lundi 4 février 2019, par
Au XXe siècle, la littérature américaine notamment laisse apparaître les effets de la Grande Guerre : depuis que l’on sait à quel point les humains savent faire preuve de cruauté et d’indifférence face à de telles boucheries humaines dans les tranchées de 14-18, alors les limites jusque là établies n’ont plus de valeur pour les écrivains. Des personnages malhonnêtes (et à l’encontre du héros classique) comme The great Gatsby ou Scarlett O’Hara, héroïne d’Autant en emporte le vent, font leur apparition dans le monde littéraire de l’après-guerre.
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom [1]
Certains auteurs ne doutent pas de la valeur des mots, et ne jugent par conséquent pas nécessaire de s’inquiéter du langage et de ses possibilités. Durant la période de l’entre-deux-guerres survient le mouvement littéraire du Surréalisme. Le langage devient le support écrit du rêve et de l’imagination, de l’inconscient et de l’irrationalité. Ce sont des poètes comme André Breton, Paul Eluard, Louis Aragon, qui ont soif de révolte et revendiquent la liberté face aux poèmes traditionnels, ainsi qu’à l’académisme omniprésent. Cette révolte se retrouve également du côté des peintres dadaïstes, puisque la poésie surréaliste revendique le pouvoir de l’art. Et l’art, bientôt, deviendra une arme. En effet, le surréalisme étant sous influence communiste, les poètes comme Aragon et Eluard s’engageront dans la Résistance, et leurs mots seront leur espoir de liberté. Pour les poètes surréalistes, c’est avec conviction qu’ils affirment que le langage a une valeur plus puissante que n’importe quelle autre arme, et que les mots qui s’engagent, ce sont des mots sans limites.
Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de « surréalité », si l’on peut ainsi dire. [2]
Entre 1939 et 1944, la France est en guerre, et c’est dans le même élan de résistance que celui qui meut les citoyens à se battre pour leur pays qu’Aragon rédige son poème Il n’y a pas d’amour heureux. Le poète traduit le militant qu’il est s’engageant dans la Résistance comme on s’engage dans l’amour, parce qu’il est idéaliste, qu’il croit à la liberté et qu’il ne voit pas le danger parce qu’il aime la patrie comme on aime une femme : « Et pas plus que de toi l’amour de la patrie. » [3] Une analogie se dessine entre la France violée, blessée, qui engendre la révolte chez l’amant. Mais c’est avant de s’apitoyer au moment où le combat semble perdu : la patrie subit les mêmes sévices que l’homme amoureux et l’insurgé se retrouve comme « des soldats sans armes. » [4] L’Amour pour son pays passe par la douleur, et le défendre demande des sacrifices. Mais le militant réalise finalement que son sacrifice en vaut la peine, et qu’il retrouvera une certaine sérénité puisqu’il y aura toujours de quoi espérer, même si on l’entrevoit seulement au dernier vers du poème : « Mais c’est notre amour à tous les deux. » [5] C’est à la fin de ces années sombres que les poèmes d’Aragon sont porteurs d’espoir : le poète croit au pouvoir des mots, et pousse ainsi les hommes, les amoureux de la France prisonnière, à y contribuer en s’insurgeant.
Il advint qu’un beau soir l’univers se brisaSur des récifs que les naufrageurs enflammèrentMoi je voyais briller au-dessus de la merLes yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa [6]
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, des auteurs comme Eugène Ionesco, Samuel Beckett, et Boris Vian traitent de l’absurde pour une population sous le choc. Dix ans plus tard, Nathalie Sarraute et Robbe-Grillet innovent et fondent un nouveau mouvement littéraire : le Nouveau Roman. Caractérisé par son écriture fragmentée, son absence de ponctuation et sa suppression de la linéarité du récit, les auteurs l’usent afin d’exprimer le sentiment qui survient après la découverte des atrocités qui ont eu lieu dans le monde entre 1939 et 1945. Mais cet état d’esprit se révèle inexprimable. Malgré le recours à l’absurdité, aux romans à l’apparence inachevée, on s’aperçoit que la littérature porte en elle une part d’impuissance. C’est une fois les mots mis à rude épreuve, chargés d’exprimer l’inexprimable, que leur destination se retrouve inquiétée.
L’homme regarde le monde, et le monde ne lui rend pas son regard. [7]
SOURCES : L. Aragon, La Diane française, Paris : P. Seghers, 1945
BESSE, Françoise, Paris vu et vécu par les écrivains, Paris, Parigramme, 2016
Encyclopaedia Universalis
Poètes en résistance : https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/paul-eluard/
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