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Après l’apéritif

, par

Les colonnes françaises ont trouvé jusqu’ici des combattants durs, agressifs et rusés, mais respectant, sauf en ce qui concerne la Kempetai, les règles d’une élémentaire humanité au cours des combats et après. Nous allons avoir affaire, désormais, à des adversaires tout aussi déterminés et rusés, mais faisant preuve d’une cruauté indigne d’une nation civilisée : exécution de blessés et de prisonniers, assassinats de civils, hommes, femmes et enfants, viols, pillages .

De Lao Kay à Mongcai, notre frontière et ses abords sont découpés en territoires militaires dont l’administration relève du commandement. Autour des chefs-lieux Lao Kay, Ha Giang, Cao Bang et Mongcai, des postes, aux effectifs médiocres, sont implantés, contrôlant les principaux points de passage obligés (carrefour de pistes, col, gué). Ces postes ont été mis en place, à l’origine, non pour défendre une frontière contre les attaques d’une armée moderne — sauf à Lang Son et à Dong Dang —, mais pour s’opposer aux actions des pirates et des contrebandiers.
Quelques-uns ont été modernisés, mais l’ensemble reste sans grande valeur défensive, et leurs chefs en ont pleine conscience. Un effort, en revanche, a été fait au cours des dernières années pour donner aux chefs-lieux les moyens de résister efficacement.

Les garnisons de Lao Kay et de Ha Giang seront surprises dans la nuit du 9 au 10 mars. A Lao Kay, les combats durent toute la nuit et le dernier fortin — Coc Leu — ne sera rendu, le 10 mars, en fin de journée, que pour éviter le massacre des otages civils.
Ha Giang succombera après une nuit de combats et une partie de la garnison sera exécutée, y compris des blessés. Des tirailleurs, évadés ou remis en liberté par les Japonais, auront la plus néfaste influence sur les Indochinois dans les postes où ils se réfugieront.
Cao. Bang, tenu par deux compagnies, résistera jusqu’au 13 mars.
Mongcai (ler T.M.) sera évacué par nos troupes le 21 mars, faute des ravitaillements nécessaires pour poursuivre la lutte.

Pour obtenir la reddition des effectifs des postes, une fois le chef-lieu entre leurs mains, les Japonais font savoir, de Lao Kay et de Ha Giang, qu’ « un ordre général de cesser le feu a été donné par le gouverneur général. Quiconque poursuivra le combat sera un rebelle et traité comme tel ».
Cette fausse information ne troublera guère que les Indochinois déjà sensibilisés par l’abandon et la destruction a priori d’un certain nombre de postes jugés inutilisables pour la bataille qui s’annonçait.
Les effectifs et les approvisionnements de ces postes abandonnés (Ban Phiet, Pa Kha, Yen Binh Xa, Vinh Thuy, Bac Quang) sont regroupés, dans un premier temps, vers Muong Khuong et Pha Long, d’une part, Hoang gu Phi, d’autre part.
Des liaisons sont effectuées auprès du représentant de la mission militaire française (M.M.F.) à Mapeu, le capitaine Borg, qui est en liaison avec notre mission à Kumming (commandant Sainteny).

La désertion de nombreux Indochinois contraint nos officiers à une réorganisation des unités qui recueillent ainsi, chaque jour, des isolés ou de petits groupes de rescapés. Pha Long résiste victorieusement à une première attaque japonaise, le 25 mars. Les Japonais sont également arrêtés à Ho Pi Chay, le 29 mars. La veille, cependant, Pha Long est tombé, en l’absence d’une partie de la garnison qui avait tenté un coup de main sur Xin Man. Fin mars Muong Khuong doit être évacué.

La présence française n’en sera pas moins maintenue pendant encore un mois dans la région. Avec l’appoint des effectifs provenant des postes de Pho Bang, Dong Van, Coc Pan et Bao Lac, évacués dans la seconde quinzaine de mars, un groupement relativement important pourra être constitué (une compagnie blanche dont des légionnaires venus de Tong et de Ha Giang, 4 compagnies d’autochtones, 4 compagnies de montagnards).
Ce groupement, sous les ordres du commandant Klein, qui a remplacé le capitaine Borg, réoccupe, après un dur combat, le poste de Man Mei (25 avril au 2 mai), mais devra se replier devant les assauts japonais et à la suite des décisions prises par les autorités frontalières chinoises. Ces autorités, dont le durcissement est très net, début mai, prétendent désarmer nos éléments « qui combattent sur un théâtre d’opérations qui n’est pas le leur ».

A Cao Bang, le chef du territoire n’a pas été surpris par l’attaque nippone. Retiré sur Trung Khanh Phu , il s’est donné la possibilité de commander les effectifs retirés des postes et de manœuvrer ses adversaires. Si Nguyen Binh est tombé dans
la nuit du 9 au 10 mars, Ta Lung, renforcé, résistera jusqu’au 14. Avec le personnel des postes (Ta Lung, Quang Uyen, Dong Khe, Ha Lang, Soc Giang et Tra Linh), le commandant Reul tiendra Po Peo jusqu’au 25 mars. Roquant de Po Peo vers la région de Soc Giang, il détache des éléments près de Nguyen Binh et Tra Linh, malgré la présence de 3 000 Japonais à Cao Bang. A la suite des liaisons prises avec le commandant Revol (M.M.F.) à Tsing Tsi, le commandant Reul sait qu’il ne peut compter sur aucune aide alliée.
Faute des armes et des munitions qui lui sont nécessaires, il se retirera en Chine dans la première quinzaine de mai.

Au ler territoire militaire, l’attaque se déclenche dans la nuit du 9 au 10 contre nos garnisons de Ha Coi et Tien Yen. Dans cette dernière localité, les Japonais sont repoussés avec des pertes sévères. A Ha Coi, les Japonais capturent le chef de poste, le capitaine Reynier, au cours d’un apéritif auquel ils l’ont invité. Conduit devant son poste, qu’il avait eu soin d’alerter avant de se rendre à l’invitation des Japonais, le capitaine se fait reconnaître de son adjoint et lui ordonne non de se rendre comme l’exigeaient les Nippons, mais d’ouvrir le feu. Quand le poste tombera, le 11 mars, le capitaine Reynier sera sauvagement exécuté devant ce qui reste de la garnison.
Tien Yen, dont les effectifs sont renforcés par des détachements de la marine et de l’aviation, tiendra, grâce à plusieurs contre-attaques effectuées par la garnison jusqu’au 14 mars. Les munitions s’épuisent et les demandes de parachutages faites par le lieutenant-colonel Lecocq n’étant pas satisfaites, la garnison se replie sur Binh Lieu dans la nuit du 14 au 15 mars.

Le lieutenant-colonel Lecocq, commandant le territoire, a été tué le 13, au cours d’un assaut contre Ha Coi, aux mains des Japonais depuis le 11, mais encerclé par ses troupes. Dam Ha étant tombé le 15, la garnison japonaise de Ha Coi sera ravitaillée et renforcée le 16. Repliées sur Mongcai, les forces françaises sont violemment attaquées, dès le 19 mars. De nouvelles demandes pressantes de ravitaillement restent sans résultat. Le repli en Chine, devenu obligatoire, commencera le 21. Les Indochinois, qui au cours des précédents combats s’étaient bien comportés, désertent alors en masse. Nos éléments seront regroupés sous le commandement du capitaine de vaisseau Commentry dont les patrouilleurs Frezouls, Crayssac et Audacieuse maintiendront,encore un temps, nos couleurs dans les eaux territoriales du 1er territoire militaire.

Voie de passage classique entre le Kouang-Si et le Tonkin, Lang Son constitue le point d’amarrage sur lequel s’accroche notre dispositif défensif frontalier. Après les combats de septembre 1940 son système fortifié avait été revu et modernisé. Un effort particulier avait été fait pour doter les forts (« Brière-de-l’Isle », « Négrier », « Gallieni ») et les fortins (Ky Lua) de réserves abondantes de munitions et de vivres. La garnison, enfin, nombreuse (5 bataillons. 2 groupes d’artillerie) et consciente de sa force, possède un excellent moral


Pierre Célerier historia magazine 2eme guerre mondiale 1968

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