jeudi 26 janvier 2012, par
(Perlesvaus rejoint la jeune fille qui porte la coupe d’or et le chevalier qui l’accompagne. Elle lui explique que la coupe ira au vainqueur du Tournoi de la Blanche Tour. Perlesvaus rejoint le lieu du tournoi et y fait merveille : d la fin tous s’accordent pour donner le prix au chevalier d l’écu blanc - Perlesvaus. La demoiselle lui remet -la coupe d’or, mais elle lui explique qu’il ne peut l’avoir qu’à condition de venger Méliot de Logres ; en effet, cette coupe avait été remise à Gauvain ; or Méliot de Logres, vassal lige de Gauvain, qu’il avait sauvé deux fois, venait d’être tué traîtreusement par le neveu de Brian des Iles, Brudan ; et Gauvain demande à celui à qui revient la coupe de venger le jeune et vaillant Méliot. Perlesvaus accepte, et demande que l’on porte la coupe au manoir du chevalier lépreux et qu’on la remette de sa part à son épouse.)
Perlesvaus passa la nuit au Château de la Blanche Tour, et le lendemain il se remit en route, fort désireux de faire quelque chose qui fût agréable à messire Gauvain. Il avait bien des fois entendu parler de Méliot de Logres, de sa bravoure et de ses qualités éminentes. Un jour, il pénétra dans une forêt, et il entendit la messe dans un ermitage, puis il repartit. Il ne tarda pas à trouver le Château Périlleux, qui était tout prés de là : c’est là que Méliot était resté, blessé, et que Lancelot lui avait apporté l’épée et le drap qu’il avait appliqué sur ses plaies. Perlesvaus entra dans le château et descendit de cheval. La demoiselle du château, tout éplorée, vint à sa rencontre.
– Demoiselle, demanda-t-il, pourquoi avez-vous un tel chagrin ?
– A cause d’un chevalier que j’avais gardé ici et guéri, seigneur, et que Brudan a tué par traîtrise. Que Dieu nous permette qu’il soit vengé, car je n’ai jamais connu chevalier plus courtois !
Pendant qu’elle parlait ainsi, arriva une autre demoiselle
– Ah ! seigneur, s’écria-t-elle à l’intention de Perlesvaus, au nom de Dieu, remontez à cheval et venez à notre secours, car je n’ai pas trouvé un seul chevalier dans cette forêt à part vous !
– Et pourquoi donc avez-vous besoin de mon secours, demoiselle
– Seigneur, un chevalier emmène de force ma maîtresse, qui s’en allait à la cour du roi Arthur.
– Et qui est votre maîtresse ? demanda Perlesvaus.
– Seigneur, c’est la plus jeune des demoiselles de la Tente dont messire Gauvain avait aboli les odieuses coutumes. Pour l’amour de Dieu, hâtez-vous, car il la maltraite fort pour se venger du roi et de messire Gauvain.
Perlesvaus se remit en selle aussitôt et, éperonnant sa monture, il sortit du château. La demoiselle lui indiquait la direction qu’avait prise le ravisseur, et il ne tarda pas à les rejoindre. Il entendait la demoiselle implorer de façon émouvante la clémence du chevalier, mais celui-ci répondait qu’il n’aurait aucune pitié d’elle, et il la frappait du plat de son épée sur la tête et sur le dos. Perlesvaus examina le chevalier et reconnut le bouclier qu’on lui avait indiqué.
– Seigneur, s’écria-t-il, vous maltraitez fort méchamment cette demoiselle. Quel tort vous a-t-elle fait ?
– Pourquoi vous mêlez-vous de nos affaires à elle et à moi ? répondit Brudan.
– Si j’interviens ainsi, c’est parce qu’un chevalier ne doit jamais maltraiter une dame ou une demoiselle.
– Ce n’est pas vous qui m’en empêcherez ! s’exclama Brudan. Et, levant son arme, il donna de nouveau à la jeune fille un coup si violent du plat de l’épée qu’il la fit chanceler, et que le sang jaillit de sa bouche et de son nez.
– Sur ma tête, dit Perlesvaus, cette fois je vous défie, pour Méliot et pour l’injure que vous venez de faire à cette jeune fille et à moi-même, que vous ne sauriez trop cher payer !
— Vous n’êtes certainement pas assez courageux pour oser m’attaquer ! dit Brudan.
– Eh bien, vous allez voir ! dit Perlesvaus.
Il recula pour mieux prendre son élan, et, se précipitant sur lui de toute la puissance de son cheval, il le frappa si fort qu’il lui transperça son bouclier et lui troua son haubert ; puis il lui enfonça sa lance dans le corps avec une telle force qu’il renversa tout ensemble le cheval, et le cavalier, qui dans sa chute se brisa les deux jambes. II descendit alors de cheval tout près de lui ; il lui enleva la coiffe et lui délaça la ventaille, et il lui trancha la tête.
– Demoiselle, dit-il, tenez, je vous en fais présent, et, puisque vous vous rendez à la cour du roi Arthur, je vous demande de la lui apporter. Saluez le roi de ma part, et dites à messire Gauvain et à Lancelot que c’est là le dernier présent que je leur ferai sans doute, car je ne pense pas jamais les revoir ; dites-leur aussi que, où que je sois, je veillerai à leur bien et je leur porterai toujours la même affection, et que j’aurais voulu leur offrir de la même manière la tête de tous leurs ennemis, à la seule condition cependant de ne pas offenser Dieu.
La demoiselle le remercia vivement de l’avoir arrachée au chevalier, et lui promit de dire au roi et à messire Gauvain toute la gratitude qu’elle lui portait. Puis elle s’en alla, emportant avec elle la tête du chevalier, et Perlesvaus la recommanda à Dieu et à Sa tendre Mère.
Perlesvaus retourna au Château Périlleux, et la demoiselle fut très heureuse quand elle apprit qu’il avait tué Brudan. II passa la nuit au château, et le lendemain matin, il s’en alla après avoir entendu la messe. En sortant du château, il rencontra le chevalier qu’il avait chargé d’apporter la coupe d’or au chevalier lépreux. Perlesvaus lui demanda comment cela s’était passé.
– Seigneur, répondit-il, j’ai parfaitement accompli la mission dont vous m’aviez chargé : jamais présent ne fut accueilli avec autant d’empressement. Le chevalier malade a pardonné à la dame, et désormais elle mange à la même table que lui, et dans le manoir on lui obéit en tout.
– Cela me fait grand plaisir, dit Perlesvaus, et je vous remercie de vous être acquitté de cette mission. - Seigneur, il n’est rien que je ne ferais pour vous, car vous avez fait de mon frère un courageux chevalier ; il vivrait encore, s’il était resté aussi couard qu’il l’était la première fois où vous l’avez rencontré.
– Seigneur chevalier, dit Perlesvaus, il a sans doute mieux valu qu’il meure glorieusement, plutôt que de vivre dans la honte ; mais sa mort m’a attristé, car c’était un hardi chevalier, et il le serait devenu plus encore s’il avait vécu davantage.
Perlesvaus quitta le chevalier en le recommandant à Dieu. Après avoir chevauché sans trêve pendant des jours, il parvint à son très saint château, où il retrouva sa mère et sa sueur, que la Demoiselle au Char y avait conduites. La Dame Veuve avait fait apporter au château le corps qui jusqu’alors reposait devant le Château de Camaaloo t, dans la superbe chapelle qu’elle y avait fait construire. La saur de Perlesvaus avait apporté le drap qu’elle avait pris dans la Gaste Chapelle et elle le déposa en offrande dans la chapelle où se trouvait le Graal. Perlesvaus fit également transporter dans la chapelle le cercueil du chevalier qui se trouvait jusque-là à l’entrée de son château, et il le fit mettre à côté de celui de son oncle, et jamais plus depuis personne ne put le déplacer
.
Joséphé rapporte que Perlesvaus resta longtemps dans ce château ; plus jamais il n’en partit pour chercher l’aventure : il avait consacré désormais toutes ses pensées au Sauveur du monde et à Sa tendre Mère. Sa mère, sa soeur et les jeunes filles qui vivaient au château menaient une sainte existence tout entière vouée à la religion. Ils vécurent ainsi aussi longtemps qu’il plut à Dieu ; puis la mère de Perlesvaus mourut, ainsi que sa saur, et tous les habitants du château, à l’exception d’un seul. Les ermites qui demeuraient tout près du château les enterrèrent et chantèrent les offices. Us venaient chaque jour auprès de Perlesvaus. et recueillaient ses conseils, impressionnés par la sainteté qu’ils percevaient en lui et l’existence vertueuse qu’il menait. Un jour qu’il se trouvait dans la très sainte chapelle où étaient les reliques, une voix se fit entendre, venant d’en haut
– Perlesvaus, disait-elle, vous ne demeurerez plus longtemps en ces lieux ; aussi Dieu désire-t-il que vous donniez les reliques aux ermites qui demeurent dans la forêt : . ainsi son corps sera-t-il célébré et glorifié. Et le Saint Graal n’apparaîtra plus en ces lieux ;, mais vous saurez -bientôt où il se trouve.
Quand la voix se tut, les cercueils qui se trouvaient là grincèrent si fort que l’on aurait dit que la grande salle s’effondrait. Perlesvaus . fit le signe de la croix et se recommanda à Dieu. Quand les ermites revinrent le trouver, il leur distribua les reliques, et ils édifièrent des églises et des monastères : on les voit encore, sur les terres et dans les îles. Joseu, le fils du Roi Ermite, demeura au château avec Perlesvaus, car il savait bien que celui-ci ne tarderait, pas à s’en aller.
Perlesvaus était un jour dans la chapelle, lorsqu’il entendit sonner, très haut, une trompette d’airain à l’extérieur du château, du côté de la mer. Il alla aux fenêtres de la grande salle, et il aperçut le navire à la voile blanche ornée d’une croix vermeille ; il s’y trouvait la plus belle compagnie qu’il eût jamais vue, des gens tous vêtus comme pour dire la messe. Quand le navire. eut jeté l’ancre au pied du donjon, ceux qu’il amenait se rendirent dans la chapelle pour prier. Ils apportaient de magnifiques coffres d’or et d’argent en guise de cercueils, et ils y déposèrent Le corps des deux chevaliers dont on avait apporté les cercueils dans la chapelle, ainsi que le corps du. Roi Pêcheur et celui de la mère de Perlesvaus ; et ulle odeur au monde, aussi douce et suave fût-elle, n’aurait pu se comparer au parfum qu’exhalaient ces corps. Les cercueils furent transportés dans le navire ; puis Perlesvaus prit congé de Joseu et le recommanda au Sauveur des hommes ainsi que tous les habitants du château, qu’il allait quitter aussi. Les saints hommes qui se trouvaient sur le navire le bénirent. Puis le navire qui emportait Perlesvaus s’éloigna. Des voix s’élevèrent du château, qui en chaur le recommandèrent à Dieu et à Sa tendre Mère lorsqu’il s’éloigna.
Joséphé nous rapporte que c’est ainsi que Perlesvaus s’en alla ;
personne au monde ne. sut ce qu’il était devenu, et le récit n’en dit rien de plus. Mais Joséphé ajoute que Joseu demeura au château qui avait appartenu au Roi Pêcheur ; il s’y enferma, personne n’y pouvait entrer, et il vivait de ce que le Seigneur lui envoyait. Il y demeura longtemps après le départ de Perlesvaus, et il y termina sa vie.
Après sa disparition, le château commença à se détériorer et les salles à s’effondrer ; mais en revanche, la chapelle resta intacte et en parfait état, et elle l’est toujours. L’endroit où se trouvait le château était isolé, et il semblait fort peu hospitalier. Lorsqu’il tomba. en ruine, beaucoup de gens qui habitaient dans les terres et les îles les plus proches se demandèrent ce qui pouvait s’y trouver, et plusieurs d’entre eux décidèrent d’aller voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Ils y allèrent, mais aucun n’en revint jamais, et l’on ne sut ce qu’ils étaient devenus. La rumeur s’en répandit dans le pays, de sorte que plus personne n’osa y pénétrer, à l’exception de deux chevaliers gallois qui en avaient entendu parler. C’étaient de beaux jeunes gens, gais et pleins d’allant. L’un d’eux avait parié avec l’autre qu’il irait : c’est pour plaisanter qu’ils étaient venus là, mais ils y demeurèrent longtemps, et quand ils en revinrent, ils vécurent comme des ermites, vêtus de haires, allant par les forêts, et ne se nourrissant que de racines ; ils menaient une existence très dure, mais elle leur plaisait, et lorsqu’on leur demandait pourquoi ils menaient cette vie, « Allez où nous avons été, répondaient-ils à ceux qui les questionnaient, et vous en saurez la raison ». C’était la seule réponse qu’ils faisaient. Ces deux chevaliers moururent après avoir ainsi saintement vécu, et l’on ne put rien savoir de plus par eux. Les gens du pays firent d’eux des saints.
Ici prend fin le très saint Conte du Graal. Joséphé, grâce à qui la mémoire s’en est perpétuée, donne la bénédiction divine à tous ceux qui l’écoutent avec révérence. Le récit en latin dont ce conte a été traduit en français a été trouvé dans l’lle d’Avalon, dans une sainte abbaye qui se trouve à la limite des Marais Aventureux, à l’endroit où reposent le roi Arthur et la reine, d’après ce que disent les vénérables moines qui y vivent, et qui possèdent cette histoire, vraie du début à la fin.
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