De la Rous de Kiev au Temps des troubles
lundi 30 novembre 2020, par
Les premières canonisations dans l’Eglise orthodoxe concernent tout d’abord Vladimir au Xe siècle. Il a rendu la Rous de Kiev chrétienne plutôt que musulmane ou juive, avant qu’arrive Olga, première sainte de l’Eglise orthodoxe baptisée à Constantinople. Viennent ensuite Boris et Gleb, les saints martyrs assassinés très jeunes : ils furent canonisés pour leur abnégation en refusant de faire davantage de morts s’ils ne se sacrifiaient pas. Ils moururent entre 1015-1019, quelques années après leur père Vladimir.
Avec le baptême de Vladimir et celui des Kiéviens au Xe siècle, les Russes deviennent chrétiens en 988 adoptant alors le modèle orthodoxe de Byzance. Les Russes y sont heurtés également par les religieux Bulgares qui fuient le joug byzantin. Le Christianisme se répand grâce aux mariages internationaux, comme c’est le cas d’Anne, la fille d’Iaroslav, mariée au roi des francs. Une de ses sœurs sera mariée à un roi de Norvège, tandis qu’une autre le sera avec un roi de Hongrie.
La cathédrale Sainte Sophie est construite à Kiev en 1017. Elle sera suivie de l’édification des premiers monastères et autres églises. En 1051, le moine russe Hilarion occupe le siège métropolitain de Kiev. Trois ans plus tard, les Eglises d’Orient et d’Occident se détachent l’une de l’autre.
Les Croates et les Polonais rejoignent l’Eglise romaine, tandis que les Bulgares et les Russes adoptent le christianisme orthodoxe. La culture écrite naît grâce à Cyrille et Méthode, deux frères érudits, dont le premier donnera son nom à l’alphabet cyrillique.
Pour les russophones, le vieux slave est l’équivalent du latin et le slavon équivalent du français médiéval. Mais à l’Eglise, c’est le slavon qui devient une langue religieuse, et non pas le latin. Naissent en même temps un folklore, une littérature religieuse, ainsi que des chroniques. Dans le domaine de l’architecture, on construit des édifices religieux, des églises byzantines car Byzance est le modèle religieux à transposer dans la Rous. On bâtit également des cathédrales selon le modèle de Constantinople.
Avec l’essor rapide du christianisme, ainsi que le modèle religieux de Byzance adopté en Russie, on assiste à une « roussification » du christianisme byzantin. C’est la raison pour laquelle le paganisme, qui était la religion à Kiev avant sa conversion, n’est plus d’actualité sous le règne d’Iaroslav le Sage. Il existe néanmoins une résistance païenne, dont la dernière révolte a lieu en 1091. Comme la conversion fut imposée par le prince, un phénomène de « double foi » (dvoidérié en russe) s’instaure en Russie : le christianisme est la religion officielle, mais il reste l’ancrage et la conservation des traditions religieuses plus anciennes auprès de la population. Même à Byzance, certaines traditions païennes subsistent malgré l’importance croissante du christianisme
Au XIe siècle apparaissent les premiers saints autochtones, ainsi que la croissance de l’architecture. Les saints russes les plus connus sont Boris et Gleb, deux princes martyrs assassinés par leurs frères. Canonisés en 1072, ils sont glorifiés par l’Eglise russe qui voit en eux un sacrifice pour leur pays ; ils représentent pour eux une figure christique, deux frères sacrifiés pour le bien des hommes. Suivent ensuite Antoine et Théodore, deux moines. Pourtant, les Russes canonisés sont désapprouvés par Byzance. En effet, celle-ci refuse que l’Eglise russe gagne de l’importance et, de manière générale, le modèle chrétien craint lorsqu’une église indigène se développe.
Le métropolite de Kiev occupe la plus haute fonction de l’église à l’époque de la Rous de Kiev : il est l’élite de la Rous. Jusqu’à l’arrivée des Mongols, on connaît le nom de deux métropolites, à savoir Hilarion et Clément. Le prince et le métropolite se soutiennent, car l’Eglise dépend de l’Etat à cause du peu de fidèle. En effet, elle a besoin d’argent et en trouve essentiellement auprès du prince.
Entre 1240 et 1380, la Rous est sous le joug mongol ; elle entre dans un rapport de collaboration et de soumissions avec les Mongols. Ces derniers montrent une grande tolérance vis à vis de la religion orthodoxe. Bien que les principautés doivent payer un tribut, l’Église, elle, n’est frappée d’aucune taxe. Durant cette période de domination, l’Eglise se renforce également grâce à la protection des princes essentiellement moscovites, ainsi qu’à la fondation de couvents sur le territoire russe. Celui-ci est morcelé en principautés. Par conséquent, l’Eglise permet une unité au milieu d’une division politique. C’est d’ailleurs sous la domination mongole que Moscou devient une capitale religieuse. L’Eglise elle-même soutient la collaboration. Lorsqu’Alexis - métropolite qui maîtrise l’administration de Moscou - se rend auprès de la Horde d’or pour négocier des avantages, il est vénéré pour sa sagesse. Il est même consacré métropolite de toute la Rous en 1354.
Le catholicisme se diffuse en Europe à partir de 1387. Son influence est très forte en Pologne de par l’importance de l’aristocratie locale. Au XIVe siècle, l’empire byzantin est affaibli et subit la menace des Turcs. Durant le règne d’Ivan Kalita [1], entre 1328 et 1341, Moscou se construit et se consolide en devenant un centre religieux dès 1326. Plus tard, en 1354, Alexis - le métropolite de Moscou - devient le métropolite de toute la Rous, sacré par le patriarche de Constantinople.
En 1439, le concile de Florence propose l’union des Eglises catholique et orthodoxe. Affaiblie, cette dernière va accepter cet accord en reconnaissant l’autorité du pape. Mais cet accord est vite répudié par les orthodoxes eux-mêmes. Finalement, le grand-prince refuse. Neuf ans après, l’Eglise russe devient indépendante, elle qui prônait la soumission aux Mongols. Pourtant, Jonas, le métropolite de Moscou et de la Rous, n’est pas reconnu par Constantinople. Une sorte de rivalité apparaît entre Moscou et Kiev avec, en cause, la religion. Cette dernière est néanmoins liée au pouvoir politique : elle en dépend bien qu’elle soit au même niveau. En effet, l’Etat moscovite et l’Eglise russe ont évolué ensemble. 1453 marque la chute de Constantinople, ainsi que la fin de l’empire byzantin.
Au XVe siècle, les Eglises catholique et orthodoxe s’unissent peu à peu. Après la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453, l’orthodoxie triomphe sur l’islam, entraînant des conversions forcées. La prise de Constantinople amène l’Église russe orthodoxe à considérer Moscou comme « la troisième Rome », héritière de Constantinople en tant que centre de l’orthodoxie chrétienne. L’aigle à deux têtes de Byzance est incorporé aux armes de la Moscovie et considéré comme le symbole de la sainte Russie.
Le patriarcat de Moscou est créé en 1589 : Job en devient le premier patriarche, sacré par celui de Constantinople. En 1654, l’Eglise moscovite s’étend jusqu’en Ukraine, mais sera suivie du schisme de 1666-1667 qui mettra à jour sa faiblesse.
Plus tôt, une controverse eut lieu au sein de l’Eglise : les « acquéreurs », du côté de Joseph de Volokolamsk, s’opposent aux « non-acquéreurs », du côté de Nil de la Sora. Les premiers désirent une Eglise à la fois riche et puissante, qui assurerait une proximité entre le tsar et elle en étant ainsi proche de l’Etat, tandis que les seconds préfèrent l’indépendance de l’Eglise quitte à ce qu’elle renonce à la richesse. Un concile de 1503 tranche en faveur des « acquéreurs », mais il est loin de faire taire le mécontentement des « non-acquéreurs. »
Durant le règne d’Ivan le Terrible, Moscou devient la capitale religieuse. L’Eglise soutient la conquête du tsar dans un état musulman, tel des croisades, symbolisées par la victoire de l’orthodoxie sur Kazan, à savoir les « infidèles ». En effet, les Droit de propriétés de l’Eglise lorsqu’elle était sous la protection du joug mongol sont remis en question. Désormais, l’Eglise ne peut plus acquérir des terres sans l’autorisation du tsar. Ce dernier distingue la Votchina, qui sont des terres héréditaires appartenant aux boyards, des pomestié, des territoires qu’on obtient tant qu’on est au service et qui reviennent à la noblesse de service ; ces terres-là ne sont pas héréditaires.
Ivan renforce l’Eglise russe en entamant un processus de christianisation par des canonisations, ainsi que la russification des saints. De plus, l’Eglise est présente dans les hôpitaux et des écoles jusqu’à acquérir un rôle central dans la vie de toute cette période, pourtant en plein morcellement politique. C’est le début de l’autocéphalie russe.
En 1555 a lieu la construction de la cathédrale Basile-le-Bienheureux sur la place Rouge de Moscou durant le règne d’Ivan IV. Basile le Bienheureux était un Fol-en-Christ : il s’agit d’une personne très religieuse qui vit comme un mendiant hors de la société après avoir abandonné tous ses biens. Il était à la fois craint et respecté par le Ivan IV, à qui il osait dire ce que personne n’exprimait jamais.
Forcé de rentrer dans les ordres, Théodore Romanov devient métropolite. Son père, Philarète, l’était également, mais ce devient alors patriarche de Moscou, la fonction religieuse la plus importante.
Entre 1610 et 1613, juste avant Michel Romanov, c’est le début de la campagne polonaise ainsi que du rassemblement « national », dans lequel l’Eglise et le patriarche jouent un rôle prépondérant. La lutte contre les étrangers commence : ce qui gêne n’est pas le fait qu’ils soient polonais, mais plutôt qu’ils soient catholiques. C’est un retournement de situation lorsque l’ambassade russe en Pologne refuse des accords et que la Suède menace Novgorod. C’est à ce moment qu’on demande à Ladislas de devenir tsar. De plus, l’Église se voit renforcée durant le Temps des troubles.
Sources : RIAZANOVSKY, Nicholas, Histoire de la Russie des origines à 1996, Paris, Laffont, 1999.
VODOFF Vladimir, Naissance de la chrétienté russe, Paris, Fayard, 1988.
MCGUCKIN, John Anthony, The Orthodox Church : an introduction to its history, doctrine, and spiritual culture, Malden : Blackwell, 2008.
image : https://www.geneve.com/ru/досуг/русская-православная-церковь/
[1] Ivan 1er
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