vendredi 6 avril 2007
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Un guerrier de l’air, oui, voilà comment on pouvait appeler Werner Môlders. Pour ce combattant exceptionnel, pour cet incomparable professeur de combat, le pilote de chasse devait être d’abord un soldat. " L’éducation militaire est d’autant plus nécessaire que l’aviateur de chasse est un combattant typiquement individuel, disait-il. Tout pilote doit. observer rigoureusement la discipline du groupe et être en même temps capable de prendre la tête du groupe. " Par la suite, lorsqu’il devint inspecteur de l’aviation de chasse allemande, il fit appliquer ses théories dans toutes les escadrilles : sélection sévère, pas d’envoi en nité combattante avant une formation militaire et technique aussi poussée que possible, discipline de fer.
Selon les termes employés par le général de brigade aérienne Hebrard, Werner Môlders " sut concilier la haute tradition de l’aviation allemande de la guerre de 1914-19,18 avec les nécessités de la guerre aérienne Moderne ".
Ce goût de la tradition militaire n’était pas un effet du hasard’ ’ Werner Môlders avait vu le jour en Prusse (en 1913), à Brandenburg, ville de garnison. . Le père de Werner, lieutenant d’infanterie de réserve, avait été tué en Argonne deux ans plus tôt, laissant trois garçons et une fille. Werner était le benjamin.La mère éleva seule ses quatre enfants. De temps en temps, un frère du défunt invitait la petite famille chez lui, à Trèves. Werner avait onze ans lorsque cet oncle lui dit " Tiens, si tu veux, je te paie le baptême de l’air. On le donne aujourd’hui pour six marks. " En descendant de l’avion de tourisme, Werner déclara : " je serai officier aviateur. " Il le fut.
Lorsqu’il sortit, sous-lieutenant, de l’école militaire de Dresde, le commandement allemand faisait discrètement circuler des questionnaires pour dernander des candidats pour une éventuelle armée de l’air. Werner Môlders inscrivit son nom et il fut convoqué peu après pour subir la visite médicale et les tests d’endurance. Il fut reçu.On l’envoya dans une école d’aviation (civile, bien entendu), où il apprit à voler sur des junker 52.
La remilitarisation de la Rhénanie constitua la première violation grave et délibérée du traité de Versailles. Plusieurs écoles d’aviation civile furent immédiatement transformées en bases militaires. Werner Môlders fut alors envoyé à Schleissheim, où on lui mit un Stuka entre les mains. Son rêve se réalisait. Les supérieurs du jeune pilote avaient déjà remarqué ses qualités de chef Il quitta Schleissheim pour devenir moniteur d’une escadrille de chasse à Wiesbaden. Ce fut à ce moment qu’il s’engagea dans la " Légion Condor ", qui combattait en Espagne ’ du côté nationaliste. Il prit presque aussitôt le commandement de la 3-’ escadrille de chasse du groupe Galland. Galland était un as allemand déjà célèbrè. Werner Môlders abattit son premier avion, un Curtiss, en septembre 1938.
Voici les lignes qu’il a écrites sur ce premier engagement, en 1940, alors qu’il se trouvait à Calais. Elles sont intéressantes, surtout parce qu’elles font apparaître la double vocation de Môlders : combattant et pédagogue aérien. " Aujourd’hui, quand je pense à mon premier adversaire abattu, je me dis que c’est certainement l’événement le plus important dans la vie d’un chasseur, et j’essaie d’analyser aussi objectivement que possible les impressions que l’on éprouve. je désire d’autant plus le faire que je tiens, en ma qualité de chef, à faciliter aux pilotes placés sous mes ordres leurs premiers combats. "
je me souviens que le fait de me trouver pour la première fois en face d’un avion ennemi m’avait sur- tout procuré une grande joie, qui l’emportait sur inquiétude de savoir si j’allais correctement appliquer tout ce que j’avais appris en matière de combat aérien. L’idée qu’il pouvait m’arriver quelque chose ne ni’ . d’ailleurs que je n’avais même pas effleuré. Je pense guère le temps de réfléchir. Et, du coup, je commis une erreur en tirant beaucoup trop tôt sur mon premier adversaire, qui s’échappa. Aussi m’approchai-je bien davantage du second avant de tirer. Il ne se défendit presque pas et, sous mon feu, il s’abattit presque aussitôt en flammes. " La première victoire peut être décisive dans la carrière d’un chasseur. C’est pour cela que j’ai toujours aidé les novices à abattre leur premier avion afin de leur donner confiance. Mes victoires personnelles auraient été beaucoup plus nombreuses si je n’avais pas suivi cette politique. Mais je crois qu’au lieu d’entrainer quelques as à rechercher systématiquement le plus grand nombre de ’victoires, il est plus utile de former de nombreux pilotes capables de performances moyennes. "
A la fin de la guerre d’Espagne, Môlders arrivait en tête du palmarès aérien allemand avec quatorze victoires. En novembre 1938, il fut rappelé en Allemagne et,, l’année suivante, il prit le commandement de la 1- escadrille du groupe " As de Pique ", composé exclusivement de pilotes ayant combattu en Espagne. Ce groupe fut basé a la frontière française dès le début des hostilités. Il a déjà été parlé des conditions d’inégalité matérielle dans lesquelles les aviateurs français afrontèrent leurs adversaires de septembre 1939 à juin 1940.
Malgré ces conditions, les as allemands n’enrichirent pas leur palmarès d’une manière sensationnelle pendant cette période, à la fois ’ parce qu’ils étaient plus nombreux et combattaient à tour de rôle, et parce que les pilotes français se manifestèrent comme des adversaires difficiles. Werner Môlders, pour sa part, abattit sept avions au cours de la " drôle de guerre ".Il fut abattu à son tour au-dessus de la forêt de Chantilly, son avion en flammes, le 5 juin 1940. Fait prisonnier, il se vit libéré par l’armistice franco-allemand.
Nommé commandant, il fut envoyé à Calais pour prendre part à ce que de nombreux Allemands pensaient être la dernière phase de la guerre... La bataille de Londres était devenue la bataille d’Angleterre. Le groupe commandé par Môlders comptait cinq-cents victoires.
Le chef du groupe avait abattu personnellement soixante avions, il était devenu l’" as des as " de l’aviation allemande, Galland se plaçant derrière lui avec quarante victoires. Mais ces victoires n’étaient pas " la victoire ". La Grande-Bretagne tenait, elle avait sans doute franchi le cap le plus difficile, et la guerre continuait. Et Môlders continuait à combattre. Lorsqu’il eut abattu son cent quinzième adversaire,, il fut nommé lieutenant-colonel, en même temps qu’un ordre arrivait de Berlin : " Interdiction de voler. Le lieutenant-colonel Môlders est convoqué immédiatement au grand quartier général. "
Dans la plupart des pays belligérants, les grands chefs décidaient ainsi, de temps en temps, d’arrêter un grand as dans sa course aux victoires, qui était aussi une course à la mort. Peut-être pensaient-ils aussi souvent à la masse des combattants obscurs voués à la mort ; peut-être cette idée leur pesait-elle, mais c’était ,là le poids et le prix inévitables de la guerre, tandis que la trajectoire brillante et mortellement dangereuse des chasseurs de l’air impressionnait ces grands chefs. Il semble qu’ils se sentaient obscurément responsables, non seulement du destin d’un homme, mais d’un défi adressé au destin. En outre, ils considéraient parfois que la quantité d’expériences amassée par un seul de ces combattants exceptionnels ne devait pas être perdue et pouvait être communiquée. Alors, ils envoyaient l’ordre : " Interdiction de voler. " Aucun d’eux n’attendit jamais aussi longtemps que Hitler le fit pour Môlders. (Pour un autre aviateur que nous verrons tout à l’heure, Hitler devait attendre encore davantage.) Et cependant, le chef suprême des armées du Ille Reich n’ignorait pas la valeur de Môlders en tant qu’instructeur et organisateur. La preuve, c’est que, peu après l’avoir rappelé, il le promut colonel et le nomma inspecteur de l’aviation de chasse. Les hommes qui ne se sentent vraiment vivre que dans les airs ne renoncent pas volontiers à voler. Tous les aviateurs objets d’une semblable mesure d’interdiction ont commencé par protester auprès de leurs chefs. Or, autant qu’on puisse savoir, Môlders s’inclina sans protestation, bien qu’il lui en coûtât certainement beaucoup de renoncer à voler. Ce Prussien savait aussi bien obéir que commander et sans doute pensait-il qu’il devait, le premier, donner l’exemple de l’esprit militaire.
Il se mit en devoir de remplir de son mieux ses nouvelles fonctions. Un inspecteur général, que ce soit d’aviation ou d’autre chose, séjourne habituellement dans la capitale de son pays. Il téléphone de son bureau et se déplace de temps en temps en tournées. Ainsi avaient fait les prédécesseurs de Môlders, ainsi devaient faire ses successeurs. Lui déclara : " Pas de bureau. Qu’on me donne un wagon. , On lui en donna deux, dans lesquels il s’installa un Q.G. avec radio, téléphone et secrétaires. Les wagons se déplaçaient et Môlders envoyait ses rapports à Berlin, ou bien les wagons revenaient s’y garer quelques jours. Les interventions de Môlders, non seulement comme inspecteur des formations, mais comme coordinateur des actions aériennes et terrestres, atteignirent leur maximum d’efficacité au printemps de 1942, lors de la grande offensive allemande contre la Crimée. Cette offensive fut précédée d’une formidable préparation aérienne. Les deux wagons-Q.G. de l’inspecteur de l’aviation de chasse étaient avancés le plus près possible du front. Chaque matin, Môlders prenait le volant de son auto et il filait vers les lignes. Quittant l’auto, il marchait jusqu’aux tranchées et mettait au point, sur place, avec les chefs d’unité, la préparation aérienne du jour ou du lendemain. Puis il revenait à ses wagons et téléphonait ou radiotéléphonait aux commandants des bases aériennes.
Il était entièrement occupé à ce travail lors qu’il reçut un coup de téléphone de Goering : " Udet vient de mourir. Il ’va recevoir des funérailles nationales. Il était le plus grand aviateur de la dernière guerre, vous êtes le plus grand de celle-ci. C’est vous qui commanderez la garde d’honneur auprès de son cercueil. Venez immédiatement à Berlin. En avion. " Môlders se rendit aussitôt à l’aérodrome de Tschaplinka, près de Pérékop, et il s’embarqua à bord d’un Heinkel 111 avec son officier d’ordonnance, son mécanicien et son radio. Le temps était exécrable : nuages, pluie, vent très violent. Mais ée, n’était pas la première ibis que Werner Môlders prenait les commandes d’un avion par mauvais temps. D’ailleurs, il n’était pas question de remettre le voyage. La garde funèbre d’Udet attendait son chef Le Heinkel prit l’air et fonça au milieu de la tempête. Le vent retardant la progression de l’avion, Môlders dut décider de se poser à Breslau pour faire de l’essence. Le temps était à ce moment complètement bouché. Môlders perdit de l’altitude, s’approchant du terrain. Le sol demeurait complètement invisible. Soudain, un des moteurs cessa de fonctionner, puis, presque aussitôt, un choc terrible secoua l’appareil. Le Heinkel avait heurté un obstacle, cheminée ou pylône télégraphique. Il n’était déjà plus qu’une carcasse brisée gisant dans la boue. Môlders se trouvait au nombre des morts. En moins de vingt quatre heures, l’Allemagne avait perdu les deux meilleurs chasseurs de deux générations.
George Blond "Les princes du ciel"
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