jeudi 5 avril 2007, par
Le consul, au milieu de l’émoi général se montrant seul assez calme, du moins dans cette situation effrayante, comme les rangs sont bouleversés, chacun se tournant vers un cri différent, les met en ordre autant que le permettent le moment et l’endroit, et, partout où il peut aller et se faire entendre, exhorte les soldats et les invite à ne pas reculer, à combattre ; ce n’est pas en effet, dit-il, par des voeux et des prières, mais par le courage et la valeur qu’on doit sortir de là ; au milieu des armées, le fer ouvre un chemin ; moins on craint, moins, d’ordinaire, on court de danger. Mais le bruit, le tumulte, empêchaient d’entendre conseils et ordres, et les soldats étaient si loin de reconnaître leurs enseignes, leur rang et leur place, qu’ils avaient à peine l’idée de prendre leurs armes et de les préparer pour le combat, et que certains se laissaient surprendre, leurs armes étant pour eux un fardeau plutôt qu’une protection. Dans une telle obscurité, on se servait plus des oreilles que des yeux : c’étaient les gémissements arrachés par les blessures, le bruit des coups frappant les corps ou les armures, les cris mêlés de menace et de peur, qui faisaient se tourner vers eux les visages et les yeux des Romains. Les uns, en fuyant, se trouvaient portés vers un groupe de combattants, et y restaient ; les autres, revenant au combat, en étaient détournés par une troupe de fuyards. Enfin, quand ils se furent en vain élancés de tous les côtés, étant enfermés de flanc par les montagnes et le lac, de face et de dos par l’armée ennemie, quand il leur apparut que leur seul espoir de salut était dans leur bras et dans leur fer, chacun se guida, s’encouragea lui-même dans l’action, et il sortit de là une bataille entièrement nouvelle ; non pas une de ces batailles rangées avec principes, hastats et triaires, ni telle que les antesignani combattent devant les enseignes et une autre ligne derrière elles, ni que le soldat reste dans sa légion, sa cohorte et son manipule : c’était le hasard qui groupait les combattants, le courage de chacun qui lui donnait sa place aux premiers rangs ou aux derniers ; et si grande fut l’ardeur, si attentive l’application au combat, que le tremblement de terre qui ruina en grande partie beaucoup de villes d’Italie, détourna des torrents de leur course, fit remonter la mer dans les fleuves et abattit des montagnes en d’énormes éboulements, aucun des combattants ne s’en aperçut.
Eugène Lasserre, Tite-Live, Histoire romaine, t. IV, Paris, Garnier, 1937 ;
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