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Dardanelles : La grande pagaille

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Le 25 avril, aux petites heures de l’aube, le débarquement commence. Laissons un moment la grande Histoire pour regarder d’un peu plus près ce que les survivants appelèrent « l’enfer de Gallipoli », et suivont les ANZAC qui attaquent à Gaba-Tépé.

Le bugle sonne le rassemblement dans les coursives du cuirassé Prince of Wales. Le jour n’est pas levé, la nuit est froide et claire, les étoiles brillent encore à l’ouest, mais une faible lueur se dessine déjà, derrière la dentelure sombre de la côte, vers l’est.

Le 10’ bataillon d’infanterie australien gagne ses emplacements le long de la lisse. Les hommes n’ont guère dormi, mais la manoeuvre se passe dans un ordre relatif et dans un silence complet. Les bruits portent loin sur la mer. La côte est toute proche, on la devine à quelque 3 000 mètres, ourlée par le ressac.
Les machines battent doucement en arrière pour casser l’erre du grand cuirassé. Les canots sont déjà à poste, sur leurs porte-manteaux. Un aspirant dirige l’embarquement des hommes dans chaque canot. Dès qu’une embarcation est remplie, l’officier de manoeuvre fait larguer et abattre vers la terre.

Les canots, aussitôt à flot, doivent passer leur remorque à une pinasse à vapeur, puis, quand un train de quatre canots est constitué, le convoi prend lentement le chemin de la côte.

A une cinquantaine de mètres du rivage, quand les fonds ne permettent plus aux pinasses d’avancer, les amarres sont larguées et les canots, chargés à ras bord, font force de rames avec leur cargaison humaine. Cette première partie de l’opération semble se dérouler comme à la manoeuvre. Pas un bruit, pas un mouvement, pas une lumière ne peuvent laisser croire que l’ennemi est en éveil.

Une demi-heure après le début du débarquement, les cuirassés se retirent à distance et sept destroyers viennent mouiller entre la côte et eux, chargés de la seconde vague qui doit attaquer vingt minutes après le déclenchement de l’assaut.

Le général sir William Birdwood, commandant les ANZAC, se proposait de faire débarquer ainsi 4 000 hommes de la 1 division australienne, en trois vagues successives, sur un front d’environ 2 000 mètres. Tout le succès de son opération reposait sur la rapidité et la surprise.

Une fois débarquées, les troupes devaient foncer vers l’intérieur pour prendre pied, à deux kilomètres de la plage, au sommet de trois collines dominantes. Une fois ce premier objectif atteint, les autres vagues d’assaut, protégées par les postes établis sur les hauteurs, aborderaient un terrain relativement facile et installeraient une ligne organisée, à 3 ou 4 000 mètres plus loin. Là s’arrêtaient les prévisions pour le premier jour.

Malheureusement, rien de cela ne se déroula selon les plans établis. Soit qu’ils aient été déportés par un courant non reconnu, soit, comme les Turcs le prétendirent plus tard, qu’une bouée de marquage, mouillée la veille, ait été déplacée intentionnellement, les cuirassés mirent leurs canots à l’eau beaucoup trop au nord.
De sorte qu’au lieu de trouver devant elle une plage de deux kilomètres de long, la première vague d’assaut prit pied sur le promontoir étroit couronné par les fortifications d’Ari Burnu, face à des escarpements quasi infranchissables.
Les patrons des pinasses s’aperçurent bien de l’erreur commise, mais il était trop tard pour changer de cap et l’on ne pouvait ni revenir en arrière ni longer la côte hostile en remorquant des canots chargés à couler.

Au moment même où le premier canot toucha la rive, les Turcs déclenchèrent un feu d’enfer. Les hommes jaillirent en désordre des embarcations, se bousculant, se jetant à l’eau pour tenter d’échapper aux balles qui pleuvaient sur eux.
Un bon nombre ne dépassèrent pas les limites de la plage, mais leurs camarades parvinrent quand même à aborder la première ligne de défense ennemie et en exterminèrent les défenseurs à la baïonnette. Puis, s’accrochant aux racines, se déchirant les mains aux arêtes des rochers, ils se mirent en devoir de gravir la pente vers l’intérieur, après s’être débarrassés de leur équipement lourd.

Sur les lieux de débarquement, le désordre était à son comble. Les canots continuaient d’arriver, bondés d’hommes. Le tir plongeant des mitrailleuses turques les frappaient de plein fouet pendant qu’ils approchaient du rivage. Un grand nombre d’embarcations furent ainsi perdues et leurs occupants mis hors de combat, tués ou noyés.
Dès qu’ils se trouvaient au pied des falaises tombant à pic dans la mer, les canots étaient à l’abri du feu ennemi, mais les hommes devaient cheminer péniblement le long de la grève pour rejoindre un endroit à peu près plat où ils pourraient se regrouper. Le mélange des unités était inextricable. Impossible de réunir les hommes d’une même compagnie, impossible d’identifier les objectifs dévolus à chaque détachement.

Malgré cette invraisemblable cohue, les Australiens parvirent, vers 6 heures, à occuper le sommet de la première colline et commencèrent à s’infiltrer vers la deuxième. Sur leur flanc gauche, les Turcs submergés par le nombre refluaient sans ordre, permettant la mise à terre, sans pertes, de nouveaux renforts australiens.

Quelque 4 000 hommes étaient maintenant à pied d’oeuvre et la seconde crête venait d’être atteinte par l’avant-garde. A 7 heures, les sections de pointe atteignaient le sommet de la troisième colline.
De là-haut, à trois kilomètres à vol d’oiseau, les ANZAC, recrus de fatigue, pouvaient voir le bras de mer des Dardanelles qui brillait sous le soleil levant. Pour ces hommes, le succès paraissait être à portée de la main après les heures horribles de la nuit.

Hélas ! le désordre, loin de s’apaiser, allait en s’amplifiant à deux kilomètres plus bas, sur la plage de débarquement.
Disposant de quelques centaines de mètres pour déposer leurs hommes à terre, au lieu des 2 000 mètres prévus, les commandants des deux brigades de renfort avaient perdu toute possibilité de mettre un peu d’ordre dans leur dispositif.
De plus, les blessés commençaient à affluer et l’on se trouva parfaitement incapable de les évacuer. Les malheureux contribuèrent à encombrer un peu plus les lieux de débarquement, gisant, parfois à l’agonie, parmi les paquetages abandonnés, les caisses de munitions, les monceaux de vivre et de matériel dont personne ne savait ni à qui ni comment les faire parvenir.
En outre, les liaisons avec l’intérieur devaient être assurées par coureurs, ce que les aspérités du terrain rendaient pour le moins difficile, et aucun officier responsable ne savait encore où en était l’attaque.

Par un heureux hasard, les Turcs ne profitèrent pas de cette confusion, pour la raison probable qu’ils étaient eux-mêmes dans l’ignorance de la situation exacte de leurs forces. Du haut des falaises, les mitrailleuses turques continuaient néanmoins à arroser de longues rafales les lignes australiennes, mais les balles passaient largement au-dessus de leur but et les obus fusants faisaient beaucoup plus de bruit que de mal aux troupes entassées sur la plage. H n’en était malheureusement pas de même pour les embarcations faisant la navette entre la flotte et la côte. Elles constituaient une cible idéale pour l’artillerie turque dont les projectiles soulevaient de grandes colonnes d’eau grise entre les allèges chargées d’hommes et de matériel.
La brigade néo-zélandaise fut débarquée en renfort, avec mission de prolonger l’attaque australienne sur la gauche laissée libre par la débandade des troupes de première ligne ottomanes. Les hommes gagnèrent la terre ferme sans trop de pertes, mais les chalands transportant l’artillerie de montagne tombèrent sous le feu des canons ennemis et durent faire demitour.

Les Néo-Zélandais attaquèrent donc sans le soutien de leur artillerie, sous le feu bien ajusté des obusiers turcs. Finalement, une batterie de montagne indienne parvint à se hisser jusqu’à une position favorable et leur apporta un appui dont ils avaient grand besoin.

Les Indiens, habiles à utiliser le terrain, parvinrent à accompagner l’avance de l’infanterie en déplaçant leurs pièces à dos d’homme, au fur et à mesure que les Turcs repéraient leurs emplacements de tir.
A défaut de progresser sensiblement, les NéoZélandais purent au moins s’organiser pour résister à une contre-attaque prévisible.
C’est à peu près à ce moment que se produisit l’événement qui changea peut-être le cours de la bataille.

Si le corps des ANZAC connaissait d’énormes difficultés pour mettre en place ses approvisionnements et acheminer ses renforts, les Turcs, eux, étaient parvenus à la limite de leurs possibilités de résistance.

Leurs munitions d’artillerie s’épuisaient rapidement et le premier succès des Australiens sur les hauteurs au-dessus d’AriBurnu avait profondément désorganisé leur dispositif, sans parler des effets psychologiques néfastes que la panique de l’aile droite avaient déclenchés.

Au quartier général de la 19’ division, le jeune général Kemal Pacha reçut l’ordre, vers 6 heures 30, de mettre un bataillon en route vers Ari Burnu. L’opinion de Kemal était qu’il faudrait beaucoup plus d’un bataillon pour stabiliser une ligne de feu qui, s’il en croyait ses oreilles, se rapprochait sans cesse. Aussi, transgressant les ordres reçus, mit-il sa division entière en route vers la côte, prenant luimême la tête du premier régiment prêt à partir.

Arrivé à proximité de la ligne de feu, Kemal Pacha laissa souffler ses hommes, après une marche forcée sur des chemins rocailleux, et se dirigea, en compagnie de quatre officiers de son état-major, vers une hauteur voisine. Il se trouva alors face à des fantassins qui refluaient en désordre devant les vagues d’assaut australiennes.

Rencontrer un général sous le feu de l’ennemi est assez rare, même dans l’armée turque, pour que cette apparition produise un effet profond sur la troupe. Kemal Pacha réussit à reprendre en main les fuyards, à les regrouper et, leur faisant mettre baïonnette au canon, faute de munitions depuis longtemps épuisées, il les lança dans une contre-attaque improvisée sur les premiers groupes de combat australiens qui commençaient à apparaître sur les crêtes.

La contre-attaque fut assez facilement repoussée par le feu des assaillants, mais cela suffit à stopper leur progression. Pour la première fois depuis leur débarquement. les ANZAC voyaient l’initiative leur échapper et subissaient l’ascendant des défenseurs.
Kemal Pacha déploya alors le régiment qui était massé à contre-pente, refoulant peu à peu les Australiens qui se replièrent sur une ligne de hauteurs déjà aux mains de leurs camarades. Les troupes alliées étaient alors complètement coupées de leur commandement, chaque chef de section manoeuvrant comme il le jugeait bon. En face d’eux, les soldats de Kemal Pacha avaient l’immense avantage d’être dirigés sur la ligne même des combats par un général de 34 ans, en passe de devenir un héros national. Le sort, une fois encore, était défavorable aux combattants alliés venus des antipodes.


sources mensuel Connaissance de l’Histoire 1977 1982 Hachette

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