vendredi 12 juin 2015, par
La journée du 4 octobre, première journée de bataille, est décevante. A ma droite, l’attaque de la Ire D.B. contre Le Thillot reposait sur la combinaison de trois actions devant aboutir à l’encerclement de la localité :
• Les parachutistes du lieutenant-colonel Faure devaient engager, à la droite des Américains, sur la crête de Longegoutte, dans la partie qui porte le nom de forêt de Gehan, puis se rabattre par le nord sur Le Thillot ;
• Le sud de la localité devait être abordé par le sous-groupement Durosoy, venant de Château-Lambert ;
• L’est, enfin, devait être atteint par le C.C.3., ayant pour objectifs initiaux le ballon de Servance et Fresse-sur-Moselle.
Déclenchée à 6 h 30, cette opération se solde par un échec complet. Rien ne peut venir à bout des défenses allemandes de Château-Lambert et de Servance. Ainsi, l’action offensive de la 3e D.I.A. se déclenche sans qu’ait été assurée, au préalable, la protection de son flanc sud.
Les parachutistes, cependant, ont cherché à prendre pied, comme prévu, dans la forêt de Gehan, tandis qu’à leur gauche les avant-gardes de la 3e D.I.A. montaient vers la crête de Longegoutte avec l’illusion d’y trouver encore les Américains.
J’avais articulé ma division en trois groupements tactiques :
I) à droite, dans la partie est de la forêt de Longegoutte, le G.T. I du général Duval, comprenant le 3e R.T.A., le 3e G.T.M. et un groupe d’artillerie ;
2) à gauche, dans la partie ouest de la forêt de Longegoutte, le G.T. 2 aux ordres du colonel Chappuis, secondé par le colonel Hogard et l’état-major des goums. Ce G.T. comprenait le 7e R.T.A., le 2e G.T.M. et un groupe d’artillerie ; 3) le 4e R.T.T., le 3e R.S.A. et le 7e R.C.A., que je conservais en réserve.
Le 4 octobre, au lever du jour, les premiers éléments des 3e et 7e R.T.A., débarqués de nuit avec la plus grande discrétion, se portent aux points prévus pour relever les deux bataillons du 7e R.I. américain supposés tenir la forêt de Longegoutte. Mais à notre grande surprise ces bataillons ont été repliés au cours des nuits précédentes sur Remiremont, sans que nous en ayons été prévenus. Les violents tirs de mitrailleuses et de mortiers qui accueillent à mi-pente nos premières unités ne nous laissent aucun doute. L’ennemi occupe en force notre base de départ. Nous devrons la conquérir au prix d’une bataille préliminaire dans laquelle la division sera engagée presque entièrement. Prenant acte de l’échec de la Ire D.B., ainsi que de l’engagement anticipé et forcé de la 3e D.I.A., le général de Monsabert donne l’ordre au général du Vigier de se borner à couvrir l’action des parachutistes. Il me prescrit d’établir mon groupement sur les lisières septentrionales de la forêt de Longegoutte pour me préparer à franchir, le 6 octobre, le cours de la Moselotte. Mais sur tout mon front s’engage une lutte acharnée, haletante, sans merci, qui évoque irrésistiblement le souvenir glorieux mais tragique des sombres batailles vosgiennes de l’hiver 1914-1915. Mon adversaire direct est un général au nom français, L’Homme de Courbières, commandant la 338e division d’infanterie. Chef énergique et résolu, il a su ressouder des unités diverses, soutenues par des bataillons de mitrailleuses lourdes et qui utilisent au mieux les possibilités défensives qu’offrent les forêts et le relief du terrain. Le 5 octobre, après avoir conquis au corps à corps les pentes sud de Longegoutte, nos unités s’approchent de la crête mais, le lendemain, L’Homme de Courbières a recours à une tactique à laquelle nous le verrons rester fidèle : il lance carrément sa division entière à la contre-attaque.
Dans la partie ouest de la forêt, le groupement Chappuis bloque les grenadiers allemands. Mais, à l’est, ceux-ci s’enfoncent entre le col de Morbieux et celui du Rhamné, coupant notre dispositif en deux et isolant nos éléments avancés, le lei régiment de parachutistes et le 2e bataillon du 3e R.T.A. Pendant trente-six heures les deux adversaires qui se menacent mutuellement d’encerclement, s’affrontent en des combats sous bois confus et violents. En définitive, la situation se rétablit à notre avantage : au soir du 8 octobre, mon groupement couronne l’ensemble de la crête de Longegoutte. Il a conquis... sa base de départ.
Mais il n’a obtenu ce succès qu’au prix de quatre jours de bataille et en engageant la quasi-totalité de ses forces. J’ai dû faire appel au 4e R.T.T. pour couvrir les arrières des deux groupements tactiques puisque, dans leur dos, Le Thillot tient toujours. En outre, il a fallu constituer un groupement tactique n° 4 (G.T. 4) confié au colonel Bonjour et formé du 3e R.S.A., du 2e dragons et du bataillon Pator, du régiment F.F.I. de Franche-Comté, afin de maintenir la liaison avec les Américains. Par de petits chemins forestiers, ce groupement a atteint les approches ouest de Thiéfosse ; la menace qu’il fait peser sur la Moselotte assurera la sécurité du flanc nord de l’attaque qui va maintenant être lancée pour tenter de franchir la rivière en amont.
Cette attaque s’ébranle le 9 octobre par un temps abominable. La pluie, le brouillard et la neige alternent ou se conjuguent. On avance dans l’eau.
Mais on avance tout de même. A la gauche du secteur, le colonel Bonjour passe la Moselotte vers Pubas et pousse jusqu’à Trougement sur la G.C. 34 qui conduit vers la Bresse. Au centre, les Tunisiens de Guille
baud, les Algériens et goumiers de Chappuis forcent aussi la rivière entre Thiéfosse et Saulxures. A droite, le 3e R.T.A. du colonel Agostini se fraye opiniâtrement un passage en liaison avec les parachutistes de Faure, vers la sortie de la forêt de Gehan, où l’ennemi, tapi dans des abris en rondins à peu près invisibles, résiste avec frénésie.
Le 10 octobre, un espoir très net se présente à notre gauche. A midi le 2e dragons du colonel Demetz dépasse de 2 kilomètres le village de Planois. Va-t-il être possible de foncer jusqu’à la Bresse et de faire tomber d’un seul coup par ce mouvement latéral toute la chaîne de hauteurs qui, au nord et au nord-est de Saulxures commande ce noeud de communications ?
sources : article du Général Guillaume Historia magazine 1969
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