lundi 7 septembre 2015, par
L’Amirauté redoutait par-dessus tout les pertes que leur causaient les navires marchands que les Allemands avaient armés pour le combat. Ceux-ci, rapides et bien armés, étaient envoyés d’Allemagne pour agir individuellement dans les océans. La difficulté était de les trouver. Au début de la guerre, on en avait formé des groupes pour agir conjointement avec les « cuirassés de poche », mais c’était les utiliser de façon très peu rentable. En effet, la plupart du temps, ils parcouraient des centaines de milliers de milles pour rien, car, au moment où ils arrivaient auprès du dernier navire censé avoir été coulé, l’attaquant lui-même avait disparu depuis longtemps. Ils parvenaient pourtant à désorganiser complètement l’écoulement normal du trafic maritime anglais.
Le premier de ces navires, mis à la mer au cours de la première moitié de 1940 et de ce que les Allemands ont appelé « la première vague », fut l’Atlantis. Il quitte l’Allemagne le 31 mars, bientôt suivi par l’Orion (le 6 avril) et le Widder (le 5 mai). Deux autres, le Thor et le Pinguin font irruption dans les défenses de l’Atlantique en juin. En juillet et en août, un sixième, le Komet, pénètre dans le Pacifique par le passage arctique du nord de la Sibérie. Pour leur permettre de rester plus longtemps en mer, des bateaux-citernes les accompagnent. Ils peuvent ainsi se réapprovisionner dès que la nécessité s’en fait sentir.
Ce n’est qu’en deux occasions que l’un d’entre eux entre en contact avec un bateau de guerre anglais. Le 28 juillet, le croiseur Alcantara rencontre le Thor dans la mer des Antilles, au large de la Trinité (Trinidad). Le bateau anglais est complètement démantibulé par l’ennemi. Il essaye péniblement de rejoindre sa base pour réparer ses avaries tandis que le Thor fait route vers l’Atlantique sud afin de réparer ses propres dégâts et de refaire son plein.
Un peu plus de quatre mois plus tard, au large des côtes sud-américaines, le Thor rencontre un autre croiseur anglais, le Carnarvon Castle. Les choses se passent de la même façon. Tandis que le bateau anglais est sérieusement endommagé, l’assaillant, indemne, s’évanouit dans le décor. Jamais la Royal Navy n’avait été aussi près pourtant de couler l’un de ces insaisissables et dangereux bateaux. Les dégâts qu’ils causèrent furent graves et eurent de nombreuses répercussions. Dans l’Atlantique nord comme dans l’Atlantique sud, dans l’océan Indien comme dans le Pacifique, ces 6 navires coulèrent à eux seuls 54 navires britanniques pour un total de 367 000 tonnes. De plus, ils causèrent des désordres considérables dans l’écoulement du commerce britannique : retards importants et obligation de changer d’itinéraire pour éviter leurs attaques. Certains même, en plus de leurs canons et de leurs torpilles, étaient équipés pour poser des champs de mines qui occasionnaient d’autres retards et d’autres pertes.
Il ne fallait pas s’attendre à ce que le succès relatif des premières expéditions du Deutschland et du Graf Spee, ainsi que les tentatives avortées du Scharnhorst et du Gneisenau, en novembre 1939, détournent l’ennemi de ses attaques contre la flotte anglaise. En septembre 1940, le croiseur Admiral Hipperessaya d’atteindre l’Atlantique, mais des ennuis de moteur l’obligèrent à abandonner ce projet et à retourner à sa base.
Une autre tentative, réussie cette fois, est effectuée par le « cuirassé de poche » Admirai Scheer. Ce dernier avait quitté l’Allemagne le 27 octobre. Il a la chance de n’être repéré par aucune patrouille anglaise et peut atteindre l’Atlantique en toute sécurité, en passant par le détroit de Danemark. Le 5 novembre, il y coule un navire marchand qui, hélas ! ne signale pas cette attaque. S’il l’avait fait, on aurait pu détourner un convoi qui revenait d’Halifax et se dirigeait en plein sur le lieu de la rencontre.
Le convoi était le HX-84, escorté par le Jervis Bay, un croiseur dont le pont supérieur était équipé de 6 canons de 150-mm. Dans la soirée du 5 novembre, quelques heures à peine après la première attaque du Scheer, le Jervis Bay repère le cuirassé qui vient du nord et s’approche du convoi à grande vitesse. Avant même que le premier coup de canon soit tiré, le résultat est celui auquel il fallait s’attendre : le Jervis Bay n’est pas seulement désarmé, mais encore envoyé par quelque dix mille mètres de fond.
Avant de couler, néanmoins, et afin de sauver autant de navires que possible, le capitaine Fegen du Jervis Bay donne l’ordre aux membres du convoi de s’éparpiller vers le sud, sous le couvert des fumées. Ce qu’ils firent, car tous étaient équipés d’appareils générateurs de fumée. Le capitaine Fegen déclenche alors une action contre son redoutable adversaire afin de donner au convoi le maximum de temps pour s’échapper. Le Scheer, bien entendu, fut indemne — les obus du Jervis Bay ne pouvaient même pas l’atteindre —, mais le retard apporté par le défi du capitaine Fegen donna au convoi la chance dont il avait besoin. Lorsque le Jervis Bay coula, le convoi était déjà si éparpillé que le Scheer ne put détruire que cinq de ses éléments et en endommager un autre. Le reste parvint à s’échapper. Pour sa bravoure et son abnégation, le capitaine Fegen reçut une récompense posthume, la « Victoria Cross ».
L’épopée du Jervis Bay engendra une autre épopée dont l’endurance et l’habileté de ses héros est sans précédent dans l’histoire de la marine. Après avoir coulé le Jervis Bay, leScheerendommagea le bateau-citerne San Demetrio. Ce dernier fut touché et prit feu. Son équipage l’abandonna.
Le lendemain, environ 18 heures après l’attaque, il fut retrouvé, toujours en feu, par une poignée de ses hommes qui dérivaient sur un bateau de secours dirigé par l’officier en second. Les hommes ramèrent jusqu’à lui et remontèrent à son bord. Les ponts étaient toujours brûlants et l’incendie faisait toujours rage mais ils improvisèrent des lances d’incendie et, bientôt, se rendirent maîtres du sinistre. Puis, ils mirent en oeuvre leur énergie pour réparer les moteurs et réussirent à en faire fonctionner un. Le bâtiment put alors entreprendre un long et lent retour vers l’Angleterre. Sans autre carte qu’un vieil atlas scolaire trouvé à bord, sans aucun instrument de navigation et à une moyenne inférieure à 5 noeuds, ces quelques hommes parvinrent à ramener le San Demetrio à sa base, avec la plus grosse partie de sa précieuse cargaison de carburant.
Après avoir attaqué le convoi HX-84, le Scheerse dirige alors vers le sud, loin de la zone où il venait d’opérer. Il refait son plein de munitions et de carburant et, après avoir patrouillé au large des Açores, se déplace dans l’Atlantique sud. Là il capture un navire anglais chargé de vivres et lui permet délibérément de transmettre par radio un rapport sur l’attaque dont il a fait l’objet. La raison de cette manoeuvre était d’attirer l’attention sur sa nouvelle position dans l’Atlantique sud, afin d’y, attirer les chasseurs anglais. Ainsi les côtes se trouvaient dégagées au nord où le croiseur Hipperfaisait une seconde tentative pour pénétrer dans l’Atlantique.
Le Hipper quitte l’Allemagne le 30 novembre, alors qu’en mer du Nord, le Scheer échappait aux patrouilles aériennes. Il pénètre sans problèmes dans l’Atlantique nord dans la journée du 7 décembre où il se met à la recherche de convois pour les attaquer. Son capitaine n’ayant pas réalisé qu’à cette époque les convois empruntaient toujours la route du Grand Nord, il n’en trouve aucun. Cet échec a pour effet de le conduire vers le sud où sur la route de la Sierra Leone, il entre en contact avec un convoi dans la soirée du 24 décembre. Il le surveille toute la nuit, dans l’espoir d’une vitoire pour le lendemain.
Ce convoi, en fait, était un transport de troupes faisant route vers le Moyen-Orient. Les convois de ce genre étaient généralement ceux qu’on protégeait le mieux. En s’approchant de lui, le jour de Noël, le Hipper est déconcerté en s’apercevant que le convoi est accompagné d’un porte-avions et de 3 croiseurs. Les Anglais n’ont pas de mal à le faire fuir. Malheureusement, ils perdent sa trace, à cause de la mauvaise visibilité. Au cours de la canonnade, le Hipper avait été légèrement endommagé et avait décidé de couper court à l’attaque. Deux jours plus tard, il se réfugiait dans le port de Brest, sur la côte française.
LeScharnhorst et le Gneisenau prennent le relais. C’était leur première opération depuis la campagne de Norvège, au cours de laquelle ils avaient été assez sérieusement endommagés. Ils venaient de passer 7 mois dans les chantiers de réparation. Leur effort est sans effet. Le Gneisenau est endommagé par la tempête, alors qu’il remontait la côte de Norvège et les deux bateaux rebrousseront chemin pour rentrer à Kiel.
Cette « seconde vague » fut responsable de la perte de 17 navires anglais (97 000 tonnes), ce qui porta le total des pertes de l’année 1940 au chiffre impressionnant de 1 059 navires pour un tonnage de 3 991 641 tonnes. Soixante pour cent des navires coulés l’avaient été par des U-boote, la plupart d’entre eux sur la route vitale de l’Atlantique nord.
Quittons l’Atlantique pour un instant et reportons-nous rapidement sur le dernier chaînon du cercle tracé autour des puissances de l’Axe. Lorsque l’Italie se joignit au conflit aux côtés de l’Allemagne, lors de ces derniers combats en Europe, sa position dans la mer Rouge provoqua immédiatement quelques inquiétudes. Basés à Massaoua, en Éthiopie, les Italiens possédaient une flotte de 9 destroyers, 8 sous-marins et 1 navire marchand armé.
La mer Rouge était un maillon essentiel pour les forces britanniques opérant au Moyen-Orient. La prépondérance sur cette zone était indispensable pour tenir l’Allemagne et l’Italie à l’écart du commerce du monde extérieur et pour acheminer les renforts d’hommes, d’armes et de munitions nécessaires aux opérations sur tous les fronts.
En fin de compte, la menace italienne ne se concrétisa jamais. A peine l’Italie était-elle entrée dans le conflit que 3 de ses sous-marins furent coulés. Un autre fut capturé intact ; ses destroyers n’entreprirent aucune action contre les convois anglais de la mer Rouge et les efforts spasmodiques de l’aviation italienne contre les bateaux anglais furent tout à fait vains. La route de la mer Rouge resta solidement aux mains des Anglais et le cercle ne fut jamais brisé.
Un certain équilibre s’était établi dans l’ensemble de la situation, en cette fin 1940. Certes les Alliés avaient été vaincus en Norvège et en France, mais, sur mer, ils tenaient bon, même si leurs défenses étaient affaiblies en certains endroits. Pour contrebalancer l’occupation ennemie des bases norvégiennes et françaises, avec tout ce que cela comportait, et notamment l’extension du champ d’action des sous-marins, l’Angleterre avait occupé l’Islande, où elle équipait une base aérienne et maritime qui s’avérerait très efficace pour venir à bout des conflits contre les sous-marins allemands. Contre l’accroissement rapide de la flotte de ces sous-marins qui devaient, à un moment donné, dépasser le chiffre de 360, se dessinait la certitude que, au cours de l’année 1941, les convois seraient en mesure de traverser l’Atlantique escortés d’un bout à l’autre. Ce fait devait rendre la mission des U-boote encore plus difficile et périlleuse.
Une ombre à ce tableau subsistait néanmoins. On avait remarqué déjà au cours de la Première Guerre mondiale que les sous-marins hésitaient à s’attaquer aux convois lorsque ceux-ci étaient escortés sur mer ou dans les airs, bien qu’à l’époque il n’existât pas d’arme aéroportée capable de couler un sous-marin. En 1940, cette hésitation restait la même.
Les escortes aériennes des convois maritimes demandaient des avions à longue portée et de grande endurance — ceux-là même qui étaient particulièrement recherchés pour les bombardements au-dessus de l’Allemagne. La R.A.F., qui fournissait les escortes aériennes, manquait totalement de ce genre d’avions. Cette carence se solda par de lourdes pertes. La solution à ce problème ne put être apportée qu’en 1943. A cette époque, la marine possédait suffisamment de porte-avions auxiliaires, ’dont les avions pouvaient assurer la protection des convois. Plus tard, l’Amérique apporta son concours et ces porte-avions purent remplir d’autres missions.
Vers la fin de l’année, quelques lueurs d’espoir apparurent dans une situation qui, au demeurant, était toujours sombre à cause des défaites essuyées sur le continent. La défense sur mer, dont le champ d’action était maintenant plus étendu, tenait toujours bon, ainsi que le blocus de l’Allemagne et de l’Italie. Ce blocus demeurait l’arme fondamentale. S’il pouvait être maintenu, c’est lui qui, en fin de compte, conduirait à la victoire. Le grand danger auquel l’Angleterre devait alors faire face n’était plus tant l’invasion de son territoire dont les risques avaient disparu — si tant est qu’ils aient jamais -existé — mais la crainte de perdre la bataille contre les sous marins.
L’avenir tout entier de la guerre dépendait de cette bataille incertaine menée sur l’immensité des océans. C’était devenu une course contre la ’montre entre le programme de construction entrepris par les Allemands et la mise sur pied d’un système efficace d’escortes maritimes, aussi bien qu’aériennes, sur toute la longueur de l’Atlantique. Dès que ce dispositif serait mis en place, la défaite des sous-marins étaient assurée, mais avant d’en arriver là, une longue et douloureuse route restait à parcourir.
sources Connaissance de l’histoire n°1 Hachette mars 1978
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