mardi 26 mai 2015, par
« Plastic and Demolitions Co », tel est le surnom de la « force 136 ». Nous sommes en effet, chaque jour, initiés au sabotage, sabotage par explosif ou par tout autre moyen à notre disposition.
Le plastic, bientôt remplacé par le « 808 », se présente sous la forme d’une sorte de pâte à modeler que nous moulons autour de la pièce à couper. Rails, blockhaus, ponts, locomotives, bateaux, véhicules, avions, aiguillages, centrales électriques, barrages... Tout est bon pour notre rage de destruction.
Nous nous familiarisons, sous l’aimable conduite de deux « sapeurs », White et Whitlow, avec les time pencils (crayons à retardement) où un acide ronge un fil qui libère le détonateur ; avec les limpets, boîtes aimantées remplies d’explosif destinées aux coques des navires ; avec les fausses briques de charbon destinées aux locomotives.
Des visites dans une grande gare avec ses dépôts de locomotives et ses aiguillages, ou à des barrages, des études de ponts métalliques, d’usines nous rendent dangereusement experts.
Nous mettons en pratique nos connaissances en procédant à de lointains exercices où il s’agit de faire sauter des voies ou de détruire une centrale électrique. Nous cheminons dans la montagne avec nos charges sur le dos, évitons les villages et les innombrables chiens à demi sauvages qui ne cessent d’aboyer, cuisons notre petit repas dans le fond d’un cours d’eau à sec, et approchons avec circonspection du lieu de nos exploits.
Il faut déjouer l’attention des sentinelles, home guard locale ou policiers, préparer nos charges, les modeler, les relier avec les primers et les cordeaux détonants, installer la mise à feu, les poser, camoufler notre travail... et revenir en déjouant les traquenards de nos adversaires, alors que nous sommes rompus ou ensommeillés...
Partie importante du sabotage, les pièges, les booby traps (les pièges à... imbécile). Pièges à traction, à pression, à relâchement, nous sommes familiers avec tous. Nous nous promenons avec des détonateurs dans les poches sans y faire maintenant attention. Les tests sont faits dans la « maison piégée », apprêtée d’abord par nos instructeurs selon l’expérience (amère parfois) apprise en Birmanie. Les fils sont invisibles. Vous entrez dans cette pièce : l’assiette est piégée, la chaise est piégée, le manteau est piégé, l’escalier aussi, le blessé aussi. Nous rivalisons d’ingéniosité, équipe contre équipe, à qui fera sauter l’autre. Nous nous familiarisons aussi avec les terribles pièges que les Japonais sèment sur les pistes ou sur le côté des pistes : une cartouche de fusil posée sur un percuteur qui fonctionné quand le pied écrase le rebord circulaire qui couronne l’ensemble du tube ; la balle vous traverse le bas-ventre...
La tactique des groupes de commandos est enseignée au moyen de courtes théories suivies immédiatement d’exercices de détail, sans cesse répétés sous des formes diverses, et d’exercices d’ensemble qui nous mènent au loin, pour des schemes de deux ou trois jours et qui combinent voyage en bateau, marches, escalades, attaque, sabotage... Attaque d’un poste, d’une centrale, raid pour faire évader un prisohnier, attaque d’un petit village (avec tireurs d’élite), débarquement de nuit, embuscades de toute sorte, en plaine, en montagne, en forêt, de jour, de nuit. Nous sommes destinés à combattre en petits groupes, 3, 6, rarement 12 hommes. C’est une action où le sang-froid, la décision, la rapidité de chaque homme compte intensément, où la moindre faute de l’un entraîne la débâcle ou la mort. Nous sommes nourris des récits et des expériences de la fameuse expédition des chindits de Wingate. On nous décrit les méthodes de combat des Nippons dans la jungle, leurs habitudes en matière de défense ou d’attaque, leurs réactions aux embuscades. Nous étudions-les uniformes de l’armée japonaise, ses insignes, ses grades, les marques des unités et des véhicules, l’emblème de la terrible « Kempétai », comment elle pratique le camouflage, comment se font ses patrouilles, comment sont gardés ses cantonnements.
Nous devons être capables de lever nos itinéraires dans la jungle et connaître les lignes générales de notre zone d’action, afin de pouvoir nous y reconnaître de jour comme de nuit, d’y éviter pistes et chemins battus et nous passer de guides. Nous devons être capables de préparer une opération attaque contre un poste adverse, embuscade, sabotage d’une centrale — et, pour cela, pouvoir établir des croquis simples, mais parlants, pris de point d’observation en point d’observation, susceptibles d’être immédiatement compris des autres membres de l’équipe. A chaque point, nous devons dresser un rapide croquis panoramique portant sur la centaine de mètres située devant, suffisamment concret pour être d’une utilité immédiate à tout camarade : il doit indiquer les zones d’ombre, les zones cachées de l’ennemi, le cheminement à suivre... Muni de cette série de croquis, tout membre du groupe peut trouver son chemin en toute sécurité vers l’objectif adverse. Orientation par la boussole, par le soleil, par les étoiles, indices donnés par la végétation, tout est indiqué qui doit nous permettre de ne jamais nous perdre. Nous en faisons la pratique au cours de « chasses au trésor . » où la correcte orientation nous mène à une cache, puis, de là, à une autre. Nous prenons les automatismes nécessaires pour nous retrouver dans le bon chemin après un détour long et compliqué. Nous nous familiarisons avec les cartes britanniques et leurs signes conventionnels, ainsi qu’avec les cartes japonaises.
Le lac nous permet une infinie variété de pratiques. Nous nageons beaucoup, dans les roseaux, tout habillés, avec un paquetage et des armes. Nous pratiquons assidûment les canots pneumatiques et les fold boats. Ceux-ci sont des bateaux de toile rigide montée sur armature légère en.bois. On les démonte et on les remonte en quelques minutes. Nous passons des heures à pagayer, de jour et de nuit. Il nous faut souvent aussi remorquer un lourd canot pneumatique chargé du personnel. des explosifs ou des armes nécessaires pour une opération importante. La traversée longitudinale du lac, quand il y a un peu de vent et que nous allons à l’encontre du courant est longue, fastidieuse, fatigante, mais nous acquérons une expérience complète de ce bateau et nous nous préparons ainsi au prochain stage de mer. Nous nous familiarisons aussi avec d’autres types d’embarcation. La « force 136 » a réuni divers types d’embarcations usuelles dans le Sud-Est asiatique. l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, la Birmanie... Nous devons être capables de
nous débrouiller toujours. Nous pouvons également faire de la voile. Nous nous initions à la confection des radeaux, nous nous habituons à nager avec l’aide d’une poutre sur laquelle nous posons notre équipement et notre arme. Nous pratiquons des rendez-vous à la boussole en plein milieu du lac et des débarquements clandestins sur la côte surveillée.
Sources : Article de Michel Chaply Historia Magazine Tallendier 1969
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