samedi 12 novembre 2022, par
L’URSS de Khrouchtchev fut une rupture avec l’ère stalinienne, bien qu’il s’agisse du même régime. Celui-ci perdurera jusqu’en décembre 1991. Néanmoins, sous Brejnev, il connaît une période de retour en arrière.
Léonid Brejnev, en remplaçant Nikita Khrouchtchev, devient le Premier secrétaire du parti communiste en 1964, avant d’être le secrétaire général du comité deux ans plus tard [1]. C’est ainsi un premier retour en arrière que manifeste l’arrivée de Brejnev au pouvoir. Ce dernier deviendra bientôt le symbole de l’immobilisme du système soviétique en raison de son âge avancé et de l’arrivée des années 1980, ainsi que du vieillissement du régime soviétique.
Dès les années 1970, Brejnev accumule les titres et les fonctions : il est à la fois chef de parti, de l’Etat, chef suprême de l’armée ; il est décoré sept fois de l’ordre de Lénine et son œuvre est tirée à des millions d’exemplaires. Malgré le désir d’avoir son culte, il n’y a que peu d’écho dans la population soviétique. Le culte de la personnalité de Brejnev est bien loin de celui de Staline. En effet, ce dernier avait une aura sur une partie de la population que Brejnev n’a pas. De plus, en arrivant après le Petit père des peuples, Brejnev est en période de déstalinisation. Ainsi, malgré sa personnalisation du pouvoir, il réalise un partage réel des tâches au niveau du comité central.
Il s’agit d’une période de grisaille, qu’on qualifie de stagnation. En effet, c’est la fin des promesses et des projets parfois utopistes évoqués à l’époque de Khrouchtchev. Mais la société qui en est ressortie a été complètement transformée par les années Khrouchtchev après la période de Dégel. Néanmoins, la même question perdure : comment moderniser sans tout détruire, et surtout sans sacrifier la population comme l’a fait Staline ? Car le problème majeur reste celui de l’économie : on recherche une solution pour améliorer la situation économique. Les soviétiques souhaitent créer une élite de technocrates, mais aussi un esprit de parti qui primerait au détriment des compétences et des diplômes. Bien que le niveau intellectuel du parti ait été amélioré, il faut un noyau de spécialistes compétents.
Dès le milieu des années 1970, les soviétiques assistent au raidissement idéologique de Brejnev qui vieillit, de même que ceux qui l’entourent, à savoir des responsables vieillissants qui s’opposent à tout changement. Deux camps s’opposent alors : entre les tentatives de modernisation et une logique conservatrice qui freine, tout se contredit. Cela touche notamment le domaine de l’économie. En effet, les entreprises sont du côté des conservateurs, car une modernisation des infrastructures demanderait une adaptation incompatible avec la contrainte quantitative du plan qu’il faut achever. Les entreprises connaissent une pénurie grandissante de la main d’œuvre, surtout du côté occidental de l’URSS. Il faut alors augmenter le salaire plus rapidement que la productivité. Cependant, certaines entreprises sont plus attractives que d’autres, mais leurs réformes se heurtent à une centralisation particulièrement forte qui empêche toute forme d’autonomie pour les entreprises.
Les soviétiques ont alors recours à une solution à court terme, à savoir la mise en valeur de certaines régions et notamment la Sibérie. La Sibérie a beaucoup de potentiels énergétiques et permet d’exporter des matières premières. En échange, on importe la technologie occidentale. Dès le milieu des années 1970, le taux de croissance de la production industrielle et agricole baisse, ainsi que les réserves de la population active ce qui explique la diminution de la main d’œuvre.
Le secteur le plus touché reste néanmoins l’agriculture. Les paysans sont épuisés, brisés par la collectivisation [2]. Les villages se vident, ne comportent plus que des personnes âgées car l’agriculture n’attire pas les jeunes soviétiques. Entre 1966 et 1976, le nombre de retraités a augmenté de plus d’un million. Les mêmes retraites sont enfin accordées aux kolkhozes [3], de même que le revenu minimal et les congés, ainsi que la sécurité sociale.
Avec la population qui vieillit, des millions de retraités augmentent malgré le déclin de l’espérance de vie masculine. Durant les années 1970, l’importation de blé devient habituelle à cause des mauvaises récoltes que connaît l’Union soviétique. Il s’agit essentiellement de blé américain. Cela signifie la dépendance de l’URSS vis-à-vis des Etats-Unis, tel un assistanat. De plus, les équipements industriels vieillissent aussi. L’URSS souffre d’un manque d’infrastructures, comme les transports, car les sources d’énergie se situent loin en Sibérie.
Une des conséquences de l’économie en difficulté est l’explosion du travail au noir. Une véritable économie parallèle se met en place… et dont tout le monde est conscient, Brejnev également ! Les soviétiques s’habituent à vivre une double journée de travail. Le consensus règne.
L’époque de Brejnev est assez calme socialement. Elle connaît peu de révoltes, bien que beaucoup de travail au noir, mais ce dernier permet des initiatives individuelles dans des domaines économiques importants : par exemple, les mécaniciens réparent des voitures, des appartement sont rénovés, des médecins exercent des soins médicaux en dehors du travail, on vend des vêtements, des voitures, etc. Malgré tout, l’économie de l’ombre favorise la corruption et les réseaux mafieux : dans les années 1970, le nombre de crimes violents augmente, surtout dans les républiques slaves comme en Ukraine et en Biélorussie. Les causes de délits sont très souvent associées à ce marché noir.
Néanmoins, la population soviétique se montre indulgente à l’égard des « débrouillards », qui sont plutôt des tricheurs, car elle estime qu’il est légitime de chercher à améliorer l’existence en URSS. En revanche, aucune indulgence n’est réservée à l’égard des fonctionnaires, membres de la nomenklatura [4], qui utilisent leur position au sein du parti afin de s’enrichir.
La démographie augmente en URSS malgré la diminution de la « réserve » de la population active. Dans les années 1980, les deux tiers des soviétiques vivent dans les villes, tandis qu’ils étaient cinquante pourcents avant.
A cause de l’emploi, du niveau de vie, ainsi que le système de la propiska [5], l’enregistrement devient nécessaire pour résider en ville. Il sert à contrôler l’afflux de migrants, surtout à Moscou où ce système est maintenu. Certaines entreprises emploient néanmoins une main d’œuvre au noir venant de la campagne. De plus, comme la population réside dans des foyers, l’hygiène est difficile.
Dès les années 1960, le niveau de vie s’améliore et la consommation se développe : les ménages s’équipent en électroménager, achètent des téléviseurs dans les foyers, possèdent de moins en moins d’appartements communautaires et des immeubles avec des appartements individuels pour des familles sont davantage construits. Les appartements communautaires diminuent dans les années 1980, alors qu’il y en avait beaucoup vingt ans plus tôt. En 1985, avec le début de la perestroïka, environ vingt pourcents des citadins vivent dans les appartements communautaires. Les indicateurs de réussite sont notamment le fait de posséder une voiture, ainsi qu’une datcha, de porter des jeans Lewis, etc. La société est ainsi en quête d’individualisme et de confort matériel.
Dans les régions occidentales, comme la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Russie de l’Ouest et les états baltes, comme elles sont proches des pays européens voisins, celles-ci héritent de la consommation de ces pays. Néanmoins, et c’est aussi le cas des pays du bloc de l’Est (Pologne, Tchécoslovaquie), ces pays connaissent un faible taux de fécondité, car les espaces ruraux sont délaissés à cause de l’essor de la classe moyenne et de l’urbanisation.
Le taux d’avortements, par exemple, est très élevé en Russie. Si l’avortement fut légalisé en 1918, il fut interdit entre 1936 à 1954, à savoir pendant l’ère stalinienne. Il est donc à nouveau légalisé en 1954.
La Russie connaît un taux élevé d’avortement car elle a beaucoup de retard en ce qui concerne les méthodes contraceptives. Le taux d’avortements est également important en Lettonie et en Estonie, deux population plutôt protestantes, tandis qu’en Pologne ou en Lituanie, qui sont catholiques, le taux est plus faible.
En Asie centrale, il y a une forte natalité, mais également une mortalité infantile. La population est plus jeune que dans les républiques occidentales de l’Union soviétique. Les avortements sont aussi plus faibles en Asie centrale, qui prône la tradition et l’émergence d’une élite locale russifiée dans ses républiques ; en effet, la russification augmente encore. Dès le milieu des années 1970 s’opère un mouvement de retour en Russie soviétique des colons russes d’Asie centrale. Ces derniers sont fortement concurrencés avec les élites locales sur le marché du travail, et cela engendre inévitablement des tensions nationales grandissantes.
Dans le Caucase du sud, la Géorgie et l’Arménie surtout, et en prenant en compte aussi le Kazakhstan - une des cinq républiques d’Asie centrale -, tous contiennent un peuplement russe important sur leurs terres. En 1959, les Kazakhs ne représentaient que trente pourcents de la population. Le Caucase du Sud connaît lui aussi une mobilité géographique, car il s’agit de pays qui reposent sur une très forte richesse agricole.
Dans les régions occidentales, l’espérance de vie est plus faible pour les hommes d’âge actif. En effet, les hommes dans la force de l’age, à savoir entre trente et soixante ans meurent beaucoup. Les causes sont principalement l’alcoolisme et le suicide, qui augmentent considérablement dans les années 1970. Mais il y a aussi les accidents cardiovasculaires, les cancers, les problèmes sanitaires et le manque terrible de médicaments. En outre, la mortalité infantile sévit : notamment dans la partie occidentale où elle est plus forte qu’en Europe, à cause notamment de la pénurie d’antibiotiques et de médicaments.
L’URSS connaît une pénurie de la main d’œuvre en âge de travailler. Il se trouve que les hommes dans cette tranche d’âge meurent rapidement et que le taux de mortalité est particulièrement important.
Cette pénurie est également due à la migration, même si elle peut être passagère. En Sibérie, par exemple, la terre est peuplée de migrants temporaires, excepté Novossibirsk, où la population est stable. Mais dans le reste, la Sibérie est une terre de passage où les soviétiques partent travailler certains temps car ils y sont mieux payés.
Entre les régions davantage industrialisées et d’autres plus agricoles, il existe une différenciation très profonde des taux de population selon ces régions. Dans un contexte d’augmentation rapide de la population non slave en URSS, en 1959, les populations musulmanes représentaient moins de dix pourcents de la population soviétique. Sous Brejnev, elles augmentent de cinq pourcents.
L’URSS est le premier pays industrialisé du monde à connaître une baisse de l’espérance de vie moyenne de sa population masculine. En Russie soviétique, en 1965, l’espérance de vie moyenne était de 64,6 ans, tandis qu’elle baisse à 62,4 dans les années 1980.
Derrière cette image de société plutôt rigide, les comportements se différencient : cela dépend non seulement des différentes républiques, mais aussi à travers le succès important des sectes en Union soviétique, surtout à l’Ouest. Cela reflète la méfiance de la population soviétique à l’égard de l’Eglise orthodoxe. Il s’agit en quelque sorte d’un compromis avec le pouvoir. Le succès de ces sectes marque le besoin d’une communauté à la fois morale et spirituelle de la population. La jeunesse, elle, est insatisfaite : elle préfère se réfugier dans la contre-culture, comme la musique rock ou pop, et refuse ce qui a un caractère politique car cela est perçu comme fondé sur le mensonge.
Vladimir Vyssotski est auteur compositeur, mais également acteur. Il représente la contre culture de ces années. Il s’agit d’une culture non officielle, qui connaît un succès phénoménal à cette époque. Décédé en 1980 avant le début de la perestroïka, ses chansons n’ont jamais été autorisées, ni même enregistrées - sauf exception. Son caractère anticonformiste l’a fait percer malgré tout ; des copies illégales de ses productions étaient transférées.
Si les chansons de Vladimir Vyssotski ne parlent pas de politique, elles évoquent la vie du citoyen soviétique. De cette façon, tous comprenaient le message qui transparaissait fortement dans les paroles. Lors de ses funérailles – mort à 42 ans – près d’un million de personnes se sont rassemblées à Moscou : les autorités n’ont rien pu faire pour les empêcher de se réunir. Il existe aujourd’hui un musée Vladimir Vyssotski.
Dans l’élan de Vyssotski, des écrivains ruralistes émergent. Ils glorifient une vie rurale qui a disparu sous les coûts de la collectivisation. Une nostalgie pour les campagnes qui n’existent plus s’empare d’eux. A la fin des années 1970, le pouvoir souhaite reprendre le contrôle du domaine littéraire, car des groupes autonomes d’écrivains se constituent et paraissent illégalement des publications parallèles. C’est aussi l’époque des révélations des camps de travail et des prisons. Martchenko, décédé en 1986, est l’auteur d’un témoignage des camps en URSS. Il est ainsi condamné à une agitation anti-soviétique et connaît onze ans d’emprisonnement. Il meurt suite à une grève de la faim commencée en prison.
[1] Depuis la mort de Staline, le secrétaire général est remplacé par le premier secrétaire.
[2] voir l’article L’industrialisation et la collectivisation de l’URSS
[3] Kolkhoze : collectivité agricole soviétique apparue dans la politique de collectivisation de Staline.
[4] Nomenklatura : l’ensemble des privilégiés de l’Union soviétique et du bloc de l’Est.
[5] voir l’article La mise en place du système stalinien
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