jeudi 4 mai 2006, par
Ce récit relate l’attaque unique et mémorable menée par le Squadron 617 sur les barrages de la Möhne et de l’Eder en mai .1943. Le raid était dirigé par le Wing Commander Guy Gibson, un vétéran du Bomber Command, qui avait commandé le Squadron 106, également équipé de Lancaster, avant de former le Squadron 617 ne comprenant que des as du bombardement. Avant le raid sur les barrages, Guy Gibson avait bouclé trois tours d’opérations, soit 173 missions de bombardement. Agé de 25 ans, il était décoré de la DFC et de la DSO. Il disparut en septembre 1944 alors qu’il pilotait un Mosquito en tant que « master bomber », lors de l’attaque sur Rheydt.
Gibson eut l’impression de voir la maquette : c’était la même cuvette remplie d’eau, les mêmes champs aux alentours et, barrant l’extrémité du lac, le même rempart massif couronné de ses deux tours. Dans l’éclairage diffus, la muraille ressemblait à une monstrueuse forteresse flottante, à un cuirassé amarré entre deux corps morts.
– Seigneur ! murmura quelqu’un. Vous croyez que nous pouvons démolir ça ?
Soudain, le barrage s’anima. Des jets de traceuses jaillirent des tours, balayant le ciel dans toutes les directions. - Plutôt agressifs, les Fritz ! remarqua Trevor-Roper.
Les trois pilotes dégagèrent adroitement et se mirent à contourner le lac, prenant bien soin de rester hors de portée de la D.C.A. Gibson essaya de compter les canons. Il y en avait au moins un de chaque côté du lac, près du barrage, et au moins quatre dans chaque tour. Il appela les appareils de la vague suivante, et ils répondirent l’un après l’autre, à l’exception d’Astell. Gibson l’appela encore et encore, mais Astell était mort depuis une heure. A la fin, Gibson, comprenant qu’il valait mieux ne pas insister, annonça à son équipage
– Eh bien, je pense qu’il faut y aller.
Puis, passant à la transmission radio, il appela les autres appareils
– Attention, tout le monde. Je vais attaquer. Tenez-vous prêts à foncer à votre tour. Allô, « Mother ». Vous prendrez le commandement s’il m’arrive quelque chose.
– O.K., chef. Bonne chance ! fit la voix calme de Hopgood.
Gibson prit du champ, s’éloignant jusqu’aux collines à l’extrémité est du lac. Puis, virant progressivement, il fonça de toute la puissance de ses quatre moteurs. Lentement, l’appareil s’aligna, jusqu’au moment où, droit devant, à environ 5 kilomètres, surgit le barrage surmonté de ses deux tours. Débouchant au-dessus de l’eau, à 400 km/h, Gibson hurla les dernières instructions
– Vérifiez l’altitude ! Contrôlez la vitesse ! Attention, les mitrailleurs ! Allumez les lumières !
Le navigateur alluma les deux projecteurs fixés sous le ventre de l’appareil et, guettant le moment où les faisceaux allaient se toucher à la surface, se mit à débiter son refrain
– Plus bas... plus bas... un peu plus haut... c’est bien, c’est très bien...
Comme le Lancaster s’établissait à exactement 20 mètres au-dessus du lac, les canonniers allemands aperçurent les lumières. Aussitôt, les jets des traceuses convergèrent sur la cible jusqu’alors invisible. Les balles semblèrent d’abord arriver lentement, pour se précipiter ensuite à mesure que l’appareil approchait du barrage.
Gibson, parfaitement calme, dirigea le Lancaster droit entre les deux tours. Spafford, l’oeil vissé au trou du viseur en contreplaqué, attendait, la main sur le bouton de déclenchement. Tout à coup, un vacarme terrible éclata dans le nez de l’appareil le mitrailleur avant avait ouvert le feu sur les deux tours.
Gibson eut l’impression que le barrage, mur cyclopéen éclaboussé de feux follets, allait s’écraser sur lui. L’odeur de la poudre et du métal surchauffé le prit à la gorge, et il songea : ’ « Dans une minute, nous serons tous morts. » Puis, Spafford poussa un cri : « Bombe lâchée ! », l’appareil s’engouffra entre les deux tours, et Hutchison lança une fusée rouge pour annoncer aux autres qu’ils étaient sains et sauf. L’instant d’après, TrevorRoper, dans la tourelle arrière, envoya ses quadruples rafales aux artilleurs allemands.
Ils se ressaisirent pendant que le Lancaster plongeait en titubant dans la vallée, rasant le sol pour échapper à la D.C.A. Une fois hors de portée, Gibson monta au-dessus des collines, vira sec et regarda vers le barrage. Tout d’abord, il ne vit rien. Puis, soudain, le plan d’eau découpé par les silhouettes des tours se souleva. Un immense cône blanc creva la surface et monta vers le ciel. Le lac bouillonnait, et comme la colonne atteignait son point culminant et planait tel un fantôme à plus de trois cents mètres, le grondement de l’explosion frappa l’avion. Saisis d’épouvante, les hommes virent une vaste cascade se déverser par-dessus le barrage. L’espace d’une seconde, ils crurent que la muraille avait éclaté. Peu à peu, le lac s’apaisa, et ils constatèrent que le barrage était toujours à sa place. Était-il seulement ébranlé ?
Quelques minutes plus tard, pendant que le Lancaster tournait en rond au-dessus des collines, Gibson jugea l’eau suffisamment calme pour une seconde tentative.
– Allô, « Mother », appela-t-il. Allez-y, maintenant. Bonne chance.
– O.K., chef. On y va, fit la voix toujours nonchalante de Hopgood.
Émergeant d’une trouée entre les collines, il se dirigea droit sur le barrage. Les autres équipages l’observaient anxieusement. Les projecteurs sous le ventre de son appareil s’allumèrent, les deux ronds lumineux glissèrent sur l’eau et se réunirent. Hopgood avait trouvé la bonne altitude, mais, déjà, la D.C.A. ouvrait le feu. Imperturbable, il continua à foncer. A cinq cents mètres de la muraille, l’appareil fut pris dans un tourbillon de traceuses ; une lueur rouge apparut autour du réservoir du moteur intérieur de tribord, puis la queue vomit une longue flamme. La bombe, déclenchée une fraction de seconde trop tard, dépassa le parapet et tomba sur la centrale’ électrique au pied du barrage.
« Mother » franchit la muraille et, aussitôt, se cabra. Hopgood chercha à reprendre de la hauteur pour permettre à l’équipage de sauter. Tout à coup, les réservoirs firent explosion, une aile se détacha, et le Lancaster frappé à mort descendit en vrille, éjectant une pluie de débris incandescents. Juste comme il s’écrasait, la centrale sauta dans une orgie de lumière. Dix secondes plus tard, le drame était consommé.
– Pauvre Hoppy, murmura une voix.
Gibson, le visage figé comme un masque, appela Martin
– Allô, Popsie. Vous êtes prêt ?
– Archiprêt, chef. J’y vais.
– Quand vous attaquerez, je vais survoler le barrage pour essayer d’attirer le feu de la D.C.A.
– O.K., chef. Et merci !
Quand Martin déboucha des collines, Gibson se lança audessus du lac, suivant une ligne parallèle au barrage, mais en restant hors de portée efficace des canons. Dès que les projecteurs de Martin commencèrent à glisser sur l’eau, Gibson vira sur l’aile, et ses mitrailleurs ouvrirent le feu. Les six jets de traceuses qui convergeaient sur les tours détournaient l’attention des Allemands qui n’aperçurent l’appareil de Martin qu’au dernier moment, alors qu’il n’était plus qu’à huit cents mètres du barrage. Néanmoins, trois canons réussirent à tendre un rideau de feu entre les tours, - rideau meurtrier que Martin devait inévitablement franchir.
A l’instant précis où Bob Hay annonça « Bombe lâchée », l’appareil eut un violent soubresaut. Deux obus avaient pénétré dans l’aile de bâbord, et l’un d’eux avait explosé dans le réservoir intérieur. Puis, l’appareil franchit le barrage et plongea dans la vallée. L’équipage, anxieux, guettait l’aile endommagée. Tout à coup, voyant que le réservoir n’avait toujours pas pris feu, le navigateur se mit à hurler
– Ça, c’est un coup de veine ! Ce sacré réservoir était vide ! Martin, souriant, se frotta le menton avant de crier dans le micro
– Bombe lâchée, chef.
– Parfait, Popsie. Allô, Apple. Êtes-vous prêt ?
– Oui, chef.
– Alors, allez-y. Avertissez-moi quand vous êtes en position, et je vais amuser ces messieurs de la D.C.A. Allô, Popsie. Êtes-vous touché ?
– Ouais. Deux trous dans l’aile bâbord, mais tout le monde indemne. On arrivera à rentrer, je pense. Le lac se mit de nouveau à bouillonner, la même colonne blanche jaillit à des centaines de mètres, la même cascade déferla par-dessus la muraille. Mais quand la furie de l’eau se fut apaisée, le barrage était toujours là. Il était même encore debout après l’explosion de la troisième bombe, placée par « Apple » avec une précision admirable. De nouveau, Gibson attendit que la colonne blanche fût tombée, puis il ordonna à Maltby de tenter sa chance. Cette fois, Gibson et Martin, l’un venant de gauche, l’autre de droite, se lancèrent en même temps au-dessus du lac, faisant feu de toutes leurs mitrailleuses, allumant même leurs lumières de position pour disperser le tir de la D.C.A. Une fois de plus, l’énorme éruption bouleversa la surface noire de la Moehne, une fois de plus, le geyser jaillit tout près de la muraille. A présent, la vapeur d’eau recouvrait toute la vallée, et il était difficile de se rendre compte du résultat de l’explosion. Gibson légèrement nerveux, venait d’ordonner à Shannon de lâcher sa bombe quand une voix délirante hurla dans ses écouteurs
– Ça y est ! Le barrage est par terre ! Regardez !
C’était Martin qui, cerclant autour de la vallée, avait assisté à l’effondrement du rempart. L’immense masse de béton avait brusquement éclaté, et tout un pan s’était écroulé sous la poussée de l’eau. Une brèche large de cent mètres et haute de trente béait au centre de l’ouvrage, et le flot furieux, - 134 millions de tonnes -, s’engouffrait entre ses flancs déchiquetés. Gibson dut se ressaisir pour dire à Shannon de « laisser tomber ».
L’un après l’autre, les appareils survolèrent le barrage vaincu. Sous la lumière indifférente de la lune, un mur liquide haut de sept mètres dévala la pente à une vitesse approximative de 25 kilomètres. Un Allemand, peut-être l’unique survivant des tours, ouvrit tout à coup le feu sur les bombardiers ; quelques rafales bien ajustées le réduisirent vite au silence. Peu à peu, l’émotion générale se transforma en une joie sauvage ; seul Hutchison ne participait pas à la conversation animée, passablement décousue et extrêmement bruyante. Assis devant son manipulateur, il envoyait en morse, très lentement, très distinctement, un mot lourd de signification : « Nigger », le nom de Terre-Neuve de Gibson, et aussi le mot de code qui devait annoncer le succès total de l’opération.
Déjà, l’eau et les traînées de vapeur effaçaient complètement la vallée. Gibson ordonna à Martin et à Maltby de rentrer, puis il emmena les autres équipages vers l’est, au-dessus de l’Eder. Ils allaient tenter d’achever l’oeuvre commencée.
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
Derniers commentaires
par ZIELINSKI Richard
par Kiyo
par Marc
par Marc
par Marc
par Marc
par vikings76
par Marie
par philou412
par Gueherec