il doit tenir tête à l’URSS afin de maintenir une présence occidentale à Berlin.
En août 1961 débute la construction du mur de Berlin par les soviétiques. Il s’agit d’une violation de l’accord quadripartite, qui garantit la libre circulation à l’intérieur de la capitale. Pourtant, les Etats-Unis ne répondent que faiblement : en effet, Kennedy ne fait que protester oralement, en espérant que l’URSS se contente de cette mesure qui permettait de maintenir une présence occidentale à Berlin. Les Etats-Unis ne se concentrent plus sur la question de la capitale allemande.
La crise continue à Cuba. Fidel Castro annonce que la révolution cubaine est socialiste, mais l’URSS n’est pas prête à reconnaître Cuba comme un état socialiste. En effet, pour cela il faudrait l’inclure dans le monde socialiste et cela impliquerait de reconnaître les responsabilités de défense qui reviennent à l’URSS, car le bloc de l’Est est assez compact, comme l’était l’Empire russe avant la révolution. Avec Cuba, il s’agirait d’un empire outre-mer. Mais l’URSS n’a aucune dissuasion locale ; aucune armée ne peut partir du centre de l’URSS et se rendre sur le terrain cubain par des moyens terrestres.
Tout d’abord, il serait difficile de défendre Cuba. Ensuite, inclure Cuba dans le monde socialiste impliquerait une rupture de l’équilibre international, sans oublier que les Etats-Unis peuvent facilement envahir Cuba. Pendant ce temps, la presse soviétique garde le silence, même lorsque Fidel Castro se déclare officiellement marxiste léniniste. Il sera finalement reconnu dans la Pravda que Cuba est devenu un état socialiste.
Ainsi, la décision d’installer secrètement des missiles ainsi que des armes nucléaires à Cuba est prise. Cette décision est liée à la reconnaissance de Cuba comme un pays socialiste, qu’il faut désormais défendre. La rapidité de l’opération témoigne de la volonté soviétique de mettre les Etats-Unis en présence d’un fait accompli. Cependant, ce projet ne sera pas mené à terme.
En octobre 1962, les Etats-Unis annoncent le blocus de Cuba et exigent le démantèlement des missiles. De plus, ils menacent d’envahir Cuba ou de bombarder les sites de missiles. La marine de guerre soviétique est appelée, ainsi que celle américaine afin d’arrêter les navires soviétiques qui amènent du matériel.
Octobre 1962 est un moment important de la guerre froide durant lequel le monde entier retient son souffle. On pense à la déflagration entre les deux camps. Cuba et l’URSS sont deux pays souverains, qui sont en droit de conclure des accords militaires. Mais alors les soviétiques doivent-ils laisser inspecter leurs navires ? En réalité, les Américains n’en ont pas le droit. Le blocus est un acte inadmissible. Mais il se trouve que la détermination américaine est trop forte… et l’URSS cède.
Khrouchtchev accepte de retirer ses missiles soviétiques mais à une condition : il demande à ce que les Etats-Unis s’engagent à ne jamais envahir Cuba. Kennedy accepte cette condition. L’URSS en ressort humiliée, de même pour Fidel Castro, mais celui-ci en veut à l’Union Soviétique : en effet, tout a été décidé entre les Etats-Unis et l’URSS ; à aucun moment Cuba n’a été consulté, ce qui déplait fortement à Fidel Castro.
Bien qu’elle ait obtenu l’imposition d’une condition importante, l’URSS se sent humiliée. En effet, dans cette crise, la crédibilité des menaces précédentes de l’URSS s’écroule soudainement. Cela marque la fin des ultimatums sur Berlin, ainsi que sur l’arme nucléaire. Néanmoins, il n’y eut pas d’invasions de Cuba. Mais l’URSS ne retient que le fait qu’elle a dû retirer ses missiles.
Finalement, Kennedy a délaissé Berlin au profit de Cuba, dans le sens où il lui a porté toute son attention. Cuba représente à ses yeux davantage d’importance que Berlin-Ouest. N’oublions pas que les Etats-Unis se fondent sur la doctrine de Monroe depuis 1923 et que cette doctrine prône l’interdiction de toute intervention de pays non américains dans les affaires américaines. De plus, comme l’Amérique centrale et latine est leur pré carré, les Etats-Unis luttent contre tout pouvoir de gauche dans cette région, comme c’est le cas avec le pouvoir socialiste au Chili qui sera renversé en septembre 1973 par un coup d’Etat soutenu par la CIA. La main mise par les Etats-Unis sur cette région d’Amérique latin et centrale perdure encore aujourd’hui.
Pour les Etats-Unis, la crise de Cuba ainsi que le retrait des missiles soviétiques symbolisent un regain d’optimisme et de confiance : dès lors, l’URSS n’apparaît plus si effrayante car elle recule. C’est d’ailleurs ce moment que les engagements américains auprès du sud du Vietnam s’accentuent.
L’URSS recherche un modus vivendi avec les Etats-Unis. C’est ainsi qu’apparaît le « téléphone rouge » en juin 1963, une ligne de téléphone directe entre l’Union soviétique et les USA en cas de conflit, afin que les deux grandes puissances puissent être en lien.
A cette même période cette recherche de modus vivendi aggrave les relations sino-soviétiques. Mao évoque l’aventurisme de Khrouchtchev et son capitulationnisme face aux Etats-Unis : si le but de l’URSS était d’y aller, il fallait y rester. Dans le cas contraire, repartir c’est capituler. Ces complications de relations marquent la fin de Khrouchtchev. Néanmoins, ce dernier répond que les USA sont certes des « tigres de papier », mais qu’ils possèdent des « dents atomiques ». Khrouchtchev se présente alors comme l’homme qui a su préserver la paix et éviter au monde une terrible catastrophe. Malgré cela, les régions de l’Amour finiront par une confrontation armée en 1969.
Les crises de Berlin et de Cuba ont fortement déplu à l’armée, surtout le fait de retirer les missiles de Cuba et de construire un mur à Berlin pour éviter la fuite de la population. Khrouchtchev n’ayant pas obtenu ce qu’il voulait sur Berlin, Brejnev devient en 1964 premier secrétaire du parti. En évoquant les nombreux échecs économiques, les changements sont sanctionnés par le plénum du comité central convoqué en profitant de l’absence de Khrouchtchev. La population soviétique ne réagit pas à cette destitution. Khrouchtchev ne lutte pas non plus. Il exprime, résigné, à un dirigeant soviétique : « Je suis vieux et fatigué, qu’ils se débrouillent sans moi […] la direction a changé, la peur a disparu ». Cela symbolise les changements réalisés en un court laps de temps.
Bien que Khrouchtchev ait échoué sur certains plans, il a contribué à l’amélioration de l’existence des citoyens soviétiques. Il a également promu une coexistence pacifique en ne cédant pas systématiquement à la guerre. L’image de Khrouchtchev change dans la mémoire, bien qu’elle soit contradictoire : d’un côté, on relève ses échecs et ses actions absurdes, comme par exemple les terres vierges, le maïs, la viande [2] ; de l’autre, Khrouchtchev a amélioré l’existence des soviétiques et procédé à la libération des prisonniers du Goulag, ainsi qu’à la déstalinisation et le retour des peuples déportés - exceptés les Tatars de Crimée.
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