vendredi 28 mars 2008, par
Pilote de chasse à la Luftwaffe, Heinz Knoke (ci-contre) et son escadrille sont envoyés en Norvège,
à une quarantaine de kilomètres d’Oslo. Il s’agit de protéger
le cuirassé « Prince Eugène », endommagé, qui s’est réfugié dans un fjord.
Mais, la RAF désire l’achever et envoie un avion de reconnaissance photographique.
Knoke va l’intercepter
26 février 1942.
A 13 h 12, nos postes de radar signalent l’approche d’un avion ennemi très rapide. Manifestement, il s’agit d’un appareil de reconnaissance.
A 13 h 15, je décolle, seul. A tout prix, il faut que j’intercepte ce gaillard.
Par une spirale interminable, je grimpe jusqu’à 8 000 mètres. La section de patrouille a reçu l’ordre de cercler au-dessus du Prince Eugène.
J’ai beau zigzaguer, regarder à droite, à gauche, le ciel est vide. Pas la moindre trace de l’Anglais. Les indications du contrôle au sol sont trop imprécises pour me guider. Après avoir vainement rôdé pendant quatre-vingt-cinq minutes, je me pose, furieux et déçu. Cette sortie pour rien m’a tout juste rapporté un début d’engelures aux pieds.
27 février 1942.
Cela fait la seconde fois que j’ai essayé d’attraper ce Tommy solitaire, et qu’il m’a filé entre les doigts.
28 février 1942.
Le sous-officier de service se précipite dans le bureau où je noircis des pages et des pages de rapport.
– Mon lieutenant, l’appareil de reconnaissance est revenu ! Je saute par la fenêtre et, pataugeant dans la neige, dévale le talus, vers la grande piste.
– Alerte !
Déjà, les mécaniciens s’affairent autour de mon zinc, arrachent les bâches, repoussent le hublot. Pendant que je m’attache sur mon siège, le moteur commence à chauffer.
– Prêt !
Le hublot se referme, les mécaniciens s’accroupissent sur les plans et se laissent glisser. J’ouvre en grand l’admission des gaz. Le moteur se met à hurler. Jaillissant derrière le fuselage, un haut tourbillon de neige m’accompagne jusqu’à la piste. Vingt secondes plus tard, j’arrache l’appareil et commence aussitôt à grimper.
Aujourd’hui, le contrôleur est en forme. Avec une précision parfaite, il m’indique les positions successives de l’ennemi.
Comme hier et avant-hier, l’Anglais franchit la côte à Christiansand. Altitude 8 000. Je vais mettre dix-huit minutes pour grimper jusqu’à lui.
– Indien dans Berta-Kurfürst. Hanni huit-zéro. Comment va Victor ? crie la voix du contrôleur.
Ce qui signifie en langage normal : appareil de reconnaissance ennemi dans le carré B-K de la carte. Altitude 8 000. Est-ce que vous m’entendez bien ? Je réponds aussitôt :
– Victor excellent ! (Je vous entends parfaitement.)
Si le contrôle ne s’est pas trompé, je dois apercevoir mon gibier d’un instant à l’autre. Malheureusement, des volutes de brume gênent considérablement la vue. J’écarquille les yeux, je tourne la tête à droite, à gauche, toujours rien.
– Indien maintenant dans Berta-Ludwig !
Nom d’un chien, où se cache-t-il, cet oiseau fantôme !
Pour éviter un nuage, je vire sec, vers la droite. Tout à coup, je sursaute. A quelques mètres au-dessus de moi plane un Spitfire. Je distingue nettement la cocarde aux couleurs britanniques, grande comme une roue de chariot.
Brutalement, je cabre et monte en chandelle. Cette fois, il ne m’échappera pas !
L’Anglais m’a vu, lui aussi. Dérapant sur l’aile, il fonce pour passer sous mon ventre.
J’enfonce la manette des gaz et lance mon coucou dans un virage serré au maximum. Surtout, ne pas le perdre de vue ! Des deux mains, je tire sur le manche. Un poing géant me repousse dans le creux du siège, une vibration intolérable passe devant mes yeux...
Le voilà encore ! Lancé au maximum de puissance, il pique, presque à la verticale, vers l’ouest, en direction de la mer. Aussitôt, je bascule et me lance à sa poursuite. Le moteur tourne à une allure affolante. Comme j’allume le collimateur, je me rends compte que mes ailes commencent à vibrer.
Je déclenche le tir avant même d’être à bonne portée. Pour augmenter la vitesse, je ferme les volets du radiateur. Tant pis si le moteur saute !
Comme une flèche, le Spitfire file vers le sol. Malgré mon énervement, je ne puis m’empêcher d’admirer l’élégance de sa silhouette, et aussi le cran de son pilote.
6 000 mètres ! Je le tiens dans mon viseur. Comment résister à la tentation de lui envoyer une rafale !
5 500 mètres ! La distance est encore trop grande, au moins 300 mètres.
4 000 mètres, 3 000, 2 000... mon moteur va se mettre à griller... notre piqué frise de plus en plus la verticale, il n’y a rien à faire, le Spitfire est trop rapide. La distance, au lieu de diminuer, augmente sans cesse. J’ai l’impression que ma tête va éclater. Des craquements douloureux crépitent dans mes oreilles. J’ai arraché le masque à oxygène, et je sens l’âcre odeur du glycol surchauffé. Les radiateurs sont en train de bouillir ! Et le badin indique toujours 800 km/h.
A 1 000 mètres, l’Anglais récupère lentement de son piqué. L ’un derrière l’autre, nous passons en trombe sur les champs de neige de la chaîne côtière. Je serre les dents en constatant que mon vieil « Emil » reste lamentablement à la traîne. Évidemment, c’est un vétéran, un rescapé de la campagne de Pologne, alors que le Spitfire, racé, flambant neuf, représente certainement le dernier cri en matière de perfectionnements modernes.
Comme nous débouchons au-dessus de la mer, j’abandonne la vaine poursuite. La rage au coeur, j’ouvre les volets du radiateur et amorce un large virage pour regagner la côte. L’Anglais n’est plus qu’un minuscule point noir au ras de l’horizon. Bon voyage, mon ami, et que les vents de la mer du Nord te soient favorables ! A bientôt, sans doute...
L’hélice au pas, je m’engage entre les parois abruptes du fjord dont la beauté sauvage me console quelque peu de ma déconvenue.
L’atterrissage sur la patinoire qu’est la grande piste n’a rien de drôle. Quand l’appareil a enfin fini de valser, je me rends compte que je tremble, de fatigue, de froid, d’énervement. Au fond, ce n’est pas étonnant : ce piqué insensé aurait ébranlé les nerfs d’un hippopotame.
Un cognac, en vitesse !
4 mars 1942.
Voilà trois jours que « mon » Tommy n’est pas revenu. Le commandant offre une bouteille de vrai Hennessy, un véritable trésor. à celui qui va le descendre. C’est certainement une prime alléchante, mais, pour moi, cette histoire est devenue une question d’amour-propre. Trois fois déjà, j’ai essayé d’abattre ce garçon qui a l’air de nous narguer. Il faut que la quatrième soit la bonne !
5 mars 1942.
Une agitation soudaine dans la baraque centrale : « L’Anglais revient ! » Même le standardiste se passionne pour ce gibier insaisissable.
Un saut par la fenêtre, une vingtaine de bonds dans la neige, et je me hisse dans le cockpit de mon « Emil ». Quelques secondes plus tard, je décolle.
13 h 2. De toute la puissance de mon brave moteur, je me visse dans le ciel limpide.
13 h 10. A 5 000 mètres, je mets le masque. Mon Dieu ! qu’il fait froid !
– Indien dans César-Ida, Hanni sept-zéro (1) !
– Victor, Victor (2), dis-je, tout en claquant des dents.
Indien maintenant dans César-Kurfurst.
Puisque l’Anglais se promène à 7 000 mètres, je vais monter à 8 000 afin de m’assurer l’avantage.
– Indien dans Berta-Ludwig !
C’est bien ce que je pensais. Il tourne vers l’extrémité nord de la baie, où sont embossés nos navires.
Me voilà à 8 000 mètres. Systématiquement, je scrute le ciel vierge de nuages. Bientôt je découvre, sur ma gauche, un point noir qui semble planer au-dessus d’un champ de neige. Pas de doute, c’est mon Spitfire. Traînant un court filet de condensation, il vire pour se rapprocher du fjord. Arrivé à la verticale de son objectif, il décrit deux cercles complets. Manifestement, il prend des photos.
J’en profite pour me placer au-dessus de lui. Absorbé par son travail, il ne me voit pas. Quelques secondes plus tard, il reprend la direction de l’ouest.
Ouvrant en plein l’admission des gaz, je déverrouille mes armes et dévale sur lui. Transformant les 1 000 mètres d’altitude supérieure en vitesse supplémentaire, j’arrive en un clin d’oeil derrière lui, cette fois à bonne portée. D’une pression violente, j’écrase la détente de mes canons. Comme attirés par un aimant, mes obus s’enfoncent dans son fuselage. Des lueurs spasmodiques s’allument derrière son hublot.
Surpris, l’Anglais se lance dans une succession de virages échevelés. Mais je ne le lâche plus. A grands coups de palonnier, je réussis à le maintenir dans mon collimateur.
Il dérape, tombe, se rétablit 500 mètres plus bas. A présent, il dévide un léger panache de fumée. « Il dessine », comme nous disons en jargon de pilote. Le panache grossit... je tire toujours...
Tout à coup, quelque chose de visqueux claque sur mon hublot. De l’huile ! Je pousse un juron : ma vitre avant est devenue opaque, je n’arrive plus à voir le Spit blessé qui va peut-être s’échapper...
Non de nom de sacré nom ! Pourtant mon moteur tourne normalement, et la pression d’huile reste constante. Probablement le liquide gluant qui me prive d’une victoire certaine provient des radiateurs crevés du Spitfire. J’oblique légèrement vers la droite afin d’observer l’Anglais par les vitres latérales.
Il s’éloigne de plus en plus lentement, mais enfin, il tient encore en l’air. Le panache de fumée est devenu imperceptible. On dirait qu’il va s’en tirer.
Comme je continue à pester, j’entends dans les écouteurs une voix goguenarde :
– Alors, mon petit vieux, t’as encore fait chou blanc ?
Mon ami Dieter, officiellement le lieutenant Gerhard, monte vers moi et vient se placer sur ma gauche : Je lui explique la situation.
– Ne t’en fais pas. Je vais l’achever, me crie-t-il.
Lancé à toute vitesse, il arrive rapidement dans la queue du Spit blessé. Une seule gerbe, et le plan droit de l’Anglais se détache. Tournoyant comme une feuille morte, l’appareil s’abat.
J’éprouve une sensation bizarre. Ce pilote qui traversait la mer du Nord pour venir se promener au-dessus du fjord, tout seul, au nez et à la barbe d’une escadre entière, au fond, je l’admire. Est-il vivant ? Si oui, qu’est-ce qu’il attend pour sauter ?
Le Spit, boule de feu qui roule sur elle-même, fonce vers un champ de neige. Encore quelques secondes, et il va s’écraser, réduisant en bouillie le corps du pilote.
Affolé, je me mets à hurler :
– Saute, pour l’amour du ciel, saute donc !
Comme si le malheureux pouvait m’entendre ! Je tremble je sens une aigre nausée monter dans ma gorge... Cet Anglais c’est un soldat, comme moi, un aviateur qui aime son métier tout comme moi. Peut-être a-t-il aussi une femme, comme moi.
– Saute, mon vieux, saute donc !
Alors, je vois un corps se détacher des flammes, décrire un cabriole, puis planer sous une corolle blanche qui l’emport doucement vers la montagne.
Mon angoisse fait place à une joie totale... Enfin, nous avon eu notre premier Inglish.
Dieter et moi, nous nous partageons la bouteille de cognac Nous buvons à la santé de la chasse, arme noble entre toutes et au sauvetage de notre Tommy. Puis Dieter s’envole, à bon d’une « cigogne » (1) munie de skis, pour aller le cherches au fond d’une vallée voisine. Je suis content de voir que l’Anglai est aussi sympathique que je l’avais imaginé : un grand garço nonchalant, lieutenant dans la R.A.F. Lui aussi a besoin d’u cognac. Il sourit en apprenant que toute la bouteille lui était dédiée.
Etrait de "La grande chasse de heinz knoke ed j’ai lu 1963
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