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La fin de Max Guedj

, par

Ce récit relate la dernière mission du Wing Commander Max Guedj. Pilote des Forces françaises libres, Max Guedj fit toute la guerre au Coastal Command où il pilota des Beaufighter et des Mosquito.
Sa bravoure et sa valeur exceptionnelles lui valurent le respect et l’admiration des Britanniques. Outre qu’il fut promu au grade de Wing Commander, l’un des plus élevés qu’un étranger eût atteint dans la RAF, il fut décoré de deux DFC (Distinguished Flying Cross) et d’une DSO (Distinguished Service Order). Il fut cité six fois à l’armée de l’air et aux Forces françaises libres et reçut les plus hautes décorations françaises.

Feux du Ciel, Flammarion 1951 - Collection L’Aventure vécue - Pierre Clostermann

L’île de Barroy, avec son phare ceinturé de bandes noires et blanches, ses sémaphores et la station de radar... Batterie de 88 mm aussi. Trois boules ocres apparaissent soudain juste en-dessous des nuages, deux cents mètres au-dessus de la formation, comme des taches d’encre sur un buvard... coups d’alerte de la D.C.A. sans doute.
 A Narvick et à Elvegaard les sirènes doivent hurler.
 Revolver and Shark
 attacking [1].

C’est le grand fjord d’Ofot, flanqué de montagnes hautes de cinq cents mètres, couronnées de glaciers, tombant à pic dans les eaux froides et claires frangées de glaçons. Pas encore de Flak ? C’est un miracle...
A six cents kilomètres à l’heure la formation s’engage et rase le flanc des montagnes. Shark à gauche, Revolver à droite, et au milieu du fjord, comme un râteau survolant le chenal libre, les six Mosquito des sections bleues foncent line-abreast...
Au pied d’un entassement cyclopéen de roches figées dans la neige, les Revolver frôlent les débris calcinés d’un torpilleur allemand détruit le 13 avril 1940...
Soudain, le fjord principal s’élargit comme la paume d’une main dont les doigts sont les fjords d’Herjangs, de Narvick, de Rombacks et d’Elvegaard.
Narvick en face, avec ses toits noirs, la tour de bois de son église, les piles de planches sur les quais de pilotis... quelques bateaux de pêche... un vieux bateau à roue semi-échoué... Du calme maintenant.
Max se remémore les photos d’Intelligence. L’objectif est dans Rombacks Fjord... Rombacks Fjord - sinueux couloir large de douze cents mètres, encaissé entre les parois hautes de huit cents, où est pris au piège un nuage qui le coiffe comme le couvercle d’une boîte... tout au bout, collé au rocher à pic, il doit y avoir le pétrolier.
 Look out, Flak (2).
Les Shark ont obliqué à droite vers l’embouchure du fjord. Max passe en trombe, virant à la verticale au-dessus de la ville... le ciel se remplit d’éclairs et de traceurs.

Les six Mosquito bleus foncent sur le gros contre-torpilleur qui fait feu de toutes ses pièces. Il disparaît aussitôt dans les traînées et les explosions des quarante-huit rockets qui déchirent sa coque comme du papier de soie ! Lueur dans le ciel... gracieuse parabole d’une écharpe de fumée noire et un Mosquito percute. Un deuxième éparpille ses débris en feu sur le flanc de la montagne le long d’une rangée de sapins. Un parachute se détache d’un troisième dont l’aile a été arrachée par un coup de 88 mm au but...

Un véritable filet de lumière est tendu au travers de la vallée par une vingtaine de postes de Flak perdus dans les rochers.

Les flocons de 20 mm déroulent un tapis blanc autour des avions qui zigzaguent follement entre les chapelets lumineux...

Les deux Speerbrechers et les « Sans-Soucis » (1), embossés en quinconce, bloquent l’entrée du fjord. Il faut passer entre leurs feux croisés.

Entre eux, les Flak-ships ont soixante tubes de 20 mm et vingt-deux tubes de 37 mm... muraille aveuglante tressée par cinq cents projectiles explosifs à la seconde contre laquelle se fracassent les avions. Un Mosquito, probablement touché à la rampe de rockets, explose dix mètres au-dessus d’un escorteur et le couvre d’une nappe d’essence enflammée. Hachant les servants des pièces de D.C.A., les munitions sur le pont explosent. L’avion suivant, visant au hasard dans le brasier, lâche sa salve de rockets qui broie le petit navire... C’est un enfer dont les parois rocheuses répercutent les échos. La Flak et le hurlement des moteurs déclenchent des avalanches qui dégoulinent en cascades sur les pentes jusqu’à la mer... sourd grondement de la nature qui se révolte contre le fracas des hommes.

Mais soudain, voici qu’une note différente intervient dans ce fracas. C’est le ronflement métallique et irrégulier des moteurs B. M . W...
Vingt Focke-Wulf 190 débouchent sur Bjervick. Venant de l’aérodrome de Bardufoss, ils se sont faufilés sous les nuages dans la vallée et à sept cents à l’heure ils bondissent sur les Mos­quito pris au piège dans le fjord... Max est en tête. Coude à coude avec son observateur, bas­culant le Mosquito d’une aile sur l’autre, ils ont réussi à fran­chir le barrage des Flak-ships indemnes.

Tout au fond du fjord, faisant corps avec la montagne, voilà le grand pétrolier, camouflé de zébrures blanches et noires - ventre étiré, bas sur l’eau, cheminée tout à l’arrière, il est enchâssé dans les glaces... sa silhouette bien précise est encadrée dans le collimateur.

Coups de boutoir des quatre canons dont les culasses cognent sous les pieds comme des pistons de locomotives... Max attend d’être à bout portant pour lâcher les rockets. En attendant, pour neutraliser la Flak il tire, et ses obus de 20 mm piaulent, ricochant sur la glace, brodant un collier d’explosions sur la coque...
 Rockets O N
 the whole lot (1).

Stevens, l’observateur, crispé sur son siège - témoin passif, à la merci de l’habileté de son pilote - fuse la salve complète de huit rockets... l’équivalent d’une bordée d’un croiseur de dix mille tonnes ! Max se penche encore plus en avant vers le collimateur et ses yeux mi-clos se durcissent... il frôle la détente. Au moment exact où il va tirer, son Mosquito est soudain catapulté latéralement par une formidable explosion. D’instinct, malgré la douleur affreuse qui lui tord l’estomac, Max tire de toutes ses forces sur le manche... la coque... les mâts... les rochers... les sapins - tout lui bondit au visage.

L’avion file vers les nuages, brutalement, et s’y enfouit.
Max maîtrise l’embardée de l’appareil qui dérape - en effet, par-dessus le dos de l’observateur effondré, il aperçoit le moteur droit qui vomit des flammes au travers de ses capo­tages arrachés.
Pour Max, en plus de la souffrance de sa blessure, l’agonie du mortel P.S.V. dans les nuages hérissés de montagnes. Les gyroscopes et l’horizon artificiel, déréglés un instant par le choc, reprennent... l’avion vibre dangereusement... du calme !... hélice droite en drapeau... extincteurs... toujours cette déchi­rante douleur et le sang chaud qui coule le long des jambes, sous les pantalons.

Soudain, c’est le ciel bleu sur la couche unie de nuages !
L’observateur est tué - la cabine, le tableau de bord, les manettes, les vitres sont couverts de sang qui a éclaboussé partout.
 Ne pas s’évanouir - surtout pas !
Virage à gauche... 180°...
Le feu est éteint, et le moteur droit bave par ses tôles dislo­quées de la mousse sale.
Que se passe-t-il sous les nuages ?
Parfois quelques obus de D.C.A. traversent la couche blanche et sèment des éclatements sombres qui paraissent incongrus dans cet absurde calme...
Mais les rockets sont toujours sur leurs rails - quelle ten­tation dans tout ce vertige... rentrer au-dessus de ces nuages... dans ce calme, jusqu’en Écosse... attendre que le radio-compas indique la terre... sauter alors en parachute...
Il a bien ramené, du golfe de Gascogne à Predanack, un Beaufighter sur un seul moteur... à plus forte raison un Mosquito !
Oui, mais la mission était alors accomplie. Que sont devenus ses avions... et le pétrolier ?
Plus de réception à la radio, l’émission seule fonctionne.
Max a pris sa décision - comme elle est loin de la France !
 Revolver leader here. I am going to make another pass (2).
Coup d’oeil au chrono. Ce doit être la mer maintenant au­dessous... descente prudente en P.S.V... bien à plat dans l’ombre humide... quelques franges de buée plus lourde et c’est la mer - grise et mouvante.
Virage cap sur cap. Voilà de nouveau l’île de Barroy.
Surpuissance - emergency - au moteur gauche indemne... flettners réglés pour soulager le pied gauche qui fatigue, poussé à fond sur le palonnier.
Narvick. Ah ! ne pas s’évanouir !
La lucidité de la douleur donne à tout un relief terrible... les Focke-Wulf qui bourdonnent et rebondissent dans le fjord comme des guêpes sur un carreau... Mosquito en feu qui égrènent des fragments d’ailes et de fuselage sur la neige... piliers de fumée noire dérivant sur l’eau...
C’est donc tout ce qu’il reste de ses avions ?
Dans cette petite baie, une mare de mazout irisée, semée de débris de navire... quelques hommes aux gilets de sauvetage jaunes qui nagent... des bulles d’air énormes qui crèvent à la surface... Plus loin, un torpilleur éventré s’est mis au sec sur les rochers...
Mais il reste de la Flak. Elle revient, furieuse comme une bourrasque, infranchissable.
Le Mosquito, poursuivi par quatre Focke-Wulf aux canons panachés d’éclairs secs, rase la mer. Il est si bas que le vent deson hélice souffle un sillage qui frissonne sur l’eau noire piquée de petites flaques d’écume des impacts d’obus... Ne pas s’évanouir !
Un Focke-Wulf danse derrière le Mosquito, à vingt mètres, pour donner le coup de grâce et tire à bout portant. Les obus ravagent le fuselage et frappent comme des coups de marteau dans le blindage dorsal du siège de Max... Encore mille mètres... ne pas s’évanouir et tenir encore cinq cents mètres... l’autre moteur est maintenant en feu à son tour et ronge le longeron de bois...
Un éclat a décapité le collimateur. Maintenant, il va falloir larguer les rockets à cinquante mètres pour ne pas manquer.
Le Mosquito oscille sur sa trajectoire comme un homme qui trébuche, et maintenant un autre Focke-Wulf tire, et ses obus explosent sur l’avion et aussi sur le pétrolier qui grandit.
Jet de feu... les huit rockets sont larguées comme des lances qui perforent les tôles de la coque et le revêtement des citernes...
Le tonnerre de l’explosion répercutée dans le fjord est si formidable que les habitants de Narvick, croyant que la mon­tagne croule, s’enfuient épouvantés dans les rues.
Les Norvégiens retrouveront un treuil du navire allemand dans la vallée voisine, à deux kilomètres de l’explosion ! Mais le Mosquito s’est fondu dans le fleuve de feu qui a flambé les sapins tout le long des pentes, dans un rayon de plusieurs centaines de mètres...
Il neige à nouveau, et les flocons sont noirs de suie.
Quatre Mosquito, quatre équipages, les nerfs brisés, luttent pour rentrer à la hase... dans la nuit arctique qui tombe... noire aussi, sans étoiles.
Quatre Mosquito sur dix-neuf !

Adieu, Max !


[1Ce n’étaient probablement pas des « Sans-Soucis », mais d’après les archives allemandes des escorteurs type M. - sans doute les M.402 et M.471.

Messages et commentaires

  • Le récit de Clostermann constitue un très bel hommage à Max Guedj, mais lorsqu’on consulte quelques ouvrages plus récents, on constate qu’il a tout de même pris quelques arrangements avec la réalité historique.

    Seuls 5 Mosquitos, dont celui de Max Guedj, ont été perdus ce jour-là. Celui de Max figurait parmi les premiers à être abattus. Il n’y avait pas que des Mosquitos armés de rockets, mais aussi des Mosquitos Tsétsé armés du canon de 57 mm. Max dirigeait l’ensemble de l’opération, mais il n’avait directement avec lui que 16 appareils provenant des squadrons 143, 235 et 248. En plus de ces 16 appareils, il y avait deux Mosquitos du squadron 333 Norvégien qui servaient d’Outriders. La mission de ceux-ci était de partir en avance, trouver l’objectif (vérifier s’il était bien là où on le pensait et dans la négative, trouver où il était) puis appeler la force de frappe. L’ouvrage d’Andrew D Bird ’A separate little war’ décrit cette opération en détail aux pages 122 à 130.

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