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Arturus Rex : Le berceau de la légende

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L’extraordinaire phénomène de la genèse, du développement et de la durée de la littérature arthurienne ne cesse depuis longtemps de hanter les érudits. A travers la diversité des récits qui appartiennent au patrimoine médiéval, le sujet de la légende est l’univers utopique dont le roi Arthur est le centre, entouré de chevaliers d’élite qu’il rassemble autour de la Table Ronde, et qui ne cessent de vouloir accomplir des quêtes et de partir pour l’aventure.Avant les témoignages littéraires cependant, il a dû exister l’archétype d’une légende ou de plusieurs légendes. Si le Moyen Age français a réussi à nous faire parvenir un nombre d’oeuvres si important que seuls quelques classiques - dont les romans de Chrétien de Troyes - sont aujourd’hui connus du public, il a dû se nourrir à la source d’une tradition féconde, que l’on pourrait dire pré-littéraire. Le mystère reste encore entier, qui concerne l’actualisation de ce qui, jusque-là, n’était connu que par quelques rares témoignages écrits, mais qui faisait certainement l’objet d’une transmission orale importante.A l’époque médiévale déjà, cet ensemble narratif a été perçu comme un fonds tout à fait spécifique. On cite volontiers les vers de Jean Bodel, composés à la même époque que l’anecdote de la vie monastique chez Césaire d’Heisterbach : le poète affirmait qu’il existait trois " matières " - trois grands fonds de récits - " celles de France, de Bretagne et de Rome la Grande ", et il ajoutait : " Ces trois matières ne se ressemblent pas. Les contes de Bretagne sont tellement irréels et séduisants. Tandis que ceux de Rome sont savants et chargés de signification, et que ceux de France voient chaque jour leur authenticité confirmée. "

La chanson de geste en effet revendique l’ordre de la réalité, les récits tirés de l’Antiquité témoignent d’une longue transmission d’un savoir. Que dire alors de ces contes de Bretagne " vains et plaisants ", irréels et séduisants ? C’est dans le domaine celtique, dans un espace géographique entouré de mers - l’Irlande, le pays de Galles, la Cornouaille, l’Armorique - qu’il faut chercher la naissance de la célèbre légende et qu’on devine les premières traces de la figure mythique. Des bribes d’abord qui font remonter très loin en amont, dans le temps.

A Geoffroy de Monmouth revient le mérite d’avoir introduit dans la tradition littéraire européenne ce qui devait être le noyau de la légende. Vers 1135 il écrit l’Historia Regum Britanniae, que ses contemporains considérèrent comme une invention, et les érudits modernes comme une mystification étonnante ; quoi qu’il en soit, cette fabulation fut répandue par de nombreux manuscrits gallois, anglais et français. Très vite l’oeuvre fut traduite en anglo-normand par Wace ; cette traduction donnait la possibilité de prendre plus largement connaissance de la légende.

Arturus Rex : il a été longuement débattu de l’historicité du personnage. Avant Geoffroy en effet, les traces en sont peu nombreuses, mais on a quelque raison de croire en l’existence d’un personnage portant ce nom, dont on trouve mention dès le début du 9e siècle dans l’oeuvre de Nennius, l’Historia Brittonum. Lors de l’invasion des Saxons appelés par le roi Vortiger, un certain Arthur aurait combattu contre eux aux côtés du roi des Bretons ; il n’est alors que " dux bellorum ", un chef de guerre, mais on lui attribue une victoire remarquable où il aurait tué jusqu’à neuf cent soixante ennemis. Pourtant des textes antérieurs - qui doivent également être considérés comme des sources de la légende, Gildas au 5e siècle et Bède au 8e siècle - ne mentionnent pas Arthur. Son nom - mais rien sur ce point n’est assuré - pourrait provenir du latin Artorius, le nom d’un officier romain dont l’existence en Angleterre - du moins en ce qui concerne le nom - est bien attestée vers le milieu du 6e siècle.

Ainsi quelques traces, quelques emprunts aux traditions indigènes, galloise et armoricaine, suffirent à Geoffroy pour développer une figure presque entièrement inventée par lui
Une attention toute particulière doit être accordée à Kulhwh ac Olwen, un récit des Mabinogion qui nous livre la pure tradition locale à propos d’Arthur. Le héros Kulhwh doit conquérir la fiancée , qu’il a choisie au prix de nombreuses épreuves. Comme il est le neveu du roi Arthur, il se rend à sa cour pour implorer son aide. Dans ce récit, la reine Gwenhwyfar - nom gallois de Guenièvre ainsi que les noms de l’épée et de la lance d’Arthur sont déjà mentionnés. Dès le récit de la fin du 9e siècle, Arthur apparaît comme une stature royale de très grand prestige.
C’est à Geoffroy cependant qu’il appartient d’avoir développé avec maîtrise la figure du souverain que lui livrait la légende celtique. Grâce à lui l’apparition de la matière dite " de Bretagne " a pris une remarquable ampleur dans notre littérature, et c’est à partir de Geoffroy que la séduction des motifs de légende celtique est venue solliciter l’imaginaire de l’Europe occidentale. Il fallait désormais qu’Arthur puisse alimenter un idéal chevaleresque, non plus comme chef de guerre luttant contre les Saxons, mais comme roi prestigieux qui ose entreprendre une guerre contre les Romains, qui lui aurait d’ailleurs réussi si la trahison ne s’était infiltrée dans son propre royaume. Ainsi, comparable à Charlemagne, Arthur pouvait véritablement flatter les rêves bretons. A cette époque d’ailleurs, de nombreux descendants des Bretons exilés en Petite Bretagne étaient rentrés dans leur patrie avec les Normands. Geoffroy, en dédiant son oeuvre à Robert de Gloucester, est visiblement animé du désir de plaire à la nouvelle dynastie anglo-normande.
L’Historia Regum Britanniae veut relater toute l’histoire bretonne depuis le déclin de l’ancien royaume breton : afin de rehausser la grandeur de ce royaume, se fiant à la crédulité de ses contemporains, le chroniqueur ne craint pas d’inventer des événements fabuleux. Et, à vrai dire, la cour anglo-normande pouvait tirer quelque fierté de ce beau modèle de souverain qui lui était proposé, heureusement pourvu de toutes les vertus chevaleresques. La dynastie Plantagenêt héritait ainsi de l’un des plus grands rois de l’histoire ! Grâce à son savoir et à sa parole prophétique, Merlin préside à la naissance légendaire d’Arthur et à son couronnement. Contre les païens saxons, le jeune roi use de son épée Excalibur forgée en Avalon, et il tient une cour solennelle à Caerleon avec son épouse Gwenhwyfar. Mais la guerre contre les Romains lui fait quitter son royaume et il doit confier son épouse à son neveu Mordret. Il combat un géant qui répand l’épouvante autour du Mont Saint-Michel et obtient de belles victoires sur l’armée romaine mais, au moment où il se dirige vers Rome, lui parvient la nouvelle que Mordret lui a pris sa femme et son royaume. Arthur rebrousse alors chemin, traverse la mer, affronte Mordret et le tue. Il est mortellement blessé lui-même et amené sur l’lle d’Avalon. Voilà déjà réunis les éléments essentiels de la légende, qui se diffuse très vite par les versions en vers qu’ont données Wace en anglo-normand et Layamon en anglais. Vers 1155 Wace écrit un Roman de Brut, où il interprète avec une certaine liberté l’Historia de Geoffroy. L’oeuvre est dédiée à Aliénor qui vient d’épouser Henri II. Arthur est cette fois présenté comme un grand seigneur féodal, auréolé de toutes les qualités utopiques susceptibles de plaire à des vassaux. Aucun témoignage ne serait plus éloquent que la description de la Table dont Wace est le premier à faire mention :" Pour ses nobles seigneurs dont chacun s’estimait le meilleur, dont nul ne savait qui était le moins bon, Arthur fît faire la Table Ronde dont les Bretons racontent bien des récits. Les seigneurs y prennent place, tous chevaliers, tous égaux. Ils avaient à la table une place égale et étaient servis de la même manière. Aucun d’eux ne pouvait se vanter d’être assis plus haut que son égal. " En effet, s’il n’y a pas d’ordre de préséance, chacun peut être conscient de sa valeur et de son mérite propre.

On doit reconnaître à la cour d’Henri II un rayonnement culturel remarquable : les deux filles du premier mariage d’Aliénor, Marie qui épouse le comte de Champagne et Alix, le comte de Blois, contribuent à l’élaboration de ce qu’on peut désormais reconnaître comme un grand milieu de culture, qui agit en centre littéraire de prestige. C’est à Marie de Champagne que Chrétien de Troyes dédiera Le Chevalier à la charrette, et le prologue de Perceval rend hommage à Philippe de Flandre que Chrétien, aurait rencontré à la cour de Champagne.
Ces cours ont ainsi favorisé à un niveau tout à fait international la circulation de l’information culturelle et des modes littéraires. Une politique d’alliances attache la cour anglo-normande à des cours d’Allemagne et il se crée un milieu de mécènes qui aura beaucoup compté pour la diffusion de la légende arthurienne : il faisait naître l’émulation nécessaire aux commandes de manuscrits et favorisait l’appel probable. à des clercs attachés au milieu de cour. L’auteur d’un Tristan, Thomas, et une certaine Marie de France, l’auteur des Lais, ont également appartenu à ce milieu ; tous deux ont de leur côté joué un rôle non négligeable dans la diffusion des légendes d’origine celtique. On comprend ainsi que l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, qui développait la figure la plus propice à encourager et à rehausser le prestige d’une dynastie, ait eu une telle diffusion. Quant à Wace, il semble personnellement engagé à l’égard du souverain puisque son oeuvre est dédiée à Henri II. La volonté de la dynastie de se constituer en centre de prestige, avec le pouvoir d’une mainmise culturelle de premier ordre, devait en effet se prévaloir d’un passé fondant le prestige du présent : c’est ainsi que l’abbaye de Glastonbury, dans le Somerset, fut conçue comme le pendant de Saint-Denis en France, lieu dynastique des rois français. Glastonbury devint le haut lieu de la légende arthurienne. C’est alors que furent " inventées ", en 1191, les tombes de Guenièvre et d’Arthur. La nécropole arthurienne créée à Glastonbury par les rois Plantagenêt fait d’Avalon - le nom littéraire de l’abbaye ? - un lieu charismatique. Bien souvent les lieux prestigieux, on le sait, servent à consolider la mémoire légendaire, et c’est dans ce contexte, où l’écrit des chroniqueurs rejoint la mission assignée aux lieux, que Wace écrit son oeuvre.
Le Brut de Layamon, achevé un peu avant 1205, développe la matière de Wace : citant ce dernier comme sa source essentielle, il relate l’histoire des Bretons depuis les ancêtres de Brutus, fils d’Énée. Son oeuvre est plus rude et plus barbare que celle de Wace, et il a eu un rôle moins important que son prédécesseur ; ce qui nous intéresse pour la circulation de la légende est qu’il semble avoir puisé plus largement que Geoffroy et Wace dans les traditions orales des Gallois et des Irlandais, en particulier celles qui concernent les banquets fertiles en querelles et la coutume celte de s’asseoir en cercle autour du roi.

Aux côtés d’Arthur se dessine la figure de Merlin. Geoffroy s’était servi des bribes d’une tradition celtique, mais il lui appartient, là encore, d’avoir attribué une signification importante au personnage dans la constitution du monde arthurien. Avant de terminer son Historia Regum, Geoffroy avait dédié à l’évêque de Lincoln un manuscrit des Prophetiae Merlini : se rattachant à Nennius, il relatait l’histoire de l’enfant merveilleux qui a le pouvoir de prédire l’avenir au roi Vortiger. On estime cependant qu’il faut chercher l’origine de la figure de l’enchanteur sous les traits du héros brittonique Myrddin, auquel sont attribués des poèmes. Le document le plus intéressant, le Livre de Taliesin, daté des environs de l’année 930, concerne la tradition d’un prophète qui annonce un sombre destin pour la Bretagne, plus précisément la bataille d’Arfderydd qui opposa en 573 Gwenddoleu aux fils d’Eliffer GosgorddfaWr. A partir de cette tradition, Myrddin pouvait devenir un personnage de récit chez Geoffroy, qui vers 1150 devait rédiger une Vita Merlini où le don de prophétie est clairement affirmé. C’est dans ce texte aussi qu’apparait l’ile d’Avalon, l’Ile des Pommes, l’Ile Fortunée où vit la fée Morgain avec ses soeurs : Geoffroy se livre à une ample description de l’île mystérieuse où vivent neuf soeurs dont l’aînée, la plus belle, est Morgain, qui connaît l’art de guérir, l’art de la métamorphose et de la divination. Chez Geoffroy elle n’est pas encore cependant la demi-soeur d’Arthur.Genèse complexe de la légende : deux traditions pour Merlin se joindraient ici, l’une qui concerne Myrddin, et l’autre, d’origine écossaises qui aurait gardé le souvenir de Lailoken, prophète devenu fou à la suite d’une vision, et qui se réfugie dans la forêt, revenant de temps à autre pour prophétiser. Voici en tout cas, et sans rien hasarder sur les liens qui les attacheraient les uns aux autres, les éléments qui plus tard, au début du 12e siècle, seront développés cher Robert de Boron. qui fera de Merlin une figure cohérente dans le récit et lui accordera la dimension d’un personnage chargé d’une importante missions C’est alors que le monde du Graal pourra être rattaché aux légendes d’Arthur et de Myrddin, conjonction féconde qui assurera à la légende. sa pérennité. Pour imaginer la genèse de son oeuvre, faut certes tenir compte de la tradition d’un Geoffroy ou d’un Wace, et par surcroît d’une tradition orale qui devait être intense, et qui n’a pas peu contribué à donner à la légende une aura considérable. Il faut en effet deviner une circulation importante de ces contes par voie orale, et par suite envisager des contacts directs entre le pays de Galles, les seigneurs anglo-normands et le continent. Les urgences politiques ont créé un accueil favorable à la légende et expliquent que la cour ait tant eu besoin de souligner son rôle culturel. Après la mort d’Henri I Beauclerc, la montée sur le trône d’Henri II Plantagenêt sera difficile ; ainsi la politique d’alliance avec les Bretons sera singulièrement confortée par la mise en scène de ce qu’on a pu appeler une " mythologie anglo-angevine ", qui précisément permettait de rattacher la dynastie au roi Arthur.

A partir de ce moment le rythme de la diffusion sera frappant, et durant les années 1160 on assiste à une fermentation étonnante de la matière arthurienne, dont témoigne déjà la diffusion iconographique. Entre 1170 et 1210 la légende prend son assise et c’est alors que notre littérature s’enrichit d’une extraordinaire floraison de textes.

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