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Le facteur humain

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Guerre classique ? Guerre d’avant-garde ? Guerre technologique ou guerre conventionnelle ? Guerre électronique ou guerre psychologique ? Le violent conflit qui a opposé dans l’Atlantique Sud deux nations modernes a été, au fil de deux mois et demi de péripéties souvent dramatiques, affublé de toutes ces étiquettes. On a même parlé de « guerre infra-nucléaire ». En fait, il fut successivement tout cela. Une véritable mine d’informations pour les stratèges contemporains. Une « expérience » dont on n’a pas fini d’exploiter tous les enseignements. Mais aussi une surprise : à l’heure des missiles « intelligents » et des sous-marins nucléaires, la victoire des Malouines a finalement été emportée à l’arme blanche.

Lorsque l’armada britannique a quitté Portsmouth le 5 avril 1982, de nombreux experts occidentaux ont témoigné de leur scepticisme : jamais une force d’intervention comme celle-ci ne pourrait renverser le cours d’événements survenus à plus de 10 000 kilomètres de ses bases arrière. Catégorique, un spécialiste de l’Institut international des études stratégiques de Londres affirmait un mois après l’appareillage : « Pour réussir un débarquement amphibie, il faut réunir trois conditions : la surprise, la supériorité en nombre et la supériorité dans l’air. La Grande-Bretagne n’a aucune de ces trois conditions pour elle... A un contre deux, les Britanniques ont une chance, mais à un contre huit ou neuf, c’est sans espoir. » Et l’« expert » de conclure : « Ce conflit peut s’éterniser et continuer ainsi pendant longtemps ».

Cinq semaines plus tard, Port Stanley (ex Puerto-Argentino), le dernier bastion argentin, tombait aux mains des soldats britanniques et de leurs supplétifs népalais.
Guerre sur mer, guerre des airs, guerre électronique et guerre psychologique ont, chacune à sa façon, à tour de rôle ou simultanément, permis cette victoire à l’arraché. Mais jusqu’aux ultimes corps à corps qui, en définitive, ont fait la décision, il faut rappeler que tous les regards furent concentrés sur les performances des matériels mis en action. Comme si la guerre des Malouines n’était qu’une réplique
— grandeur nature — des jeux électroniques faisant fureur dans les foires-attractions.
« Tirez et oubliez », ce slogan publicitaire que les marchands de missiles inscrivent dans leurs catalogues ne fut-il pas le maître mot de la guerre aéronavale des Malouines ?
Tigerfish (la torpille « intelligente » qui a coulé le General Belgrano), Exocet (le missile miracle vainqueur de l’escorteur Sheffield) ou Sea-Harrier (les déconcertants avions à décollage vertical) ont en effet monopolisé l’attention des observateurs et du public au point de gommer le rôle essentiel joué par l’homme dans le déroulement des opérations militaires. Même durant les semaines qui ont suivi la victoire finale
— les bilans définitifs étant faits au niveau des pertes en hommes (au moins mille victimes) et en matériels (une douzaine de navires anglais coulés, une centaine d’avions argentins détruits)
— les performances des nouveaux matériels ultra-sophistiqués testés durant le conflit ont littéralement occulté le rôle, en définitive déterminant, joué par les techniciens (pilotes, artilleurs, électroniciens, services spéciaux...) et les fantassins (Royal Marines, S.A.S., Gurkhas).

Ce phénomène est d’ailleurs classique, les guerres limitées ayant toujours servi de banc d’essai pour les matériels les plus sophistiqués, ceci sous l’oeil vigilant des industriels d’armement (qui ravitaillent parfois simultanément les deux belligérants et qui alimentent volontiers, à cette occasion, les médias d’informations quasi publicitaires).
Aujourd’hui, grâce à un peu plus de recul, les stratèges européens soulignent que la détermination des hommes, leur savoir-faire, l’héroïsme de certains (notamment des pilotes argentins), le recours à la désinformation (les Anglais ont abusé Buenos Aires avec de fausses informations soigneusement distillées) ont joué dans le conflit un rôle au moins aussi déterminant que la « missilerie » ou que les contre-mesures électroniques.

Un des enseignements les plus commentés par les experts réside dans la capacité qu’ont eue les pilotes argentins de déjouer les radars britanniques embarqués en rasant les flots et les superstructures des navires visés. Une découverte ! Un autre exemple tout aussi significatif a retenu l’attention des spécialistes : l’extraordinaire efficacité des actions de commandos dans la quête du renseignement tactique et la préparation du débarquement amphibie (on a appris plusieurs semaines après que plus de 300 hommes avaient séjourné clandestinement sur les îles dans ce but).
En effet, autant les matériaux et les armements peuvent être testés dans des conditions proches du réel (on connaissait, contrairement à ce qui a été écrit dans le feu de l’action, les exactes performances du missile Exocet AM-39 qui avait déjà donné Lieu à de nombreux essais en tirs réels, comme on connaissait parfaitement les faiblesses structurelles des bateaux modernes en matière d’incendie), autant le facteur humain est-il par définition aléatoire, la sanction étant sur le terrain.
Le conflit des Malouines est volontairement resté limité à une zone géo-stratégique restreinte. Sauf, bien sûr, en matière d’armements et de renseignements puisque les belligérants ont fait appel à des puissances tiers : assistance technique et ravitaillement en matériel tous azimuts pour l’Argentine ; assistance logistique et fourniture de renseignements par satellites et avions radar U.S. pour l’Angleterre.
Ce conflit limité dans l’action
— les Britanniques s’étant abstenus d’intervenir sur le continent comme ils pouvaient aisément le faire grâce à leurs commandos S.A.S., les États-Unis liés par un traité d’assistance continentale avec Buenos Aires le leur ayant interdit — est donc resté un conflit limité dans l’espace et dans le temps. Il a confirmé les experts dans leur certitude qu’une armée de métier bien entraînée et bien équipée, disposant de surcroît de directives claires et d’une caution politique ferme, est toujours supérieure à une armée de conscrits aveuglés temporairement par des slogans hypernationalistes cachant mal l’impéritie de leurs chefs. Il est à noter que la France, par exemple, n’aurait pu mener une telle opération faute de moyens amphibies.

La suite des événements était inscrite dans ces quelques faits connus de tous — mais « oubliés » dès le début du conflit anglo-argentin. Certes, la destruction du porte-avions Hermès par un Exocet, ainsi que l’ont vainement recherché les Argentins, aurait été très grave pour les Britanniques. Mais l’état-major de la Task Force, même frappé par une telle perte, n’aurait certainement pas mis fin à une confrontation dont l’issue restait manifestement à son avantage, ainsi qu’on l’admet aujourd’hui.

La guerre des Malouines, gagnée en quelques semaines selon une graduation presque schématique (navale, aéronavale, puis terrestre), a apporté aux militaires ,« opérationnels » des arguments que nombre de stratèges de salons commençaient à contester. Les militaires et marins anglais ont, en effet, opportunément prouvé qu’une force d’intervention (Task Force) appuyée par des navires commerciaux, pouvait, sous certaines condittions et grâce à certains appuis logistiques, emporter la décision à mille lieux de ses bases. Ce qui est d’ailleurs sa seule vocation. Une démonstration qui devrait encourager des pays occidentaux comme la France à reconsidérer le rôle et les moyens de leurs propres forces d’intervention et surtout de leur flotte.
Dès l’issue du conflit
— qui lui a pourtant coûté plus de 5 000 millions de francs Londres a confirmé le maintien de ses priorités en matière de Défense en ce qui concerne le nucléaire stratégique. Mais M. John Not, le ministre de la Défense, a convenu qu’il faudrait « tirer les leçons » de la guerre des Malouines sans pour autant dévaluer le rôle stratégique que la Grande-Bretagne est tenue de jouer au sein de l’O.T.A.N. dans la défense de l’Atlantique Nord.

Première décision, mais de poids : le porte-avions Hermès, vedette des Malouines, ne sera pas vendu à l’Australie ainsi que cela avait été décidé avant le conflit. Un symbole.


par Jean-François Mongibeaux Connaissance de l’histoire ed Hachette 1982

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