lundi 2 avril 2007, par
Entre les deux armées coulait un ruisseau, renfermé, de toutes parts, dans des rives profondes et couvertes d’herbes marécageuses, de buissons, de broussailles, comme le sont d’ordinaire tous les lieux incultes. On pouvait cacher même de la cavalerie dans cet endroit obscur : Hannibal s’en aperçut, après avoir lui-même reconnu te terrain : "Voilà quel sera ton poste, dit-il à Magon, son frère : choisis dans l’armée cent cavaliers, cent fantassins, et viens avec eux me joindre à la première veille. Il faut maintenant prendre de la nourriture et du repos." Il dit, et congédie le conseil. Magon paraît bientôt avec sa troupe d’élite. "Je vois, dit Hannibal, des guerriers intrépides. Mais, afin de vous assurer l’avantage du nombre ainsi que de la valeur, vous choisirez chacun, dans tous les bataillons d’infanterie ou de cavalerie, neuf braves qui vous ressemblent. Magon vous montrera où vous devez vous embusquer. Vous aurez affaire à un ennemi incapable de rien voir dans ces ruses de guerre." Les mille cavaliers et les mille fantassins de Magon sont partis. Hannibal, au point du jour, ordonne à la cavalerie numide de passer la Trébie, de voltiger le long du camp romain, et de harceler les avant-postes, pour attirer l’ennemi au combat ; puis, lorsque l’action serait engagée, de lâcher pied peu à peu, afin de l’entraîner en deçà de la rivière. Telles étaient les instructions des Numides. Les autres chefs de l’infanterie et de la cavalerie reçoivent l’ordre de faire dîner tous leurs soldats, de seller ensuite les chevaux, et d’attendre le signal sous les armes. Sempronius, à la première alerte donnée par les Numides, fait d’abord avancer toute sa cavalerie, cette partie de ses forces dont il est si fier, puis six mille hommes d’infanterie, et enfin toutes ses troupes, tant il était avide de mettre à exécution sa résolution prise longtemps d’avance de livrer bataille. Ce jour-là, la brume était assez piquante, et il tombait de la neige dans ces lieux situés entre les Alpes et l’Apennin, et refroidis encore par le voisinage des fleuves et des marais. Comme les hommes et les chevaux étaient sortis précipitamment, sans avoir pris d’avance aucune nourriture, sans s’être munis d’aucune protection contre la rigueur de la saison, ils n’avaient plus de chaleur ; et, à l’approche de la rivière, l’air, devenu plus vif, les glaçait de froid. Bientôt ils entrent dans l’eau, afin de poursuivre les Numides qui fuient devant eux, et ils en ont jusqu’à la poitrine, à cause des pluies qui, la nuit précédente, ont grossi la Trébie : alors, à mesure qu’ils sortent de la rivière, ils sentent leurs membres si engourdis, qu’à peine ils peuvent tenir leurs armes ; et, comme déjà la journée est avancée, ils se trouvent épuisés de fatigue et de besoin.
Eugène Lasserre, Tite-Live, Histoire romaine, t. IV, Paris, Garnier, 1937
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