samedi 12 novembre 2022, par
Entre la fin de la guerre de Corée en juillet 1953, avec la mort de Staline, et le début de la guerre du Vietnam (1955-1975), l’URSS commence à s’ouvrir à l’Occident.
Un traité de paix avec l’Autriche est signé par l’Union soviétique, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Ce pacte marque la fin de l’occupation de l’Autriche par les Alliés ainsi que sa neutralisation. L’URSS accepte alors de retirer ses troupes en échange de concessions mineures, souhaitant en effet améliorer ses relations avec l’Ouest. Mais la question du réarmement de l’Allemagne préoccupe le plus l’URSS, car pour cette dernière, ainsi que pour la RDA, une RFA qui redeviendrait puissante serait une menace, mais également pour la Pologne et la Tchécoslovaquie. Ainsi, en octobre 1954, l’Allemagne de l’Ouest est inclue dans l’OTAN.
A la même période, en mai 1955, se crée le célèbre pacte de Varsovie : celui-ci est un commandement militaire qui conjoint les états membres, mais il ne comprend pas la Yougoslavie car Tito milite là-bas en faveur d’une politique de neutralité. Mais la création du pacte de Varsovie est entourée de précautions afin de ne pas accroître les tensions entre l’Est et l’Ouest. Rappelons la création du Kominform [1] en 1956, qui était une forme de suite modérée du Komintern qui, lui, fut dissous par Staline durant la Seconde Guerre mondiale. [2] Ce pacte est en quelque sorte une réponse… mais à nouveau une réponse plutôt modérée. Finalement, le pacte de Varsovie ne modifie pas réellement les rapports de force, mais les institutionnalise. Les décisions sont désormais communes entre tous ces états du bloc de l’Est, contrairement à l’ère stalinienne quand elles ne venaient que de Moscou. Mais le pacte de Varsovie légalise néanmoins la présence des troupes soviétiques en Europe de l’Est.
Si l’URSS reste modérée dans son ton et son contenu, c’est parce qu’elle souhaite se concentrer sur son développement intérieur. La période de grandes réformes la rend compétitive : elle vient d’entrer dans l’ère nucléaire et a réalisé son premier essai en 1949. L’Union soviétique possède la bombe H depuis août 1953, connaissant des progrès importants dans la création de missiles. Rappelons le vol mythique de Gagarine, le premier homme envoyé dans l’espace en 1961. Ainsi, depuis le début des années 1950, l’URSS se retrouve « à égalité » avec les Etats-Unis. C’est le choc psychologique aux USA. Durant la période de Khrouchtchev, la Russie a confiance en l’avenir : le héros de l’époque n’est plus le soldat, mais le cosmonaute.
Le credo de Khrouchtchev, à savoir une coexistence pacifique avec l’Europe, est fondé sur une idée d’équilibre entre les deux grandes puissances, mais aussi la capacité d’une riposte nucléaire rapide de la part de l’URSS. En développant des relations avec les pays extra-européens, Khrouchtchev a à l’esprit que les problèmes peuvent être résolus de façon pacifique, car il n’y a aucun intérêt à s’affronter.
On observe une rupture supplémentaire avec l’ère stalinienne : l’URSS pratique une politique favorable à l’égard des états dits « non alignés » en apportant une aide économique, voire militaire et technique, aux régions qui se décolonisent. La période de décolonisation, avec un mouvement d’émancipation national et colonial, permet à l’URSS - et aussi la Chine - d’étendre son influence face aux Etats-Unis. C’est depuis la conférence de Bandung en 1955 qu’apparaît le mouvement des non alignés : il s’agit d’états qui entendent rester entre les camps, donc neutres ; au centre nous avons l’Inde de Nehru et l’Egypte de Nasser [3]. Néanmoins, l’Union soviétique se sent en position de force en constatant que l’influence soviétique se mondialise.
En URSS, on observe une autre rupture avec Staline : la réconciliation avec Tito et la Yougoslavie. En mai 1955, une délégation de soviétiques dirigée par Khrouchtchev se rend à Belgrade. Et c’est là que la direction soviétique reconnaît qu’il existe différentes formes de développement socialiste. C’est une première pour Moscou. Et cela ne tombe pas dans l’oreille de sourds : les autres pays du bloc de l’Est ont entendu cette déclaration. L’URSS est soucieuse de gagner leur sympathie hors Tito, qui voulait constituer avec l’Egypte et Nehru une zone de paix neutre, l’URSS ne veut pas rester hors de ce projet. C’est pourquoi elle reconnaît d’autres formes nationales vers le socialisme.
Le vingtième congrès provoque des ondes de choc : on estimait avant que les accusations contre Staline relevaient de la propagande bourgeoise, ce que Khrouchtchev affirme. Tous ces événements provoquent des réactions dans chaque état du bloc de l’Est. Il y a même parfois des tentatives de réviser les traités qui lient ces pays à l’URSS. Un désir d’autonomie se manifeste en Hongrie et en Pologne dès 1956, deux sociétés qui sont en pleine mutation. En effet, pour la Tchécoslovaquie et la RDA, avec un transfert massif de la population rurale vers les villes, où la collectivisation [4] irrite beaucoup les paysans, un sentiment anti-russe émerge. Mais ce sentiment est d’autant plus fort en Pologne pour des raisons historiques…
En Pologne, des émeutes ouvrières commencent dès juin 1956 à Poznań. Le parti communiste polonais rappelle au pouvoir un homme du nom de Gomułka, emprisonné sous Staline. Devant la mobilisation de ce dernier, l’URSS accepte la mise en place d’un gouvernement national polonais, mais qui reste communiste. Gomułka se rapproche de l’Eglise catholique autorisée dans les campagnes. Si Moscou l’accepte, c’est parce que dans le cas de la Pologne, il n’y a pas de remise en cause du parti unique, ni de l’appartenance au bloc soviétique organisé par le pacte de Varsovie. De plus, Gomułka dit clairement que la Pologne a besoin de l’URSS, à cause du revanchisme allemand ; l’URSS représente une garantie pour la Pologne, qui a obtenu des territoires à l’Ouest, ce qui n’est pourtant pas accepté par l’Allemagne.
Le cas de la Hongrie est plutôt différent. Cela commence par des manifestations estudiantines qui, rapidement, s’étendent à tout le pays. Cela entraîne la chute du gouvernement de Rákosi, ainsi que la mise en place d’un nouveau gouvernement dans lequel Andreï autorise le multipartisme. Il réclame en outre le retrait hongrois du pacte de Varsovie ; en effet, la Hongrie souhaite la neutralité du pays, ayant pour modèle celui plutôt séduisant de l’Autriche qui a obtenu sa neutralité en 1955. Mais la Hongrie, visiblement, va plus loin que la Pologne, car elle souhaite se retirer du pacte de Varsovie.
Arrive alors la célèbre intervention des chars soviétiques en Hongrie, amenant une répression très brutale, causant la mort d’environ 2500 personnes et de nombreux blessés. De plus, beaucoup de réfugiés hongrois fuient en direction de la frontière autrichienne ; l’Autriche accueille un certain nombre d’entre eux. Néanmoins, Moscou a la main mise sur la Hongrie. Nagy sera exécuté en 1958.
Cet événement, néanmoins, ne marque pas un retour au stalinisme puisque, même si les limites ont été tracées par Moscou, la Hongrie peut malgré tout innover sur le plan économique.
Cette crise hongroise affaiblit considérablement Khrouchtchev, bien que le but de l’intervention fût de montrer la force de l’URSS afin d’éviter d’autres tentatives du bloc de l’Est. Cette crise montre finalement l’impopularité de l’URSS dans le bloc de l’Est et en Occident. De plus, cette crise eut lieu au moment où se déroule, dans une autre région, une autre crise importante : celle de Suez. Ceci en raison de la décision de Nasser en Égypte, qui souhaite nationaliser le canal de Suez ; cela en fera une crise fondamentale de la guerre froide. Néanmoins, il s’agira de la première collaboration entre les Etats-Unis et l’Union soviétique afin de faire plier la France et la Grande-Bretagne. Il s’agit aussi d’une crise durant laquelle l’URSS apparaît comme le véritable défenseur du nationalisme arabe. Mais cette crise se déroule au moment de celle de la Hongrie, ce qui n’est absolument pas positif pour cette dernière car toute l’attention de l’Occident est détournée à ce moment.
Les limites du Dégel à ne pas dépasser furent démontrées avec le cas de la Hongrie et de la Pologne. Pourtant, à la même période, l’URSS - affaiblie par les révoltes polonaise et hongroise - rencontre d’autres difficultés et pas des moindres : la dégradation des relations entre la Chine et l’Union soviétique. Comme la déstalinisation s’est faite au nom de la lutte contre le culte de la personnalité, elle devient un sujet gênant pour Mao, qui construit le sien justement. La Chine met alors en avant le rôle historique de Staline, sa victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, en admettant néanmoins qu’il a commis quelques erreurs, mais que dans l’ensemble, sa politique était très positive. Dès 1960, la Chine, dont l’influence grandit, s’oppose à la politique de Khrouchtchev. C’est le début du conflit sino-soviétique. Cela signifie pour l’URSS qu’elle ne peut plus utiliser Pékin pour son influence dans le tiers monde, ni pour maintenir la crainte d’une URSS qui serait fortement alliée à la Chine. Désormais, l’URSS tente d’isoler la Chine dans le monde communiste, mais c’est un échec. En effet, pour les partis communistes en Asie, la Chine est très importante et ils se montrent très réticents à cette idée. Ainsi, l’URSS se retrouve autant en difficulté avec la Chine qu’au sein du bloc de l’Est.
Mais l’URSS rencontre d’autres problèmes dans le camp socialiste : la Roumanie et l’Albanie s’éloignent de l’URSS pour se tourner vers la Chine. Dès lors, on ne peut plus qualifier le bloc de l’Est d’un bloc monolithique. La politique de Khrouchtchev ayant ouvert une brèche, celle-ci s’est élargie.
Mais n’oublions pas que la guerre froide ne concerne pas seulement le camp soviétique contre le camp occidental : il ne s’agit pas seulement de l’affrontement entre l’URSS et les Etats-Unis. En réalité, la guerre froide est un triangle, comptant dans le conflit la république populaire de Chine, fondamentale et désormais plus alliée de l’URSS.
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