samedi 7 avril 2007, par
C’est la tête basse que les ambassadeurs retournent en ville, attendus anxieusement par le peuple qui les guette du haut des murailles. Tous comprennent que les nouvelles sont mauvaises et les harcèlent de questions, mais ils veulent prévenir le sénat en premier. La séance commence pendant que la foule guette dehors. Entendant les cris de désespoir des sénateurs, elle force les portes, se précipite dans la salle et assomme sur place ceux des sénateurs qu’elle sait responsables d’avoir livré les otages et les armes. Les députés porteurs de l’affreuse nouvelle sont traînés dehors et lapidés. « Toute la ville, écrit Appien, était pleine de pleurs de colère, de crainte, de menaces ; les uns allaient par les rues appelant leurs amis, les autres allaient aux temples et injuriaient les dieux ; d’autres allaient aux arsenaux et pleuraient de désespoir de les voir vides ; d’autres couraient au port pleurer les navires livrés ; d’autres appelaient par leurs noms les éléphants livrés eux aussi et maudissaient ceux qui s’en étaient rendus coupables. » Les mères dont on a pris les fils « telles des furies » assaillent les passants pour leur en demander compte.
Nul ne songe à capituler ; tous veulent combattre et résister. Le sénat décide de défendre la ville par tous les moyens. Les esclaves sont libérés et transformés en soldats. On envoie un émissaire chez Hasdrubal, récemment condamné à mort pour avoir été un général malchanceux devant Massinissa. Ses adversaires d’hier le supplient d’accourir au secours de la patrie en danger, ce qu’il accepte, amenant avec lui un corps de 20 000 hommes qu’il a réussi à recruter pendant sa disgrâce. Il reçoit le commandement de toutes les troupes en campagne. Un autre Hasdrubal, petit-fils de Massinissa par sa mère, est chargé de la défense de la ville elle-même, ce qui montre le ralliement du parti numide. Les temples, palais et autres locaux spacieux sont transformés en ateliers où hommes et femmes travaillent sans relâche, jour et nuit, pour fabriquer armes et munitions.- Appien affirme que chaque jour ils font 100 boucliers, 300 épées, 1 000 traits, 500 dards et javelots et autant qu’ils peuvent d’arbalètes. Et l’historien ajoute : « Comme ils n’avaient pas de quoi les bander, toutes les femmes se coupèrent les cheveux pour en faire des cordes. » Elles offrent aussi leurs bijoux en or pour faire face aux dépenses nouvelles.
Heureusement, les fortifications de la ville n’ont pas été détruites ; elles sont particulièrement importantes du côté de l’isthme qui relie Carthage au continent et sépare le lac de Tunis au sud, ouvrant dans la baie de Tunis, et le lac de Soukra au nord qui communiquait avec la mer au temps de la troisième guerre punique. Les attaques venant de terre ont à franchir une triple enceinte ; la plus rapprochée de la ville mesure 17 m de haut (14 m sous les créneaux), pour 10 m de large, ce qui est énorme pour l’époque. Construite suivant les règles de l’art militaire édictées par l’ingénieur grec Philon, elle présente au pied du mur un massif de maçonnerie d’environ 5,50 m d’épaisseur et 6 m de haut, capable de résister aux coups de bélier. Dans les 4,50 m restant dans l’épaisseur du mur sont pratiqués des espaces vides pour loger les éléphants, dont malheureusement une grande partie a été livrée à Rome, et les chevaux ainsi que des magasins pour la nourriture de ces animaux. Appien parle de 300 éléphants et 4000 chevaux. La hauteur de 14 m permet d’aménager un second étage où sont installés les soldats et tout le ravitaillement. Les fouilles ont mis au jour dans la citadelle une série de citernes au-dessous du niveau du sol pour l’approvisionnement en eau ; il en existait sûrement de plus proches de cette enceinte et, en outre, un aqueduc amenait l’eau dans la ville. Construit en pierres de taille, ce mur est flanqué tous les 59 ni d’une tour à quatre étages faisant saillie ; un chemin de ronde circule à son sommet.
Henriette Ozanne, Denise R. Olson, Jean Watelet - L’Histoire tragique des villes assiégées - Famot (1979)
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