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Capitaine N’Tchoréré

, par

A Air-aines se déroule un drame atroce.

Le village a été installé en point d’appui fortifié dans la nuit du 4 au 5 juin par le commandant Seymour et son bataillon, le 1/53° R.I.C.M.S., appuyé par une batterie du 221° R.A.C.

A l’aube, comme la plupart des autres positions françaises, le I" bataillon est attaqué. Là encore, les Allemands subissent un échec cuisant, particulièrement face à la 5° compagnie, établie aux lisières nord, dans un groupe de maisons éparses, formant une position isolée.

Capitaine N’Tchoréré

Cette 5e compagnie est commandée par l’un des rares officiers afri­cains, le capitaine N’Tchoréré, un Gabonais de trente-cinq ans. Engagé volontaire, il a lentement conquis tous ses galons à la force du poi­gnet. Voici dix ans, on lui a conféré l’épaulette à l’occasion d’une bril­lante campagne au Levant. N’Tchoréré est notamment l’auteur d’un rapport sur la promotion sociale des sous-officiers indigènes, qui dans un premier temps lui a valu l’animosité de son chef direct, mais dont la justesse et l’intelligence l’ont fait, depuis, adopter dans la plu­part des unités africaines. Il se sent parfaitement à l’aise dans son commandement ; d’ailleurs, ses cadres européens eux-mêmes sont fiers et satisfaits d’être sous ses ordres. N’Tchoréré est un chef. C’est une des raisons pour lesquelles le commandant Seymour l’a placé à un endroit crucial pour sa défense’. Toute la journée du 5, toute la nuit suivante, le bataillon Seymour s’accroche à Airaines. C’est pour les Allemands une position vitale, un carrefour important, indispensable pour acheminer renforts et ravitaillements divers aux unités engagées vers le sud, l’Arbre-à-Mou­ches, Mesnil-Eudin, et, au-delà, vers Poix.

Le I/53e ne faiblit pas. Très vite, il s’avère que la position est contournée, et étroitement serrée de tous côtés. Mais les Sénégalais se battent, sans abandonner un pouce de terrain. A l’aube du 6 juin, un effroyable bombardement combiné, artillerie-Luftwaffe, détruit la presque totalité du village, qui brûle, jusqu’au soir. L’assaut repart bientôt ; du début de la matinée à la fin de l’après-midi. Seymour tient encore.

Au crépuscule, des parlementaires protégés par un drapeau blanc viennent suggérer une reddition - Vous battre ne sert plus à rien. Nous sommes arrivés devant Feuquières.

Seymour hausse les épaules. Feuquières se trouve à une qua­rantaine de kilomètres au nord-ouest d’Airaines.

Si ma défense ne sert à rien, pourquoi vous acharner à l’atta­quer ?

Les parlementaires s’en vont, des menaces plein la bouche.

Nous vous anéantirons, promettent-ils. Seymour ne répond pas. Presque aussitôt débouche une nouvelle attaques. Les Allemands tentent de s’infiltrer dans les lisières nord et ouest dont les maisons, qui brûlent, sont difficilement défenda bles. Une contre-attaque de la 5e compagnie, qui les prend de flanc, les oblige à reculer.

La nuit vient, peuplée du fracas d’un bombardement d’artillerie comme encore jamais les Sénégalais n’en ont subi. Ils se réfugient dans les trous, les caves, à l’abri des pans de murs, les mains sur les oreilles, dans l’impossibilité de trouver ni repos ni sommeil. Très tôt, le matin, alors qu’une brume sale stagne encore au ras du sol, les vol­tigeurs ennemis repartent à l’attaque. Vu de leur côté, Airaines n’est plus qu’un tas de ruines fumantes d’où la vie ne peut qu’être absente. Il leur reste une çinquantaine de mètres à parcourir quand, à leur grande stupéfaction, ils voient les créneaux se garnir de visages noirs qui hurlent leur haine et qui tirent, tirent encore. Le I" Bataillon n’est pas vaincu. Il n’est pas anéanti non plus.

Quelques éléments se sont faufilés entre les gravats. Ils attaquent le P.C. du bataillon à la grenade et, en un coup au but, atteignent le dépôt de munitions qui saute, achevant encore un peu plus la destruc­tion du village. Du brasier qui ronfle émergent une dizaine de Séné­galais, coupe-coupe à la main, qui taillent en pièces les grenadiers. Ce sont les cuisiniers

Pendant ce temps, une autre attaque d’infanterie escortée de chars est repoussée par la 5° compagnie. Huit Panzers sont mis hors de combat. Cette fois, pour les Allemands, c’en est trop. Toute l’artillerie disponible, tous les chasseurs bombardiers en l’air sont rameutés sur le village d’Airaines dont le brasier se rallume. Il y a maintenant trois journées entières que le 1/53` R.I.C.M.S. se bat, tout seul, sans même espérer le moindre secours. Depuis la veille, les vivres mêmes sont épuisés. Il est 20 h 30. Le commandant Seymour comprend qu’il ne tiendra plus longtemps.

La prochaine attaque emportera tout, dit-il. Nous n’avons même plus l’espoir de sauver le front. Nous avons rempli notre mis­sion au-delà de ce qui nous était demandé. Il veut mettre la nuit à profit pour faire retraiter les soldats en état de reprendre ’le combat ailleurs. Pour cette raison, il fait rassembler dans l’église les blessés et les quelque soixante prisonniers allemands, capturés au cours des combats, puis il charge le lieute­nant Guérin, de médecin du bataillon, de prendre contact avec l’ennemi dès que les rescapés seront partis. A ce moment arrive une estafette - Le capitaine N’Tchoréré demande l’honneur de rester ici, pour livrer le dernier combat d’arrière-garde. Seymour donne son accord.

La nuit est venue. Seymour et ses hommes commencent à évacuer Airaines. Très vite, les premiers éléments accrochent l’ennemi, au sud du village. Le combat, qui s’était assoupi, se rallume. Comprenant que les Français partent, des Allemands donnent un nouvel assaut, sur la face nord. Ils espéraient peut-être arriver facilement à bout de leur objectif, ils doivent déchanter. Les débris de la 5s compagnie sont encore là et les bloquent.

Pour les réduire, les panzerpionniers sortent alors les lance-flam. mes. Et c’est à la lueur des jets d’essence enflammée que se livrent les derniers combats, d’une sauvagerie inouïe. Il faut aux Allemands réduire un à un chaque emplacement. A dix heures du soir, munitions épuisées, réduite à une quinzaine d’hommes, la 5° compagnie met bas les armes. Le capitaine N’Tchoréré sort le premier, tenu en joue par des dizaines de mitraillettes. Il veut éviter que ses hommes ne soient fusillés, à bout portant comme cela s’est déjà produit, il le sait. Impressionnés par la rudesse du combat, la fantastique résistance qui leur a été opposée, les vainqueurs sont prêts à admirer. Mais quelques SS veillent. Ils font le tri des prisonniers, séparent les Noirs des Européens et, brutalement, renvoient N’Tchoréré croupir avec la troupe. — Je suis officier français, proteste le capitaine.

Un geste de mépris hautain, les SS n’admettent pas qu’un « sous­homme » ait accès à l’épaulette. Ils s’emparent du capitaine N’Tcho­réré, le poussent contre un mur et le fusillent aussitôt, malgré les pro testations de ses camarades, et même des prisonniers allemands qui ont été délivrés, dans l’église. N’Tchoréré était un héros. Les Coloniaux vont en faire un symbole.


extrait de "La Coloniale du rif au tchad 1925-1980"
Erwan Bergot Presse de la cite 1982

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