jeudi 13 septembre 2007, par
Les aviateurs américains qui s’illustrèrent dans le ciel de l’Europe ensanglantée de 1916 surent donner à l’image du pilote de chasse les contours qu’elle garde encore aujourd’hui : de très grandes qualités de générosité, de désintéressement, du panache, de la classe et beaucoup d’inconscience. Il en fallait pour se ruer à bord des Voisin et autres Spad dans de furieux combats où la terreur de brûler vif le disputait aux incertitudes mécaniques et à la hantise d’être contraint à se poser derrière les lignes adverses. Loin de chez eux, les pilotes de l’escadrille La Fayette donnèrent leur vie sans hésiter, pris dans une guerre qui n’aurait pas dû les concerner, volontaires souvent, semble-t-il, par goût de ce sport héroïque aux règles implacables : le duel aérien.
Le 18 septembre 1918, les lieutenants Frank Luke Jr. et Joseph Wehner, décollaient pour une mission de chasse aux drachen, les ballons captifs en forme de saucisse utilisés pour l’observation par les Allemands. Luke attaqua les ballons tandis que Wehner veillait à repousser toute tentative d’interception par des appareils de combat allemands. Luke réussit à abattre deux « saucisses », mais il perdit son équipier. Une nuée de Fokker avait, en effet, assailli les deux Américains ; faisant face. Wehner descendit 3 de ses adversaires et sauva la vie de Luke au prix de la sienne.
De retour à la base, Luke écrivit dans son compte-rendu de mission que le lieutenant Wehner méritait de se voir crédité des victoires de cette journée ; et pourtant Luke n’avait guère tendance à partager ses victoires avec d’autres.
Après la mort de Wehner, la détermination de Luke de « descendre de l’Allemand » sembla plus ferme que jamais. Il n’était pas apprécié du fait de sa vantardise et de son goût bizarre pour les attaques de ballons... La plupart des aviateurs évitaient les missions de ce genre dans toute la mesure du possible, ou laissaient le sort en décider pour eux. Les drachen étaient bien protégés par les tirs des mitrailleuses et des canons antiaériens. Ils constituaient parfois de véritables pièges, avec des plans de feux antiaériens pour la couverture basse et des patrouilles hautes de Fokker. Leur rôle était d’attirer l’adversaire pour le détruire.
L’attaque des saucisses constituait une mission déplaisante et non sans danger. Et pourtant Frank Luke semblait aimer cela ; son score s’élevait à 20 victoires. Mais la fatigue nerveuse ne tarda pas à paraître.
Luke avait toujours été peu enclin à la discipline, ses victoires le rendirent plus capricieux et plus indiscipliné que jamais. Au retour d’une absence sans permission, il se retrouva interdit de vol. Forte tête comme toujours, il décolla sur son Spad en laissant le billet suivant : « Attention ! Chute de ballons en flammes. Luke. »
Il fut égal à lui-même. Le ballon n° 1 fut vite au sol ; puis, au milieu d’un intense tir de barrage, Luke régla leur compte aux n° 2 et 3. Son avion fut touché et lui-même fut blessé ; il mitrailla cependant une dernière fois les troupes allemandes près de Mur-vaux avant de se poser dans les champs à proximité de cette ville. Il réussit à sortir de son avion, but un peu d’eau dans un mis-seau voisin et s’assit, attendant l’ennemi le pistolet au poing. C’est ainsi qu’il mourut, vendant chèrement sa peau. Avec 21 victoires probables (18 homologuées), Frank Luke détient la seconde place sur la liste des as américains de la Grande Guerre, derrière le capitaine Edward V. Rickenbacker crédité de 26 victoires.
Les Etats-Unis entrèrent dans le conflit en avril 1917. Mais ce fut un an après seulement que l’United States Air Service commença à participer pleinement à la guerre aérienne sur le théâtre européen. Les Américains étaient nouveaux à ce jeu, et ils en étaient conscients. Ils avaient été absents de la fantastique progression technologique et tactique qui avait suivi le 5 octobre 1914, date à laquelle un équipage français sur Voisin avait abattu un Aviatik allemand, lors du premier combat aérien de l’Histoire.
Pendant quelques temps, les monoplans de chasse de Fokker, les fameux Eindecker curent la supériorité aérienne, mais très vite, ils furent mis à dure épreuve face aux chasseurs français et aux appareils britanniques à hélice propulsive comme le DH.2. Dans les deux camps on avait résolu le problème du tir à travers le disque de l’hélice.
Roland Garros avait eu, le premier, rodée de monter sur les pales de son hélice des déflecteurs qui faisaient dévier celles des balles de sa mitrailleuse qui risquaient de les briser. Puis Fokker mit au point, à partir d’un projet de Schneider, un dispositif plus complexe de synchronisation du tir arec la rotation de l’hélice. Ce dispositif consistait en une came fixée sur l’arbre porte-hélice interrompant la rafale lorsqu’une pale passait devant le canon de la mitrailleuse.
Plus tard dans le cours de la guerre, la supériorité aérienne de l’ennemi se fit écrasante sur le front tenu par le corps expéditionaire britannique, dont l’aviation n’a-luit pas suivi les progrès techniques des Français et des Allemands.
En particulier le Jagdstaffel 11 du Rittmeister Manfred von Richthofen fit payer aux Anglais un lourd tribut avec ses Albatros plus rapides, plus robustes et mieux armés. Richthofen en personne abattit l’as britannique Hawker d’une balle dans la tête tirée à 30 mètres à l’issue d’un féroce duel aérien qui s’acheva, pour l’Anglais, dans la boue du no man’s land s’étendant entre les tranchées.
Le mois de l’entrée en guerre de l’Amérique fut baptisé « Bloody April » (avril sanglant). Les choses s’améliorèrent un peu avec l’arrivée d’appareils nouveaux : les Camel, les triplans Sopwith et les SES, mais les Britanniques restèrent constamment en retard de six mois sur les Allemands et les Français notamment ; ces derniers durent leur fournir un grand nombre d’avions de combat.
A l’époque où les Américains recevaient le baptême du feu, bon nombre de héros étaient déjà disparus. L’Allemand Max Immelmann, l’Aigle de Lille, avait été tué en juin 1916. Entre mai 1916 et mai 1917, l’Anglais Albert Ball du Royal Flying Corps égalait en renommée les grands as français il mourut de façon assez inexplicable dans le ciel de Fresnoy lors d’un combat contre un pilote allemand inconnu. Son appareil ne portait que des traces de balles superficielles... L’Allemand Oswald Boelcke, l’un des premiers à avoir utilisé en combat une mitrailleuse à tir synchronisé, trouvait la mort dans une collision en vol en octobre 1916. Enfin l’as des as, le capitaine Georges Guynemer, disparaissait à son tour le 11 septembre 1917.
Les conditions sévères des missions de combat, le froid, la tension nerveuse, la peur constante de périr brûlé vif avaient éliminé des escadrilles les rêveurs et les aventuriers. De nombreux pilotes avaient sauté - sans parachute - de leur avion en flammes pour ne pas mourir brûlés. Le major Edward Mannock, l’as n° 1 du Royal Flying Corps, portait toujours sur lui un pistolet chargé en cas d’incendie de la machine...
Un pilote d’Aviatik a décrit cette peur du feu que connurent tous les aviateurs de la Grande Guerre, des plus chevronnés jusqu’aux nouvelles recrues : « Notre précieuse essence s’échappe, et une langue de flammes sort des pipes d’échappement à chaque explosion du moteur... Une petite étincelle suffirait... L’habitacle et les ailes baignent dans cette essence qui se vaporise en nous glaçant... Une toute petite étincelle suffirait... Mieux vaut se tirer une balle dans la tête que d’être dévoré par les flammes. »
Le romantisme n’était pas de mise dans le ciel. Seuls les véritables prfessionnels se tiraient d’affaire... et encore ! Tous les plus grands as, à l’exception, peut-être, de Charles Nungesser, souffraient des nerfs et paniquaient à un moment ou à un autre. Les moins aguerris d’entre eux vomissaient régulièrement leur déjeuner sur le tableau de bord. Certains se crispaient sur les commandes et partaient à la mort comme fascinés par les mitrailleuses de l’ennemi. Curieusement, les meilleurs combattants étaient souvent les plus médiocres des pilotes, mais ils tiraient bien et n’avaient pas de nerfs.
Ainsi les Américains avaient-ils beaucoup à apprendre. Aux Etats-Unis, le voile du secret tendu par les Alliés sur tout ce qui concernait le matériel et la tactique avait entraîné un retard de plusieurs années en matière de technologie aéronautique. Les meilleurs appareils américains de l’époque, le Curtiss JN-4 (Jenny) et le Thomas Morse S4C n’étaient utilisables que pour l’entraînement... et non sans précautions.
Les hostilités se prolongeant, l’Amérique se mit à fabriquer sous licence un nombre croissant d’avions de conception européenne, et à les équiper du moteur V12 American Liberty de 400 ch à 12 cylindres en V. Mais ces appareils demeuraient peu fiables, ainsi que leur moteur. Nombre d’entre eux devaient passer en révision générale dans les centres de réception de l’Air Service en France.
Le haut commandement américain ne comprenait rien à l’aviation et regardait avec soupçon les ambitions de ses forces aériennes. Le général Billy Mitchell, responsable de l’Air Service sur le front, écrivait sans illusions : « Notre état-major général s’efforce maintenant de commander directement les forces aériennes, il le fait avec à peu
près autant d’habileté qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. »
Les Etats-Unis eurent pourtant une chance : nombre de citoyens américains n’avaient pas attendu l’entrée en guerre de leur pays pour rejoindre les aviations française et britannique. Ces pilotes purent assurer l’instruction en vol des jeunes recrues qui débarquèrent en Europe en 1917 et 1918, impatients de faire leurs preuves.
Ainsi le lieutenant G.A. Vaughn servit-il sur SE5a (à moteur Wolseley Viper de 200 ch au lieu de l’Hispano-Suiza de 150 ch initial) au sein du squadron n 084 britannique. Il remporta sa première victoire avant son transfert au 170 escadron de l’Air Service de l’armée américaine. Quant à Charles J. Biddle, il s’engagea dans la Légion étrangère et servit comme pilote au sein de la célèbre escadrille des Cigognes, la SPA 73, avant d’être, lui-aussi, remis à la disposition des Américains en janvier 1918.
Mais sans aucun doute la contribution américaine la plus spectaculaire fut apportée par la fameuse escadrille La Fayette. A la suite des interventions d’un Américain influent vivant en France, Norman Prince, les autorités décidèrent de mettre sur pied une unité aérienne entièrement américaine. C’est ainsi que naquit l’escadrille La Fayette.
baptisée d’abord America Squadron, ce qui suscita les protestations de l’ambassadeur d’Allemagne à Washington ; ce dernier en profita pour accuser les Etats-Unis de violer les lois de la neutralité.
Tous les Américains ayant volé aux côtés des Français, à cette époque, sont en général considérés comme des vétérans du La Fayette Flying Corps. En réalité une petite élite eut le privilège de servir au sein de l’escadrille La Fayette elle-même. Plusieurs d’entre eux avaient commencé, comme Biddle, par s’engager dans la Légion. Certains étaient de « nouveaux Américains » demeurés sentimentalement attachés à cette Europe d’où leurs familles venaient tout juste d’émigrer. Pavelka, Masson, Genet. Chapman, Hall et Rockwell, voilà des noms qui témoignent de la diversité de leurs origines
A l’instruction, ils cassaient souvent du
bois et parfois se cassaient la figure. En
dehors du service, ils buvaient et couraient
filles. Et naturellement, leurs faits et gestes
bénéficiaient d’une large publicité.
Dans certains milieux, on commençait à murmurer que ces Américains étaient tout juste bons à se payer les meilleurs hôtels et les plus jolies filles. Le haut commandement envoya l’escadrille La Fayette sur le front de Verdun, et
les murmures cessèrent.C’est sous les ordres du capitaine français Thenault, leur commandant d’escadrille, que les pilotes americains se jetèrent pour la première fois dans la bataille, aux commandes de leurs Nieuport. Ils payèrent le prix du sang versé par l’ennemi. Victor E. Chapman fut la première victime, descendu par un Fokker le 23 juin 1916. Kiffen Yates Rockwell connut une mort horrible, le corps déchiqueté par des balles dum-dum, cependant interdites par les lois de la guerre. Son frère servait avec lui à l’escadrille. Prince, l’un des parrains de l’unité, heurta une ligne à haute tension lors d’un atterrissage de nuit au retour d’une mission d’escorte de bombardiers. Il mourut à l’hôpital. Au fil des combats, l’escadrille se forgea peu à peu une image de marque. D’un chic raffiné en dehors du service, les volontaires américains fréquentaient les cafés parisiens élégants et les meilleures « maisons ».
En opération,c’étaient des durs, dont le plus dur et le plus extravagant n’était autre que leur grand as Raoul Lufbery.C’était un soldat de fortune. D’origine française, il avait combattu dans les rang américains pendant la guerre des Philippines de 1908 à 1910, s’était engagé dans l’armée pour acquérir la nationalité américaine, puis avait formé équipe avec un pi
lote d’exhibitions du nom de Pourpe (à Calcutta, mais ceci demeure incertain). Le deux hommes se lièrent d’une solide amitié Lufbery servait de mécanicien à Pourpe e
excella dans cette fonction. Pendant à guerre des Philippines, les pilotes préféraient toujours un avion préparé par ses soins.
Lorsque la guerre éclata en Europe, Pourpe rejoignit l’armée de l’Air française et Lufbery le suivit comme mécanicien, par le biais d’un engagement dans la Légion étrangère. A la mort de Pourpe, le mécanicien se fit pilote. Il vola sur Voisin avant d’être affecté à l’escadrille La Fayette en avril 1916.
En juillet, il remportait sa première victoire, et en octobre, il en avait déjà six à son actif. Il prit bientôt la tête des as américains, avec tout ce que ce titre pouvait entraîner d’adulation... et d’ennuis. Ses origines françaises le rendaient encore plus séduisant aux yeux des Parisiennes. Son score s’éleva à 17 victoires, ce qui lui valut la Légion d’honneur, la médaille militaire, la croix de guerre avec 10 palmes et la Military Cross britannique.
Hispano-Suiza. le constructeur du moteur du Spad, lui offrit une voiture de course. Sur une photo, on le
voit, l’air enthousiaste, au volant de ce bolide.
En réalité, Lufbery ne ressemblait guère
à l’image de l’as que les journalistes français
et américains avaient donnée de lui.
Il n’avait ni le charme de Georges Guynemer à la frêle silhouette, au regard triste et indomptable, ni la séduction de Charles Nungesser,le bourreau des coeurs, l’ami de Mata Hari,celui qui contait à la célèbre espionne d’extraordinaires histoires de bombardiers fran-
çais à huit moteurs pour qu’elle les répétât à
ses maîtres de Berlin.
Raoul, lui, se contentait de foncer à Paris avec une joyeuse bande de copains. Il aimait les femmes et la ribote. Il avait même acheté un lionceau baptisé Whisky, puis un second qui naturellement fut appelé Soda.
Mais en dépit de sa popularité et de sa camaraderie avec les plus grands as français, Lufbery fut toujours un solitaire. Il était plus âgé, 31 ans en 1916, et sans attaches profondes, sans famille, à la différence de la plupart de ses jeunes équipiers. Son unique ami, Pourpe, lui avait été enlevé.
Comme l’as anglais Mannock, Lufbery était un solitaire, il s’imposait par l’exemple qu’il donnait. Si le temps ne permettait pas de voler, il partait se promener seul dans les bois pour cueillir des champignons. En cela, il était proche d’Albert Bali qui cultivait ses légumes, ou d’Immelmann dont l’univers se résumait à son chien et à la lettre quotidienne à sa mère.
Affecté à l’U.S. Air Service en janvier 1918, avec le grade de major Lufbery se vit donner un travail de bureau qui ne lui convenait pas du tout. Les « casquettes dorées » finirent par réaliser leur erreur et Lufbery reçut en mars 1918 le commandement du 94’ Aero Squadron. Lorsqu’il arriva pour prendre son commandement, il découvrit que les Nieuport de l’unité n’étaient pas armés ! Le problème était réglé début avril et les pilotes américains reprirent le combat.
Le 15 avril les lieutenants Campbell et Winslow descendaient un Albatros et un Pfalz DIII un peu trop curieux, à la verticale même du terrain. Un mois plus tard, le 19 mai, un biplace allemand de reconnaissance était signalé, de nouveau à la verticale du terrain. Lufbery décolla sur son Nieuport pour descendre cet intrus. Après sa première passe, il rompit le combat, probablement à la suite d’un enrayage de mitrailleuse. Il repartit à l’attaque dans la queue de son adversaire.
L’Albatros semblait condamné, et pourtant les témoins horrifiés virent soudain des flammes s’échapper du moteur du Nieuport, et ce dernier descendre en léger piqué. Lufbery était de ceux qui avaient déclaré ne pas rester à bord d’un avion en flammes. On vit son corps tomber de l’appareil, de 80 mètres à peu près. Certains prétendirent qu’il avait tenté de diriger la chute de l’avion d’abord, puis la sienne propre, vers le canal. En réalité son corps atrocement brûlé s’écrasa dans un champ.
Un as suspecté par
les services secrets américains
Les équipages alliés n’avaient pas de parachute. Les grands chefs - il n’y avait aucun aviateur parmi eux - avaient décrété que si les équipages étaient dotés de parachutes, ils sauteraient au lieu de tout tenter pour sauver leur appareil. En Allemagne, les même arguments avaient prévalu pour les équipages des dirigeables, mais les responsables de l’aviation avaient fait preuve d’un peu plus de jugement, en décidant qu’un pilote bien entraîné était encore plus précieux qu’un avion.
Parmi les as allemands,l’Oberleutnant Ernst Udet dut la vie à son parachute, comme au moins 30 autres pilotes allemands ou autrichiens. Ainsi Udet survécut pour continuer le combat et finir la guerre avec 62 victoires.
A la tête du palmarès des as américains, Edward Rickenbacker succéda à Lufbery. C’était un ex-coureur automobile et l’ancien chauffeur du général Pershing. Il fit sa première victime, un Albatros monoplace, peu de jours avant la mort de Lufbery.
Du fait de la consonance germanique de son nom - Richenbacher à l’origine - il fit l’objet d’une perpétuelle méfiance de la part des services secrets américains (la même chose était arrivée à Joe Whener). Il fallut toute l’influence de son ami Billy Mitchell pour le faire entrer à l’Air Service.
Assumant le commandement du 94’ Pur-suit Squadron (dont l’insigne était un chapeau dans un cerceau) Rickenbacker mena son unité au front comme un vrai capitaine d’équipe. Il avait décidé que son unité serait la meilleure au sol comme en vol. Elégance, discipline et forme physique (gymnastique dès l’aube et un aérodrome impeccablement tenu), tels furent les mots d’ordre de Rickenbacker.
Il croyait sincèrement que la fraternité d’escadrille et la camaderie étaient les bases du moral et de la valeur du combattant. A son arrivée, le tableau de chasse du squadron se situait dans la bonne moyenne ; avec lui le 94’ allait prendre la tête et ne plus la quitter.
De fait. l’unité totalisa plus d’heures de vol que tout autre squadron et Rickenbacker plus que tout autre pilote américain. En dépit d’un séjour forcé à l’hôpital, Rickenbacker ne cessa d’augmenter son score et finit la guerre avec 26 victoires et un record d’heures de vol.
Les Américains connurent quelques difficultés avec leurs Nieuport 28, un avion mal aimé qui, comme le Hanriot, avait été largement diffusé par la France chez ses alliés américains, belges et italiens. Ces avions toléraient mal les fautes de maintenance et de pilotage commises par des mécaniciens et des pilotes trop hâtivement formés : l’entoilage des ailes avait tendance à se détériorer et risquait de se décoller lors de piqués excédant les limites autorisées.
Il y eut un certain nombre d’atterrissages forcés. Jim Hall, le futur co-auteur, avec son camarade d’escadrille Charles Nordhoff, du célèbre livre Les Mutinés du Bounty, dut en faire un sous le feu de l’ennemi. Il se posa derrière les lignes et finit la guerre dans un camp de prisonniers.
Dans l’ensemble, les pilotes américains préféraient le Spad XIII, l’avion favori des as. Il était armé de deux mitrailleuses Vickers à tir synchronisé, et doté d’un moteur de 200 ch Hispano-Suiza ; avec une vitesse maximale de plus de 210 km/h, il était plus rapide que le Nieuport ; il grimpait aussi plus haut (6 600 mètres contre 5 200 pour le Nieuport).
L’identification des avions amis ou ennemis posa aussi quelques problèmes aux Américains nouveaux venus dans la guerre. Reed Chambers, du 94’, terrorisa par ses attaques son compatriote Cook du 92’ Aero Squadron : il avait pris le Salmson biplace de ce dernier pour un avion allemand. Cook fut forcé de manoeuvrer très dur tandis que son mitrailleur l’implorait dans l’interphone : « Dois-je tirer ? ». Chambers finit par rompre le combat, les évasives du Salmson ne lui ayant pas permis de se placer en position de tir.
Quelques temps après, un pilote allemand s’aperçut qu’un Américain avait frôlé son biplan par en-dessous... sans ouvrir le feu. Les Américains ne furent d’ailleurs pas les seules victimes de ce genre de méprise. Un jour, Nungesser dut se résigner à abattre un pilote britannique du R.F.C. qui le prenait pour un ennemi. Et l’as belge Willy Coppens avait si peu confiance en ses camarades anglais - manque de pratique de l’identification, ou d’acuité visuelle ? -que, pour éviter toute méprise, il se tenait prudemment à l’écart de leurs terrains et disait à ses équipiers d’en faire autant. Au fond, c’était un problème de peinture. Tout avion peint de couleurs vives était automatiquement pris pour un Allemand.
Pendant ce temps la renommée de Rickenbacker ne cessait de grandir. Enfin un as cent pour cent américain ! Les journalistes n’allaient pas laisser passer cette chance. On tourna un film dans lequel on le voyait au combat contre un Hannover. Le cinéaste, victime de son courage, dut faire un atterrissage forcé à bord du monomoteur DH9A Liberty qui servait aux prises de vues. 11 voulut absolument continuer de filmer sur un autre appareil. La caméra eut des ratés au moment où Rickenbacker attaquait le Hannover avec son Spad, et les choses commencèrent à se compliquer pour de bon lorsque quelques pilotes de chasse français, ignorant tout de l’affaire, vinrent à sa rescousse... en tirant à balles réelles ! Rickenbacker réussit à leur faire comprendre par gestes que l’Allemand s’était rendu, et tout le monde atterrit sain et sauf. un peu éprouvé nerveusement bien sûr. Pour les spectateurs aussi, il y avait une happy end, avec la chute du mannequin tombant de l’avion ennemi condamné.
La presse américaine publiait des comptes rendus enthousiastes sur les exploits des aviateurs de l’A.A.F. entraînés par les Français ; par contre, elle passait sous silence leurs camarades, le lieutenant G.A. Vaughn et le capitaine F.E. Kindley. par exemple, qui servaient sous les cocardes du R.F.C. britannique, oubliant même de mentionner les quelques pilotes présents au combat depuis aussi longtemps que ceux de l’escadrille La Fayette. L’image de marque de celle-ci faisait prime, et la proximité des lumières de Paris favorisait les contacts de la presse avec les volontaires servant dans les unités françaises.
Ce silence à l’égard des Américains servant au sein du R.F.C. continua même après leur affectation à l’Air Service de l’armée des Etats-Unis. Maintenus groupés dans leurs nouveaux squadrons, les anciens du R.F.C. furent affectés aux secteurs les moins prestigieux du front, en soutien de la IV’ armée britannique. Là, s’appliquait dans toute sa rigueur la règle du R.F.C. en matière d’attribution de victoires, le nombre des victoires homologuées y étant bien inférieur à celui des victoires réelles.
Pourtant les 17e et 148’ Aero Squadrons firent un excellent travail en soutien des Britanniques. Arrivé sur le front trois mois après le 94e de Rickenbacker, le 148’, à la fin des hostilités, avait à son actif presque autant de victoires. Il totalisa 2 100 heures de vol de guerre pour 66 victoires sûres. Vaughn remporta ses cinq dernières victoires sous l’insigne du 17’. Le capitaine El-bot White Springs, le dernier et le plus extraordinaire des commandants du 148’, prit un cinquième place ex aequo au classement des as avec 12 victoires, à égalité avec le capitaine F.E. Kindley et le lieutenant D.E. Putman.
Spring était un garçon de bonne famille, riche. étudiant à l’université de Princeton.
Il fit son apprentissage en Grande-Bretagne (après avoir laborieusement étudié l’Italien, car il avait pensé servir dans ce pays). Il fut affecté au 85’ squadron commandé par l’as canadien William A. Bishop sur la demande de ce dernier. Au début, les choses se présentaient plutôt mal pour Springs. Il fit preuve, aux yeux des Anglais, de connaissances exhaustives en matière de préparation de cocktails, mais de pas grand-chose d’autre. Il percuta l’avion personnel de son commandant de squadron avec un SES et, après avoir réussit à descendre un ennemi, il cassa de nouveau son avion. Bis-hop demanda à Springs dans quel camp il pensait servir. En continuant ainsi, il serait classé parmi les as chez les Allemands, bien avant de l’être chez les Alliés !
Mais Springs améliora rapidement sa façon de piloter. Il fut affecté un peu plus tard au 148’ Aero Squadron, dès la création de l’unité, comme commandant d’escadrille tout d’abord. Le 148’ avait comme avion d’armes le Sopwith Camel que Springs n’aimait guère. Il disait ceci à son sujet : « Vous savez, un Camel, c’est si court que cela pourrait partir en tonneau tout seul, à cause du couple de renversement. Alors bien sûr, on l’a équipé d’un moteur rotatif pour augmenter le couple et le rendre plus vicieux ! Piloter un Camel, c’est comme chevaucher un gyroscope qui serait mal équilibré. De plus, il se trémousse comme le postérieur d’une danseuse et il pue comme les gants d’un conducteur de tramway ! »
Springs finit pourtant par s’y habituer, si bien qu’un jour il abattit trois Fokker, sans une seule égratignure à son avion. Les média américains ne prêtèrent pas attention au 148’ Aero Squadron mais, la guerre finie, Springs mit les choses au point. Il se fit écrivain et publia plusieurs ouvrages, War Birds, Contact et Above the bright blue sky, entre autres, qui dépeignirent bien la guerre dans le ciel et rendirent justice aux hommes qui s’étaient battus à ses côtés.
Il y en eut beaucoup. Le lieutenant F.L. Baylies par exemple ; descendu entre les lignes, Baylies sauta de son appareil et courut à toutes jambes vers les tranchées françaises, au milieu des rafales de balles. Ce jour-là, il s’en tira ; mais, plus tard, un triplan Fokker finit par avoir sa peau...
Le lieutenant D.E. Putnam servait comme pilote à la 156e escadrille française, sur Spad. A peine avait-il été classé sur la liste des as, qu’au cours d’un combat contre 8 Fokker il perdait l’aile haute de son Spad. L’aile basse ne tarda pas à se déchirer et l’appareil s’écrasa au sol. Heureusement pour lui, Putnam ne s’en rendit pas compte ; il était déjà mort, frappé de deux balles en pleine tête.
Les pilotes américains remportèrent au total 777 victoires homologuées, et 80 d’entre eux abattirent chacun 5 avions allemands ou plus.
Le jour où la guerre cessa, Rickenbacker survola en solitaire le front étrangement silencieux. Comme beaucoup d’autres, il ne savait que faire. Ces jeunes hommes n’avaient appris qu’à voler et à tuer. Pour la plupart, ils se tournèrent vers l’aviation civile. Quelques-uns des survivants devinrent pilotes d’exhibition, faisant les pitres ou recréant devant la foule des spectateurs les émotions du combat aérien. Le sang coulait parfois ; une panne de moteur, une rupture de cellule due à la fatigue, une faute. de pilotage toute bête finissaient par réussir là où les balles allemandes avaient échoués. C’est ainsi que se tua Kindley ; mais ce ne fut tout de même pas le sort habituel des as américains.
Rickenbacker créa sa propre compagnie aérienne et vécut assez longtemps pour servir de conseiller à l’armée de l’Air américaine pendant le second conflit mondial. Un autre as de la Grande Guerre, R.G. Landis, servit de nouveau pendant la seconde guerre mondiale avec le grade de colonel. Springs, après avoir couru les meetings aériens et travaillé comme pilote d’essais, se mit à écrire des livres et reprit les affaires de son père. Quant à Chambers, il finit dans les assurances, celles des avions ; étrange fin de carrière pour quelqu’un qui avait abattu tant d’appareils !
Ces hommes ont écrit avec passion une page courte, mais exceptionnelle de l’histoire de l’aviation.
sources connaissance de l’histoire mensuel 1982
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