mardi 11 décembre 2007, par
Cette Exposition, on en disait beaucoup de mal :
– On a vu trop grand : on fera faillite ; les vins ne se vendent pas ; le pays n’a pas d’argent ; les étrangers ne viendront pas à cause de la guerre boer.
Je crois que l’Exposition, elle devait être un ridicule « humbug » et un crash », explique, en un étonnant anglais, dans L’Histoire contemporaine, l’héroïne d’Anatole France, Mme de Chalmot.
La présence de ces métèques qui débarquent à toutes les gares, qui se promènent sur le trottoir roulant, ou dans les paulines et les tapissières à grelots et postillons, ne dit rien qui vaille aux nationalistes. Le peuple français va-t-il prendre le mot d’ordre de l’étranger ? Notre luxe de si bon aloi va-t-il reculer devant un luxe d’origine douteuse ? Ces exclamations dans toutes les langues, ce mélange des sangs, c’est la décadence des empires, c’est l’altération des races, c’est une offense aux vertus françaises. Hermann-Paul, le Forain des dreyfusards, en profite pour venir témoigner contre ses adversaires :
LE NATIONALISTE, à sa femme. - Tu
t’amuses ? Tu n’es pas une patriote !
Ou:LE NATIONALISTE, - Quel est le cochon qui
parle anglais ?
Et encore : LE NATIONALISTE. - Avec tous ces étran-
gers. je ne me sens pas tranquille.
Boni de Castellane parle ainsi de l’Exposition :
– Il me reste l’impression d’une immense plaie sur le pauvre Paris, qui attire les vilaines mouches de tous les pays du monde...
Abel Hermant l’appelle une Cosmopolis de plâtras. Il est vrai qu’à la porte des Ternes Le Combat naval rassure les gens bien pensants. Sur une mer de huit mille mètres carrés évolue la flotte française en réduction, un petit Gustave-Zédé, premier de nos sous-marins, un petit Narval, modèle du submersible qu’on vient de lancer, un Caïman, un Bouvines en miniature qui attaquent une flotte ennemie, sans doute la flotte anglaise, et l’envoient par le fond de l’eau.
A l’Exposition, le Parisien admire, au bord de la Seine, la rouge coupole du Creusot, les nouveaux canons de campagne, les obus. L’empereur d’Allemagne peut mettre de l’eau dans sa bière ! Quant à la reine d’Angleterre, elle en est gagate. Ce pavillon du Creusot exaspère les dreyfusards. La Mlle se presse aux expositions militaires, dit tristement L’Aurore, et aux grandes usines d’artillerie : les canons, énormes pièces à tir rapide, font l’admiration des familles ; elles tombent en arrêt devant les plumets, les galons, la ferraille, le clinquant, les uniformes ; pauvres êtres !
Tout ce luxe, ces filles, ces rois, cette apothéose coloniale, cette rue de Paris, ce triomphe du commerce, cette frénésie de la grande industrie, font horreur aux socialistes.
Ils regardent d’un mauvais oeil les monômes d’étudiants, à bérets de velours ; les cravates de crêpe de Chine noir que la jeunesse des écoles se serre sous le menton, et qui laissent à peine dépasser une mince ligne blanche, épinglées d’un aiglon doré, témoignent assez des sentiments antirépublicains du boulevard Saint-Michel.
C’est alors que retentit un rire étrange, crépitant, condensé : celui de la fée Électricité.
Autant que la Morphine dans les boudoirs de 1900, elle triomphe à l’Exposition ; elle naît du ciel, comme les vrais rois. Le public rit des mots Danger de mort écrits sur les pylônes. Il sait qu’elle guérit tout, l’Élec- tr-icité, même les o névroses à la mode. Elle est le progrès, la poésie des humbles et des riches ; elle prodigue l’illumination ; elle est le grand Signal ; elle écrase, aussitôt née. l’acétylène.
A l’Exposition, on la jette par les fenêtres. Les femmes sont des fleurs à ampoules. Les fleurs à ampoules sont des femmes. C’est l’électricité qui permet à ces espaliers de feu de grimper le long de la porte monumentale. Le gaz abdique. Les ministères de la rive gauche, eux-mêmes. ont l’air de Loïe Fullers. La nuit, des phares balaient le Champ de-Mars, le Château-d’Eau ruisselle de couleurs cyclamen ; ce ne sont que retombées vertes, jets orchidée. nénuphars de flammes, orchestrations du feu liquide, débauches de volts et d’ampères. La Seine est violette, gorge-de-pigeon, sang-de-bœuf .
L’électricité, on l’accumule, on la condense, on la transforme, on la met en bouteilles, on la tend en fils, on l’enroule en bobines, puis on la décharge dans l’eau, sur les fontaines, on l’émancipe sur les toits, on la déchaîne dans les arbres ; c’est le fléau. c’est la religion de 1900.
On dit beaucoup de mal de l’Exposition. mais plus encore de la porte monumentale par laquelle on y a accès. Elle représente pourtant l’expression la plus parfaite du goût de l’époque. C’est la plus belle des cinquante entrées de cette foire mondiale.
Le Journal de la France Tallendier 1970 article de Paul Morand de L’academie Française
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