lundi 17 septembre 2007, par
Cependant, Liggett ne sous-estimait pas son adversaire. Il n’envisageait pas une attaque de front contre la position fortifiée du Bois de Bourgogne. Il songeait plutôt à s’emparer des hauteurs de Barricourt et à rendre ainsi le Bois de Bourgogne intenable. On choisit le 1" novembre, afin de coordonner l’attaque avec celle que les Français déclencheraient sur le flanc gauche.
Prévoyant d’utiliser les gaz, Liggett ne lança à l’assaut que sept divisions des 1", 3’ et 5’ corps. Le 5’ corps était commandé par le major-général Charles P. Summerall, spécialiste en artillerie ; il fut doté de 608 canons pour préparer le terrain, et de tous les chars disponibles. Tandis que les troupes attendaient, les positions du Bois de Bourgogne furent amplement neutralisées par un déluge de 41 tonnes de gaz. Pendant ce temps, Summerall exhortait ses hommes de façon efficace : tous les rangs se soudèrent pour l’assaut imminent.
Dès que leur infanterie s’ébranla, dans l’aube froide et brumeuse du 1" novembre, les Américains montrèrent qu’ils avaient retenu la leçon des combats précédents. Ils évitèrent les points trop facilement repérables sur lesquels les tireurs allemands ris-. cluaient à l’évidence de concentrer leurs feux. Le tir de barrage de l’artillerie américaine fut également mieux ajusté que lors de la dernière offensive, l’expérience ayant montré que les Allemands pouvaient se situer pratiquement n’importe où, mais surtout pas aux endroits les mieux abrités de leur propre ligne de front.
Il s’ensuivit que les 5’ et 3’ corps, à mesure qu’ils progressaient vers leurs objectifs, ne rencontrèrent que des résistances éparses. Les choses ne furent pas aussi faciles dans le secteur du 1" corps, où les Allemands opposèrent une ferme résistance ; mais Liggett n’y prêta pas beaucoup d’importance.
La percée tant attendue avait, en effet, réussi ! Les Américains après avoir bousculé quatre divisions continuaient de progresser. Le sombre processus des attaques répétées pour gagner quelques mètres de terrain prenait fin. Les Allemands opposés au 1" corps étaient forcés de reculer et de battre en retraite si vite que les Américains, qui pourtant étaient transportés en camions, ne purent les rattraper.
Dans sa marche en avant, l’A.E.F. passa sur les pitoyables débris d’une armée défaite. Le soldat Rush Young, de la 80’ division, écrivait : « A mesure que nous avancions, les routes et les champs étaient jonchés de cadavres allemands, de chevaux, de quantités de canons, de charrettes, de caisses de munitions, de casques, de pistolets et de baïonnettes. »
Les Allemands étaient en pleine déban-
dade et leurs poursuivants ne leur laissaient aucune chance de se reconstituer, de former une nouvelle ligne de défense. Habilement, Liggett n’avait fixé aucune limite à l’avance de ses troupes. Les Alliés applaudirent. Même Pétain, si réservé d’habitude, adressa des compliments en recevant le rapport des observateurs : « Ces officiers me rendent compte d’une amélioration tout à fait remarquable et de l’évidente suppression des difficultés qui avaient marqué l’attaque du 26 septembre : les mouvements routiers se font en bon ordre, les ordres sont donnés à temps et correctement aux unités... Aussi la progression, déjà splendide peut-elle être poursuivie grâce à l’excellente organisation de toute l’affaire. »
En fait, Pétain n’avait pas tout à fait raison. Quelques unités avaient avancé si vite qu’elles étaient à court d’approvisionnements. Mais le frisson de la victoire calmait la grogne.
Le 5 novembre, Pershing lança un ordre qui fut interprété par certains de ses commandants d’unités comme une incitation à rivaliser de vitesse pour atteindre la ville historique de Sedan. La grande victoire faillit se transformer en farce, quand des unités s’entremêlèrent. Fort heureusement, les Allemands n’étaient plus en mesure d’en profiter. Lorsque les Français demandèrent et obtinrent l’honneur d’entrer dans Sedan pour venger leur défaite de 1870, Liggett devint furieux et qualifia l’action de criminelle.
Désormais, plus rien ne pouvait arrêter les Américains qui se précipitèrent pour franchir la Meuse. Le 10 novembre, la seconde armée de Bullard s’en mêla à son tour et seul l’armistice, qui prit effet le lendemain à 11 heures, sauva les Allemands.
Ainsi se termina, dans un dernier grand élan, « la Guerre pour en finir avec toutes les guerres ». L’offensive Meuse-Argonne fut la principale participation des Américains au conflit, une participation qui déclencha certaines controverses.
On peut évidemment souligner les succès français et britanniques ; la réussite du blocus maritime et les importantes victoires d’août à novembre 1918. On peut aussi rappeler les chiffres de 5 600 000 victimes françaises et de 3 000 000 britanniques pour comprendre qui a supporté le fardeau de la guerre.
On peut, sans doute, insister sur le fait que la victoire aurait pu être remportée sans les États-Unis, qui n’ont perdu que 350 000 hommes dont un tiers dans les batailles de Meuse-Argonne. Le fait demeure, que Français et Britanniques se battaient le dos au mur, avant l’intervention américaine.
Les soldats américains débarquèrent au rythme de 300 000 par mois, à partir de juillet 1918 ; cela a brisé les nerfs des chefs allemands, tout en redonnant aux Alliés la volonté dont ils avaient besoin pour reprendre l’offensive. Ils auraient pu tabler sur une masse de 100 divisions américaines pour planifier une campagne en 1919.
Quant à l’offensive Meuse-Argonne proprement dite, le distingué critique militaire britannique Sir Basil Liddell Hart l’a baptisée « bataille de cauchemar ». Elle fut hâtivement improvisée, et le manque d’expérience fit que l’infanterie eut trop à faire. Les Américains ont sans doute appris sur le tas, mais ils ont appris et ils ont finalement réussi à rompre le front.
sources mensuel Connaissance de l’Histoire 1977 1982 Hachette
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