lundi 2 janvier 2023, par
Plus de deux ans après l’entrée en guerre de la France et de l’Angleterre, la Russie se mêle au premier conflit mondial. Elle en ressort en février 1917, année de la révolution qui coupe court à la dynastie des Romanov et à leur règne autocratique : l’Etat bolchevique accède au pouvoir en octobre.
Au début de la guerre, Nicolas II est le monarque de la Russie ; il est vu comme un tsar sanglant qui n’a pas hésité à tirer sur la foule en 1905, le jour du Dimanche rouge. A cette époque, « le régime impérial a l’air solide depuis que le tsar […] a fait, à la suite des troubles révolutionnaires de 1905-1906, quelques concessions indispensables […] [1] »
Bien que l’image de la Russie soit imposante au début de la Grande Guerre, cette dernière va pourtant causer la chute du tsarisme : en effet, à la fin du XIXe siècle, l’économie russe est impressionnante. Néanmoins, après 1914, elle se révèle fragile en vue de la durée du conflit. A l’intérieur du pays, la technologie ne suit pas : la pénurie de main d’œuvre et le manque de matériaux paralyse presque la Russie. Malgré les tentatives de redressements de la part des comités et associations, les « Russes commencent à se gouverner eux-mêmes [2] » Nicolas II ne veut pas le reconnaître, et se persuade que la Russie tsariste va bien en écoutant Raspoutine, le "guérisseur" de son fils. C’est lui qui suggère au tsar de prendre le commandement suprême des armées : c’est un premier pas vers la mort de l’autocratie, et cela met en danger le pays face aux soldats allemands.
Mais la crise du pouvoir politique s’empare du pays. Cependant, peu d’oppositions surgissent. En réalité, elles sont divisées, notamment chez les socialistes qui ont perdu leurs leaders, emprisonnés ou exilés. Les plus influents sont l’illustre bolchevik Lénine, l’internationaliste Trotski et le menchevik Martov.
Fin 1916, à l’intérieur du pays, les grèves et la crise politique grandissent suite à l’assassinat de Raspoutine, le tout accompagné d’une importante désorganisation générale, notamment depuis que des statues du tsar sont brisées par le peuple.
En février 1917 débutent ce qu’on appelle les cinq glorieuses, à savoir : les journées révolutionnaires de février. Dès le 19 février, on fonctionne avec les cartes de rationnement, en plus d’avoir affaire à un hiver glacial et des magasins vides. Les troubles dégénèrent jusqu’à entraîner la chute du « régime impérial tricentenaire. [3] » Des manifestations commencent à remplir les rues, réclamant du pain. Lors de la Journée internationale des femmes, plusieurs manifestations ont lieu, et elles sont rejointes par les ouvriers mécontents, faisant ensemble face aux cosaques passifs, qui n’ont reçu aucun ordre précis du tsar. Ainsi, le lendemain, ce sont des milliers de grévistes qui descendent dans la rue. Les manifestations durent pourtant depuis 1905, mais cette fois elles ne s’arrêteront pas. Le 25 février, une grève générale immobilise Petrograd. Finalement, le tsar ordonne de maîtriser par la force le désordre. La répression est violente : de nombreuses personnes sont tuées face à l’armée déchaînée. Le commandement militaire croit avoir gagné la partie, mais c’est sans compter sur le remord qui s’empare d’eux : la plupart se mutinent.
Le 27 février, les manifestations deviennent des émeutes révolutionnaires. Avec la garde qui les a rejoints, ils s’emparent de fusils et affrontent les policiers, qui sont toujours fidèles au gouvernement. Arrive ensuite la prise de la "Bastille russe", à savoir : la forteresse Pierre-et-Paul, où étaient enfermés les prisonniers politiques.
Néanmoins, les pillages inquiètent les révolutionnaires comme Maxime Gorki, qui ne voit dans les manifestations qu’une foule incontrôlable. « La violence de la révolution de février […] est l’expression d’une haine populaire longtemps accumulée contre certains symboles de l’ancien régime […] [4] » Tous les emblèmes du tsarisme sont détruits. Pourtant, lors des cinq glorieuses, aucun grand leader n’est présent, à savoir Lénine, Martov, Trotski, Tchernov, et Staline, qui se trouvent tous à l’étranger. Le peuple s’en remet à l’année 1905, pensant qu’il faut créer un "soviet" à la place de la Douma. Mais entre ceux qui veulent l’ordre et d’autres la réconciliation relative, le bolchevisme n’est pas encore au pouvoir. Le 2 mars, on arrive à un compromis avec la Douma, et une "Assemblée constituante" est convoquée. Mais c’est avant que s’instaure un double pouvoir, entre le gouvernement provisoire et le pouvoir des soviets.
Complètement dépassé et perdu, et après avoir proféré de multiples consignes contradictoires, Nicolas II abdique. Les bolcheviks exultent. Désormais on crie : « Vive la République ! A bas les Romanov ! [5] » ainsi que La Marseillaise.
La velléité de rendre la Russie le pays le plus libre du monde s’empare des léninistes en proie à l’euphorie libératrice : la politique est partout, et la perspective Nevski s’apparente au Quartier latin. Les ouvriers obtiennent la journée de huit heures. Il s’agit essentiellement de revendications de la part des paysans, qui demandent également une redistribution des terres. Dans cette période chamboulée, l’émancipation des femmes est d’actualité, comme beaucoup de requêtes qui diffèrent dans ce chaos. En effet, en plus de la révolution, la guerre continue. Bien que Lénine ait affirmé que « La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution [6] » , celle-ci préoccupe particulièrement les Russes.
Faut-il privilégier la révolution ou la guerre ? Car la Russie reste en danger : elle doit à tout prix remporter la bataille au coté des alliés afin de consolider le nouveau régime mis en place. Mais faut-il vraiment poursuivre la guerre ? A son retour, Lénine prend les choses en main : il exige la rupture avec le soviet et le gouvernement, car la révolution a déjà « dépassé sa phase bourgeoise. [7] » Il est temps pour les révolutionnaires de s’emparer du pouvoir, et arrêter définitivement la guerre civile qui secoue la Russie.
En avril, la question de la guerre est au centre de l’attention : on assure aux alliés que la Russie se battra jusqu’à ce qu’ils remportent la guerre. On crée un second gouvernement provisoire : surgit une véritable contradiction entre la véritable situation de la Russie de l’intérieur et ce qu’on raconte aux alliés.
Après une tentative de convaincre les alliés de se diriger vers une paix sans annexions et de rassembler les partis socialistes, Kerenski, le Bonaparte de la révolution, prend le risque de lancer une grande offensive prévue pour le 18 juin. Le ministre de la guerre met en avant le « grand sursaut national pour défendre les conquêtes de février. [8] » Ainsi, à la veille de l’offensive, une multitude de désertions rapetisse l’armée, et l’offensive se solde par un échec. Cet échec est fondamental pour l’image du bolchevisme au pouvoir, car il discrédite totalement la révolution qui est incapable « d’asseoir sa légitimité sur un grand sursaut national et patriotique. [9] »
Alors que la Russie tend vers le séparatisme, c’est après cette défaite que les bolcheviks prennent l’avantage et la place des mencheviks ainsi que des socialistes-révolutionnaires. Mais cela entraîne une attaque des manifestants, contre le siège du soviet les 3 et 4 juillet. C’est contre Lénine que la situation se retourne : ce dernier tente de rattraper le coup par un discours à son balcon et promet que le pouvoir reviendra aux soviets, mais ça ne suffit pas. Il est accusé de haute trahison. Finalement, Kerenski fonde un gouvernement de salut révolutionnaire, permettant de faire cohabiter les socialistes modérés qui craignent le bolchevisme.
S’ensuit une période d’accalmie, qui remet un peu d’ordre dans l’organisation du pouvoir après l’expulsion du soviet. Mais c’est sans compter sur les conservateurs qui affrontent les socialistes, et appellent à la chasse aux bolcheviks.
Du 12 au 20 août se tient une conférence d’Etat consultative, confrontant Kerenski et Kornilov. Ce dernier est en meilleure posture, car il veut sortir la Russie de l’anarchie en dissolvant « tous les comités révolutionnaires [10] » , Face à cette réponse conservatrice, bolcheviks s’allient avec mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Kornilov, qui envisageait une insurrection armée, échoue dans son projet et est arrêté. C’est à nouveau l’anarchie : chacun veut le pouvoir, et les soldats désertent pour avoir leur part. En outre, les moujiks se révoltent face aux promesses oubliées, et se vengent sur les domaines des propriétaires. Le soulèvement agraire prend de l’ampleur : de plus en plus de paysans réclament leurs nouveaux droits. 1917 est l’aboutissement des révoltes commencées il y a plus de dix ans, opposant la paysannerie à l’Etat qui s’écroule. Une inflation survient suite aux grèves, engendrant une disette.
Kerenski fait plusieurs tentatives pour rattraper l’organisation bolchevique, notamment avec le « conseil de la République » qualifié de « nouvelle Douma » par Trotski , manifestant ainsi son opposition à Kerenski. A distance, car pourchassé par la police, Lénine continue d’appeler à la révolte de la part des bolcheviks qui doivent prendre le pouvoir. Bien que la bolchevisation progresse, il refuse de partager le pouvoir, et privilégie la force. Le 10 octobre, lors d’une réunion entre bolcheviks, Lénine les persuade de la nécessité d’une révolte armée. Cette dernière devient la « Grande Révolution socialiste d’Octobre. » Néanmoins, les journées d’octobre étant davantage préparées qu’en février, il y a moins de victimes lors de cette seconde phase de la révolution, à l’issue de laquelle le palais d’hiver est aux mains des bolcheviks. Dès lors, il existe des décrets sur lesquels il faut revenir, comme celui sur la terre, qui se révèle avoir été un malentendu. Un nouvel affrontement entre le nouveau régime et la paysannerie surgit, se terminant par une « collectivisation forcée des campagnes [11] » plus de dix ans après.
L’année 1917 se termine en décembre par des de nouvelles protestations ouvrières : ce sont les revers de la révolution et de l’instauration d’un nouveau régime.
Source : WERTH, Nicolas, 1917, La Russie en révolution, Paris, Gallimard, 2007.
Sources : RIAZANOVSKY, Nicholas, Histoire de la Russie des origines à 1996, Paris, Laffont, 1999.
AMACHER, Korine, La Russie, 1598-1917 : révoltes et mouvements révolutionnaires, Infolio, 2011
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